LA VIE EN JAUNE
Messieurs Robert et Larousse diraient qu’il s’agit d’une couleur primaire entre le vert et l’orangé. Cependant, le jaune est complexe, ambigu, pas toujours bien vu, mal considéré. Soyons glamours, le jaune c’est la couleur de l’urine, du pus, du cérumen. Jaune est aussi le cocu. C’est aussi la couleur du nain, du pissenlit. Ce mépris raciste de certains quand ils parl(ai)ent de la race jaune, de l’étoile jaune stigmatisée par les nazis et le péril jaune tout aussi raciste qui était la peur des Européens d’être dépassés par les Asiatiques (d’ailleurs Indochine -le groupe- a écrit sur ce thème). Aussi, le rire jaune est un rire terni, ourlé de défaite.
De façon plus positive, le jaune est la couleur de la science, du savoir et du dynamisme. A l’excès, le jaune peut traduire un manque de sérieux assimilé à de la frivolité.
En littérature, à présent… Quelques titres jaunes : Les Amours Jaunes de Corbière, Les yeux jaunes des crocodiles de Pancol, Le Chien jaune de Simenon et L’Oiseau jaune de Tennessee Williams.
Pourquoi ce « jaune » ?
Katherine Pancolfait d’une pierre deux coups dans son titre : elle associe cette couleur rédhibitoire à l’un des animaux les plus dangereux. J’ai acheté ce livre justement pour cet animal qui m’effraie au plus haut point. (Les risques de trouver un crocodile dans ma région est vraiment minime à moins de l’y avoir déposé… Bref… Là n’est pas la question) Dès le titre, on se demande si les crocodiles ont vraiment les yeux jaunes. A y réfléchir a-t-on déjà regardé un crocodile dans les yeux ? Est-ce juste une façon d’interpeller le lecteur ? L’auteure a-t-elle voulu insister sur la cruauté du crocodile avec cette couleur ? Il y a bien dans l'œil du croco un liseré jaune très fin mais présent exagéré dans les dessins ou les représentations crocodilesques.
Extrait :
« La nuit, tu sais, Antoine… Parfois, je me lève pour les regarder et j’aperçois leurs yeux dans le noir… Ca fait comme des lampes de poche sur l’eau. Des petites lucioles jaunes qui flottent… Ils ne dorment jamais ? […] Ce sont des animaux très intelligents, d’une intelligence terrifiante malgré leur petit cerveau. Comme un sous-marin sophistiqué. Faut pas les sous-estimer. Ils nous survivront, c’est sûr ! Ils communiquent entre eux : un discret mais large répertoire de mimiques et de sons. Quand ils redressent la tête dans l’eau, c’est qu’ils laissent le rôle du plus fort à un autre. Quand ils arquent la queue, ça veut dire je suis de mauvais poil, déguerpis. Ils s’envoient sans cesse des signaux pour montrer qui est le chef. Très important chez eux : qui est le plus fort. […]
Le soir, la réalité était moins crue, les yeux jaunes des crocodiles dans les bassins scintillaient de mille promesses. […] Ses yeux s’habituaient à l’obscurité. Peu à peu se détachaient de l’ombre des taches jaunes, vacillantes, qui s’allumaient les unes après les autres et semblent converger vers lui : les yeux jaunes des crocodiles. […] Il n’apercevait plus que les fentes jaunes qui le fixaient.

Le jaune, ici, n’a pas fière allure. C’est bien le « jaune » maléfique qui est présent. La couleur jaune insiste sur l’aspect vicieux du crocodile, une sorte de radar permanent. Le crocodile dénote la cruauté alors forcément le jaune maléfique fait de lui un double de Satan, le mal sous-jacent.
Essayons avec un autre animal : un oiseau, par exemple. C’est mimi un oiseau jaune (un petit canari, un petit poussin…) et pourtant...
Dans sa nouvelle « L’Oiseau jaune », Tennessee Williams met en scène la déchéance d’une jeune fille Alma, fille d’un pasteur dont l’éducation est très rigide. L’oiseau est présent au début de la nouvelle et il apparait à la fois comme un messager du diable mais aussi comme l’intermédiaire entre le diable et les sorcières de Salem. Le jaune est la couleur du feu et de la flamme des enfers. L’Oiseau jaune va être le symbole de la diabolisation de la jeune fille qui se rebelle (fume, boit du coca-cola (jeu sur les mots en anglais : coke = coca et cocaïne), va au drugstore, se maquille et se prostitue). Le lien entre Alma et l’oiseause fait aussi par le changement de couleur de cheveu : Alma devient blonde. L’identification avec l’oiseau devient alors de plus en plus évidente. L’oiseau jaune (l’oiseau de feu) est alors assimilable au phénix qui meurt et renait de ses cendres. On peut y voir alors la métaphore de la métamorphose d’Alma : la première Alma bien éduquée, religieuse disparait au profit d’une nouvelle Alma aux antipodes de l’autre. Une fois de plus le « jaune » renvoie bien au mal absolu.









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