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Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Publié le 28 août 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…

Tiré du site de CHOI 98,1 Radio X

Je vous invite, comme promis, à repartir du bon pied sur le chemin des odeurs.  Je ne voudrais pas, mon Matou, vous laisser plus longtemps la moustache en berne.  De toutes les façons, je ne supporte pas les odeurs de renfermé et ce sujet, étant propice à maintes ouvertures, m’offre de remettre sans complexe les pieds dans le même plat.

Nous chasserons aujourd’hui les mauvaises odeurs.  Enfin, pour être plus précise, ces essences naturelles que l’éducation bien pensante tente de masquer par mille et une mises à pied aseptiques du genre : « À vos déodos !  Mâtez vos aromates ! »

Eh bien, moi, je suis sceptique !

Aujourd’hui, on blanchit tout, même l’argent, et pourtant le monde n’a jamais senti si mauvais, non ?  On se tourne les talons en cultivant des relations virtuelles inodores alors que la solitude nous talonne.  On fait des pieds et des mains pour tous sentir la rose, dissimulant ainsi nos huiles essentielles derrière des mensonges qui, dans certaines bouches, ont pourtant fort mauvaise haleine.  Mais que voulez-vous, cher Chat, les odeurs autochtones sont des parfums défendus.  Il ne fait pas bon semer nos senteurs fauves.  Alors, on vaporise, on stérilise, on javellise.

Êtes-vous déjà entré, le Chat, dans une maison sans odeur ?  Ma maison a longtemps senti les Vachon.  C’est le nom des gens qui, la larme à l’œil, nous ont cédé leur demeure familiale et dont l’odeur a plané en sursis quelques mois avant que la nôtre finisse par mettre la leur au pied du mur.  Maintenant que notre maison sent comme nous, on a l’impression qu’elle ne sent plus rien du tout, sauf  quand on y revient après une longue absence.  On surprend alors, avant qu’elles ne s’échappent, nos fragrances endormies dans l’air encore immobile.  Et c’est drôlement rassurant de se sentir chez soi.

Une maison qui n’a pas d’odeur n’a pas d’identité.  Je ne dis pas que ça doit automatiquement sentir le steak frites chez un Français, le chili con carne chez un Mexicain ou le ragoût de boulettes chez un Québécois, mais je trouve révélateur de ce siècle anezrexique, que mes semblables soient obsédés par leurs propres odeurs au point de chercher à les maîtriser sans relâche.

Même si l’on dit souvent que personne n’est dégouté par ses propres odeurs, elles sont tout de même sérieusement en voie de disparition.  Qui sait, le Chat, si un jour, on ne livrera pas une guerre intestine contre les flatulences jusque sur la voie publique ?  Je dois bien avouer que même si ma narine a le pied marin, volontiers dilatée contre vents et marées, il m’est arrivé d’entendre certains mots d’intestins dont le verbe corrosif a bien failli m’envoyer plus d’une fois six pieds sous terre.  Mais s’il faut choisir entre le bruit de l’odeur et l’odeur d’ennui des parfums d’ambiance, mon nez préfère le chaos.  Parole d’odeur !

Tiré de Selection du Reader's Digest

Tiré de Selection du Reader’s Digest

Il faut cependant que je vous avoue, cher Chat, que je ne saurais trop sur quel pied danser si mon entourage me faisait savoir que mon odeur naturelle les incommode.  Une telle critique semble en effet très proche de la blessure narcissique.  L’odeur serait alors un de nos talons d’Achille et laisser libre cours à sa spontanéité olfactive équivaudrait donc à se tirer soi-même dans le pied ?  Là, repose peut-être la raison de cette tendance à l’aseptisation.

Mais alors, comment aurais-je fait pour trouver chaussure à mon nez ?  Comment aurais-je pu reconnaître celui dont l’odeur m’était piedestiné s’il l’avait réduite comme peau de chagrin ?  Car l’amour n’est-ce pas d’abord aimer follement l’odeur de l’autre * ?

Et c’est bien là, dans l’odeur d’une peau cédée que loge mon cœur de femme.

Sophie

* Citation tirée de La vie secrète de Pascal Quignard.

Notice biographique

Balbutiements chroniques, par Sophie Torris…
Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)


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