Titre original : Jobs
Note:
Réalisation : Joshua Michael Stern
Distribution : Ashton Kutcher, Josh Gad, Dermot Mulroney, Lukas Haas, J.K. Simmons, Lesley Ann Warren, Ron Eldard, Ahna O’Reilly, John Getz, James Woods, Matthew Modine…
Genre : Biopic/Drame
Date de Sortie : 21 août 2013
Le Pitch :
Abandonnant sa vie d’étudiant dans les années 70, le jeune Steve Jobs bricole des circuits dans le garage de ses parents avec son ami d’enfance Steve Wozniak, à la recherche d’une existence plus créative. Ensemble, ils décident de vendre leurs constructions à des clubs informatiques et finissent par fonder la compagnie Apple. Après de nombreux échecs de partenariats, la chance leur sourit quand Mike Markkula décide d’investir dans l’entreprise, et les produits qui s’ensuivent connaissent soudain un énorme succès. L’avènement de Steve Jobs se poursuit au fil des décennies, au sein d’un tumulte d’amitiés, d’innovations technologiques, de cœurs et rêves naissants et brisés, de machinations financières et autres disputes créatives. L’hippie excentrique deviendra entrepreneur ambitieux. Et tout ceci avant que l’iPhone se déchaîne sur le monde…
La Critique :
Le biopic est un curieux spécimen. Ceux que l’on aime citer parmi nos favoris font souvent partie de la plus rare des familles : les bons biopics. Le reste appartient à un conglomérat proéminent de petits films modestes qui ne résultent primordialement pas d’un scénario convaincant ou d’une réalisation épanouie, mais plutôt pour exposer en vitrine un ou deux jeux d’acteurs théoriquement virtuoses.
L’exemple à l’ordre du jour est un biopic réalisé sans grande nouveauté stylistique afin de rester concentré sur les supplications sincères de son acteur principal pour la récompense dorée d’un Oscar, et qui utilise le même ton rêveur de tout biopic qui essaye de comprimer des décennies d’Histoire en deux petites heures, comme l’a fait Forrest Gump il y a une vingtaine d’années. Ce qui est particulièrement bizarre si on considère que ce modèle basique est appliqué à l’histoire d’un gars dont la situation de vie varie entre riche-ordinaire et riche-comme-Picsou alors qu’il surmonte les obstacles dans sa quête palpitante, noble et extraordinaire…de rendre les PC plus esthétiquement acceptables pour les consommateurs de banlieue. Pour votre considération, Jobs, qui voit Ashton Kutcher signer une prestation assez impressionnante malgré tout dans le rôle de Steve Jobs, au centre d’un film qui semble avoir confondu le fondateur d’Apple pour Jésus Christ. Peut-être que c’est la barbe ?
Chroniquant la vie de Jobs en partant des premiers jours où lui et son pote Steve Wozniak soudaient des cartes mères dans le garage de ses parents jusqu’à la renaissance d’Apple sous le vestige d’un symbole de statut et d’un jouet technologique dernier cri dans les années 90, Jobs est la définition d’hagiographie flagorneuse d’un saint séculaire. Pas de panique, tous ses aspects « obscurs » sont là : l’humeur colérique, le manque complet d’aptitude sociale, le narcissisme, le fait qu’il ait entubé ses amis dans les actions d’Apple, etc. Mais tout est filtré à travers l’objectif justificateur d’un regard adorateur sur l’homme lui-même que le film assume et qui est partagé par le spectateur : « Ouais, ce mec était parfois un connard – mais Les Hommes Qui Changent Le Monde sont souvent des connards, donc c’est pas grave ! »
Pour les plus curieux qui aimeraient savoir à quel point la mémoire du film est sélective : Jobs qui engueule Bill Gates au téléphone pour lui avoir « volé » le système du Mac avec Windows constitue toute une séquence à part entière, mais aucune indication n’est donnée à propos de l’évolution des rapports entre les deux hommes avant, pendant, et surtout après cet incident en particulier. Du tout. Ah, et devinez quel mot n’est jamais prononcé une seule fois dans film ? Xerox.
