Les conditions de vie difficiles des émigrés dans la clandestinité et l'exil, loin des leurs, ont été souvent abordées en littérature, avec leur cortège d'espoirs, leurs rêves d'eldorados improbables, leurs désillusions au fil du temps qui passe. Les victimes, c'étaient eux, débarqués quelque part au sud de l'Italie ou de l'Espagne. Avec Fatou Diome - et sans atténuer le moins du monde leur chemin de croix - l'originalité du récit de Celles qui attendent tient dans l'évocation de ces femmes qui sont restées au pays. Epouses ou mères, réduites à la dépendance, à l'attente incertaine, au silence, au manque d'amour, à la solitude.
Cela se passe sur l'île de Niodior, au large du Sénégal, où l'auteur a vu le jour. Arame vit aux côtés d'un mari aigri qu'elle ne s'est pas choisi, qui pourrait être son père, dont la déchéance physique augmente encore ses rancoeurs; son amie Bougna, quant à elle, vit très mal son statut de seconde épouse dont la progéniture ne connaît pas la réussite des enfants de la première. Elles persuadent leurs fils respectifs, Lamine et Issa, que pour leur propre avenir et celui de leurs familles, il leur faut partir en Europe afin de trouver du travail, gagner de l'argent avant de revenir au pays, la réussite au bout de leurs souliers. Pour une durée indéterminée, ils abandonnent ainsi dans l'île leurs épouses, Coumba et Daba...
Chronique sociale autant que portrait de familles attachant qui rettrace avec beaucoup de réalisme et parfois d'humour les contours de ce coin de terre voué à l'indigence, Celles qui attendent est aussi un réquisitoire contre les méfaits de la polygamie et autres manifestations d'une société à l'africaine, construite par et pour les hommes. Fatou Diome, au passage, règle aussi quelques comptes avec cet ailleurs où l'herbe paraît si verte et plein d'espoir, alors que sans éducation ni instruction, on n'y est rien du tout. Enfin, elle pointe du doigt une certaine mentalité européenne en mal d'exotisme, compréhensive mais condescendante dont la fille de porcelaine avec laquelle Issa débarque un beau jour dans lîle, est la plus détestable illustration.
Servie par une écriture riche en couleurs qui verse rarement dans l'excès ou la complaisance, Fatou Diome cerne avec ardeur et sincérité ce quotidien des femmes et d'un pays, le Sénégal que, malgré quelques coups de griffes, elle aime tant et lui voudrait une perspective d'avenir plus salutaire.