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Chronique: Ty Segall – Sleeper

Publié le 25 août 2013 par Wtfru @romain_wtfru

ty-segall-sleeper(Drag City)

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En trois ans d’existence, Ty Segall est peut être l’artiste qu’on a le plus chroniqué jusqu’ici. Il faut dire qu’avec une moyenne de deux albums par an depuis 2011 ( en solo, en groupe ou en collaboration), le rockeur californien nous donne ce qu’il faut en matière. Avec toujours le même constat: le mec est génial, violent, créatif. Autant de superlatifs pour des albums à la fois bordéliques et maitrisés, bruyant et sérieux dans les affaires.
Mais il est important de bien noter le terme « créatif » ici. Parce qu’on a vite fait de cataloguer Segall comme un braillard qui adore se limer les doigts sur sa guitare électrique pour envoyer du gras – ce qui est en parti vrai – mais c’est bien trop restrictif. On l’a déjà vu calmer le jeu, apporter un peu de musicalité, se poser et partir dans des envolées. Et ce qu’on a vu par parcimonie, le voici concentré sur tout un album, Sleeper.

Sur ce disque, Ty a soigneusement rangé sa guitare électrique pour sortir l’acoustique sur 35 minutes de bonheur psychédélique. Ce changement de cap soudain s’explique par la disparition du paternel l’an passé, qui luttait contre un cancer depuis quelques temps déjà. Et comment souvent avec les artistes, le seul moyen de faire passer une émotion est en utilisant le prisme de son art.
Pas de cris ici, tout est chanté, murmuré, étonnement calme dans les airs mais aussi extrêmement poignant dans les textes où la plupart sont des hommages marqués pour son père. Et si violence il faut chercher, ce serait bien du côté de l’écriture qu’il faudrait aller piocher. On y trouve des pépites d’un homme tourmenté et vraiment touché par cette perte. Mais aussi une lucidité limite cruelle dans un tel moment lorsqu’il règle ses comptes avec sa mère, notamment sur le merveilleux She Don’t Care, pièce centrale du disque où l’orchestration céleste du morceau tranche clairement avec la brutalité du texte.

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Ty Segall – She Don’t Care

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Le plus fort avec cet opus, et son auteur, c’est que même lorsqu’il se laisse aller à un peu de douceur et de mélancolie, il continue de puer le rock’n'roll à plein nez. On est clairement sur des chemins folk loin de ses sentiers habituels et pourtant, on reconnait sa patte. Parce qu’il y subsiste toujours ce parfum de psychédélisme fou propre à Ty Segall. Même lorsqu’il y incorpore une petite goutte, on ne retient et sent qu’elle. C’est le cas sur The Keepers (qui aurait bien eu sa place dans le dernier Tarantino tiens), Queen Lullabye ou encore Crazy. Sa voix reste le meilleur de ses instruments et sait nous transporter, nous transcender en même temps que lui.
Et puis la basse n’est jamais bien loin pour nous rappeler les racines musicales du blondinet. Elle est de sortie sur Come Outside et Sweet C.C. et permet à elle seule de recoller à l’univers de Segall et de ses premiers disques ou celui avec White Fence édité l’an passé (et qui tourne toujours à plein régime dans nos oreilles).

La cerise sur le gâteau, c’est ce sentiment de revival qu’offre Sleepers par moment. On a l’impression de revivre les plus belles heures des chanteurs folk aux poumons et nez remplis de drogues qui pullulaient dans les 60′s et qui ont disparu pour des normes plus standards (et donc bien plus chiantes, évidemment). Jusqu’ici, même si on reconnaissait des influences, Segall se gardait bien de s’en inspirer de manière aussi évidente. Peut être que l’exercice ici lui demandait plus d’efforts et plus de points d’appuis pour qu’il laisse paraître ce qu’on appellera des bases classiques de construction.

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Ty Segall – Crazy

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Ty Segall – Sweet C.C.

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Le seul reproche que l’on puisse faire à ce disque est tout à fait paradoxal et même dur: il manque d’électricité. Mais peut-on vraiment en vouloir à son créateur de vouloir s’offrir une parenthèse d’aération, bienvenue sur le plan aussi bien psychologique qu’artistique ? Evidemment que non.
Surtout que l’on sait très bien qu’il va remettre son bleu de travail, rallumer sa guitare, prendre deux, trois verres bien sentis pour chauffer sa voix et rebrailler comme un connard. Comme on l’aime. Et ce dès l’automne prochain où il sortira un nouveau disque en trio sous le nom de Fuzz. Oui, Ty Segall ne s’arrête jamais. Et c’est tant mieux pour nous.

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4 wtfru

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Tracklist:
1. Sleeper 3:55
2. The Keepers 3:43
3. Crazy 2:29
4. The Man Man 3:18
5. She Don't Care 3:50
6. Come Outside 4:35
7. 6th Street 2:56
8. Sweet C.C. 3:37
9. Queen Lullabye 4:22
10. The West 3:16

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