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Un moment parfait

Par Carmenrob

À quoi tient l’impression de vivre un moment parfait? Ce jour-là, il y avait du soleil, du vent, de la chaleur, de la musique. Oui, mais encore? Ce fut une sorte de gestalt, quand le tout s’avère plus grand que la somme de ses parties. Je vous raconte.

Mon mari et moi avons récemment fait halte à Sherbrooke. Nous allions en Estrie retrouver un couple d’amis pour une escapade de golf. Histoire de joindre le bonheur à l’agréable, nous en avons profité pour visiter la cadette de mes filles. En avance sur notre rendez-vous, nous décidons de faire une marche autour du lac des Nations. Nous allongeons donc le pas parmi les nombreux marcheurs, patineurs, coureurs et cyclistes qui se partagent zennement le parcours au look tour à tour urbain et sauvage. Le temps est doux. Le vent, une caresse. Nous voici arrivés au Marché de la gare d’où part le train touristique d’Orford, avec ses produits fins, ses fruits et légumes. Dehors, une terrasse nous fait un clin d’œil. Pourquoi pas une bonne blanche? Nous prenons place sur les chaises bleu clair, à l’ombre d’un parasol. Au même moment, sous les arbres, tout près, une petite scène, que nous n’avions pas remarquée, s’anime. Des musiciens s’installent. Entament un air de jazz. Saxophone et clarinette, trompette et trombone, clavier, basse électrique et batterie. L’oreille s’émeut, le corps tangue, le pied bat la mesure, le cœur tambourine en cadence.

D’une pièce à l’autre, le plaisir monte d’un cran. L’étonnement aussi. Car ils ne sont pas tout jeunes, les interprètes. Disons-le franchement, ce sont des petits vieux. Plus vieux que nous, c’est tout dire! Mais quels artistes! Qui sont-ils? D’où sortent-ils? Amateurs? Anciens artistes professionnels? Profs de conservatoire à la retraite? Une chose est certaine, ils la connaissent, la musique.

Pendant qu’ils enchaînent les classiques, un couple tout aussi âgé s’est levé et danse sur l’herbe, dans l’ombre d’un tremble dont les feuilles scintillent au soleil. Un pépé fait des moulinets avec sa canne au rythme du blues. Un bambin gambade. Les cyclistes et les marcheurs ralentissent, certains s’arrêtent. L’assistance s’accroît petit à petit.

Au tour du claviériste de faire son solo. Celui qui fait office d’animateur nous le présente. Et là, nous ouvrons grand les yeux. Le bonhomme, sûrement octogénaire, a été tour à tour l’accompagnateur de Bécaud, de Nana Mouskouri, d’Alain Barrière et de bien d’autres célébrités. C’est d’ailleurs en tournée avec ce dernier, au début des années 80, que le pianiste se laisse distraire par les beaux yeux d’une Estrienne et qu’il abandonne Paris pour venir vivre avec celle qui partage toujours sa vie. Lorsque Bécaud endisqua la merveilleuse chanson ayant pour titre La maison sous les arbres, c’est notre homme qui est au piano. Il la reprend pour nous avec la fougue d’un jeune homme. Et puis non, pas d’une jeune ni d’un vieil homme. Il n’a plus d’âge. Il n’est plus qu’un virtuose passionné. Interprétation émouvante. Ovation debout. Yeux humides.

Un ultime rappel. La scène se vide. Les gens se dispersent. Notre verre est terminé. Nous partons un peu ivres. De musique, de douceur, de ce moment de pure joie. Un moment comme un gros grain dans le collier des petits bonheurs de la vie.


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