A qui connaît bien l’œuvre de Claude Louis-Combet, ce mince
livret publié par les éditions Folle avoine, sous sa jaquette ivoire et avec
une encre de François Béalu, laissait peu supposer, avant lecture, un paysage
autre qu’intérieur et obsessionnel, exacerbé et infiniment exploré jusque dans
les plus obscures de ses régions fantasmatiques. Or la septième et dernière
page de texte se referme doucement sans avoir, comme ce fut quelquefois le cas
avec d’autres livres, troublé ou gêné son lecteur. Une sorte d’apaisement lui
fait rejoindre la place qu’occupent chez le lecteur ses titres combétiens
préférés. Non pas les plus beaux. Car la même beauté de langue les tient tous,
et l’on reconnaît ici comme ailleurs le son d’une voix une et unie dans son
inépuisable modulation. Une « formulation » qui déroule ou développe
ou dénoue en lyrisme ce que l’homme tient de noué noir en lui depuis des temps
antérieurs sans doute à l’écriture. On entend que forme est beauté. Aussi tous
les livres de Claude Louis-Combet sont-ils égaux en beauté et tiennent-ils tous
ensemble dans l’unité de cette voix qui est leur beauté. Il y a des instants du
texte dont on éprouve en soi le vibrato (p° 7) :
Il porte en avant de lui-même ses mains de proie qui veulent retenir au moins
une forme ou l’ombre d’une forme avant de se dissiper dans l’espace toujours
trop grand : une maison, une échelle, les pierres ensoleillées d’un mur de
jardin – choses à aborder paisiblement, à flatter comme une encolure, à amasser
en un lot de présence secourable – cependant que le temps tourne sur la terre
et que la terre ne cesse de courir entre l’ombre qui la gagne et la lumière qui
la nargue, à l’infini, à l’infini.
Maison, mur et jardin rappellent ce moment où ils apparaissent dans la neuvième
Elégie de Rilke, cependant que la
prière de Philémon et Baucis devant le dieu, à passer dans le vœu murmuré des
vieux amants dépouillés ici de leur robe mythologique, nous bouleverse (p°
8) : parvenus d’un même pas au seuil
infranchissable, sans autre désir qu’ensemble nous soit le dernier.
Mais ces échos ne sont que peu de choses. La vibration qui nous atteint est
celle de l’aveu de notre extrême et très humaine fragilité (p° 8) : à
peine éjectés d’une bienheureuse ténèbre,
et déjà face au mur qui n’autorise aucun recul, que reste-t-il ? Non pas à
s’y jeter pour précipiter le fracassement fatal, mais, consentants, à conduire
notre ultime chance humaine : Nous
ressassons notre labour, nous comptons le nombre de nos sillons.
À cette tremblante sagesse est offerte une récompense (p° 9) : revenu à ce
lieu qu’il n’avait jamais quitté, l’homme
devinait à une certaine blancheur que l’aube se levait… dans la douceur d’un
adieu sans témoin.
Loin des amples développements, plus confiants sans doute, des précédents
livres, une humanité tremblante dépose ici toutes ses armes lyriques pour
avouer sa faiblesse (p° 10) :
On chercherait encore, pour s’y pousser, ce petit point de fracture entre les
éléments, cette perspective de césure dans l’opacité des choses, là où l’on a
chance de respirer, d’errer un peu plus heureusement en amour et en sagesse, et
par là d’être un peu moins inhumain.
Un vieux roi devenu très vieux ouvrirait ici les portes – ce pourrait être
celles du cœur - des appartements privés du Palais pour nous accueillir dans le
jardin d’un Paysage des limites et
nous faire faire avec lui quelques pas, dans la seule compagnie de la favorite,
l’unique, dont il a partout écrit le nom. La porte du Verger se referme mais
nous savons que, pauvres et seuls maintenant, et obscurément rayonnants, les
amants royaux sont enfin sous l’abri de
leurs bras.
[Bernadette Engel-Roux]
Claude Louis-Combet, Paysage des limites, Folle avoine éd. novembre 2012