Mais bon, ainsi soit-il. Steve Jobs était un personnage marquant, le culte d’Apple est une chose très présente dans la culture d’aujourd’hui, et il est mort tragiquement jeune. Il faut donc s’attendre à une certaine dose de positivité lèche-bottes pour le premier biopic du lot. Sans doute une version probablement plus corsée signée Aaron Sorkin viendra ensuite. Le pêché capital de Jobs n’est pas l’approche qu’il choisit mais le ton qu’il prend : c’est une chose de laisser partir le spectateur avec l’idée que Steve Jobs était un bon gars, c’en est une autre de prêter serment qu’il était vraiment aussi important que le disait cet ami qu’on a tous eu – celui qui campe devant le magasin la veille de la sortie d’un nouvel iPhone.
Soyons clair : il n’y a rien de mal à s’assurer que son public se sente aussi lié aux évènements et leur importance personnelle que les personnages eux-mêmes. D’ailleurs, c’est essentiel dans une bonne biographie. L’exemple primaire qui saute immédiatement à l’esprit est celui de The Social Network. La musique idiosyncratique et la caméra intime dans le film de David Fincher arrivaient parfaitement à communiquer à quel point toutes les machinations financières qui entouraient la fondation de Facebook étaient importantes pour Mark Zuckerberg et compagnie, mais le ton détaché et tragicomique du long-métrage rappelait qu’il était conscient de l’argent en jeu et de la présence culturelle de l’ensemble. Au final, toutes les engueulades restaient malgré tout au sujet d’un système d’organisation électronique pour des carnets d’adresse et des photos « funny catz », et c’est pour cela que c’était intéressant, au-delà d’être simplement décalé et excentrique.
Jobs, cependant, prend au pied de la lettre l’idée que rendre l’informatique à domicile plus compacte et esthétiquement jolie-jolie était un exploit de création au bénéfice de toute l’humanité, à ranger à côté du feu, de l’électricité et les vaccins en termes de valeur. C’est comme si les auteurs du film avaient commandé leur musique pop, leur photographie et la structure dans un catalogue de Modèles d’Assemblage de Biographies au Cinéma et ont reçu le mode-d’emploi pour Epopée Grandiose du Héros Qui Sauva Des Millions au lieu du manuel Voici l’Histoire Du Mec Qui A Réduit La Taille De Votre Walkman qu’ils avaient demandé. Et ont décidé que tant pis, on fait avec ce qu’on a.
Il y a des séquences dans Jobs qui sont à tomber par terre. Non, vraiment. Il faut le voir pour y croire : scène après scène hagiographique du Jobs de Kutcher pontifiant ses hymnes New Age de philosophie du design imaginatif et du perfectionnisme esthétique, pris complètement au sérieux par le film. Le jeune Jobs qui tourne sur lui-même dans des champs de blé, les bras grands ouverts, absorbant les rayons de soleil comme Superman dans un film de Terrence Malick. Et bien sûr, il y a cette crise de nerfs devant le miroir, moment qui marque son « passage à l’âge adulte », où il aplatit ses cheveux hippie ébouriffés et redresse furieusement sa chemise, et la musique et le montage nous font croire qu’on est en train de regarder Bruce Wayne mettre sa bat-ceinture pour la première fois.
Oui, certes, c’est bien connu : le refus ou l’incapacité de Jobs à voir son boulot qui consiste à bricoler des ordinateurs comme un simple travail était son grand atout et son grand défaut, mais pourquoi est-ce que le film doit partager ce même aspect ? Le reste du temps, on nous bassine avec des scènes d’une banalité horrifiante qui ne servent qu’à meubler le long-métrage. Des gens bientôt célèbres qui se baladent dans le cadre idyllique des jardins d’université accompagnés de Peace Train de Cat Stevens ? Dans un film qui idolâtre la génération baby-boomers ? Sans blague !
Bref, je n’étais pas un fan de Jobs. Mais ce n’est pas grave, parce que Jobs n’était pas fait pour moi. Ni pour vous, lecteur et spectateur. De tels biopics sont destinés primordialement aux votants des American Academy Awards, et il faudra attendre encore un peu avant de savoir ce qu’ils en pensent. Pour ma part, je compte voter pour que Les Pirates de la Silicon Valley gagne rétroactivement l’Oscar de la Meilleur Chose à Faire Au Lieu De Regarder Jobs.
@ Daniel Rawnsley
Crédits photos : Metropolitan FilmExport