Oulah, ça devient compliqué ce festival…
Il faut s’accrocher pour comprendre le baratin de Donald Rumsfeld dans The Unknown known, le documentaire qu’Errol Morris lui a consacré :
”Il y a ce qu’on sait que l’on sait, ce que l’on sait que l’on ne sait pas, ce que l’on ne sait pas ce que l’on ne sait pas et ce que l’on ne sait pas que l’on sait”. Euh… Débrouillez-vous avec ça…
Errol Morris, lui, ne se laisse pas avoir par les astuces oratoires de cet animal politique hors normes, qui fut un des proches collaborateurs de pas moins de quatre présidents des Etats-Unis – Richard Nixon, Gerald Ford, Ronald Reagan et George W. Bush – et secrétaire d’état à la défense à deux reprises, de 1975 à 1977 sous Gerald Ford, puis de 2001 à 2006 pendant la présidence de George Bush Jr. Il revient avec lui sur les différentes étapes de sa carrière : ses premiers mandats électoraux – représentant d’un district de l’Illinois – la lutte féroce pour la conquête du Parti Républicain avec son rival, George Bush père, alors chef de la CIA, ses échecs lors de la course à la vice-présidence des Etats-Unis, sous Ford, puis sous Reagan, qui lui a préféré… Bush. Et surtout, il s’intéresse au lien existant entre Rumsfeld et le Moyen-Orient, de sa mission d’envoyé spécial du Président Reagan au Moyen Orient dans les années 1980 – où il a rencontré Tarek Aziz et Saddam Hussein – à son second mandat de secrétaire d’état à la Défense, marqué par les attentats du 11 septembre 2001, la guerre en Afghanistan et l’invasion de l’Irak.
Rumsfeld est un beau parleur charismatique, doublé d’un homme intelligent. Il élude la plupart des questions-pièges en jouant sur les mots ou en envoyant son interlocuteur dans les cordes d’un sourire carnassier. Mais Errol Morris est un cinéaste engagé et pugnace. Il insiste et pose les questions qui fâchent : l’absence d’armes de destruction massive en Irak, l’attitude ambigüe des Etats-Unis vis-à-vis du régime de Saddam Hussein, l’incapacité des services de renseignement à prévoir les attaques du 11 septembre, les exactions commises par les soldats américains et les officiers de renseignement à Guantanamo et à Abou Ghraïb… Chaque fois que Rumsfeld cherche à justifier ses propos par la sémantique et le “dictionnaire du Pentagone”, Morris lui sort la définition du dictionnaire commun. Quand l’ex secrétaire d’Etat affirme certaines choses, le cinéaste sort des images d’archives le mettant face à ses contradiction.
Le duel entre les deux hommes, mené sur un ton faussement badin et détendu, est passionnant. Il éclaire sous un jour nouveau près de quarante ans d’histoire des Etats-Unis, de la guerre du Vietnam jusqu’à l’invasion de l’Irak et la chute de Saddam Hussein, en passant par la guerre froide et la course à l’armement nucléaire, l’interventionnisme américain dans le Golfe Persique, tout en dénonçant la collusion des politiciens avec le monde de la finance, les motifs économiques cachés derrière les interventions militaires et les méthodes plus que douteuses employées par les services secrets américains, cheval de bataille du cinéaste depuis son documentaire SOP (Standard Operating Procedures).
(Notre note : ●●●●●○)
Oulah, ça devient compliqué ce festival (bis)
On n’arrive déjà plus à suivre le rythme de nos chroniques, qui ont presque un jour de décalage avec la programmation. On fait ce qu’on peut, mais il est difficile de voir les films, d’écrire les critiques et de profiter un peu des plaisirs offerts par la dolce vita italienne… Il faut choisir… Ou alors, il faut trouver du renfort.
Tiens, on n’a qu’à embaucher Antonio Pane (Antonio Albanese), le personnage principal de L’Intrepido. L’homme sait tout faire. Il est “remplaçant professionnel”, c’est-à-dire qu’il est capable d’assurer le travail de n’importe qui, le temps d’une heure, deux heures, une demi-journée ou une journée, au gré des besoins. Il vous faut un travailleur de chantier? Pas de problème, Antonio est là. Un livreur de pizza? Si, subito! Un chauffeur de bus pour une demi-heure? Ca marche! Et non seulement notre peut pallier l’absence d’un travailleur manuel mais il peut aussi faire du bon travail dans des emplois plus administratifs, car il maîtrise parfaitement l’italien, l’anglais et même l’albanais…
Au départ, on se dit d’ailleurs qu’il est un travailleur immigré, peut-être sans papiers, qui accumule les petits boulots au noir. Comme un de ses collègues de chantier, qui lui demande de quel pays il est originaire… Mais non, Antonio est bien italien. Il parle la langue à la perfection, au point de corriger les fautes d’orthographe dans les énoncés des concours auxquels il postule.
Cette vie, il l’a choisie, pour éviter la routine, pour apprendre encore et toujours de nouvelles choses. Il est capable de coudre, de faire la mascotte de supermarché, de coller des affiches, de faire le mécano dans un garage, de cuisiner, de nettoyer les stades ou de gonfler des ballons dans une fête foraine. Et bien d’autres choses encore…
Antonio veut apprendre encore, en regardant les autres travailler ou en apprenant par coeur des manuels professionnels. Les seuls emplois qu’il ne veut pas faire sont ceux où il se retrouve en hauteur, car il est sujet au vertige. Et il ne souhaite pas recommencer ses expériences de dératiseur ou de nettoyeur de tombes…
Il se laisse guider par son éternel optimisme, qu’il tente de communiquer aux gens qui l’entourent, notamment son fils, saxophoniste qui galère pour se faire une petite place dans le milieu de la musique, et Lucia, une jeune femme qu’il a rencontré et qui, comme lui, survit en accumulant les petits boulots, en prenant toutefois moins bien les choses que lui…
Sa joie de vivre va être quelque peu ébranlée quand il va être confronté malgré lui aux aspects plus sombres de la nature humaine. A un moment, la comédie à l’italienne mise en place par Gianni Amelio, fantaisiste et romantique, prend un tour plus sombre, et bifurque carrément dans le fantastique dans ses vingt dernières minutes, avec des scènes allégoriques chez un fabriquant de prothèses et un bottier, montrant la faillite du système économique italien, entre magouilles mafieuses et détournements de fonds. Et le final, surprenant, montre Antonio partir vers un nouvel Eldorado inattendu, qui invite à revoir le film sous un angle totalement différent.
Nous avons plutôt apprécié le principe de ce film, qui s’inscrit dans la lignée des comédies italiennes des années 1970, celles de Scola, Risi ou Nichetti, qui abordaient des sujets de société importants à travers le regard de personnages candides. Le problème, c’est que la mise en scène de Gianni Amelio n’est pas toujours à la hauteur, trop bridée, trop sage et appliquée. Le film aurait pu devenir une vraie fable cynique si le cinéaste l’avait basculé plus tôt dans le registre onirique et la fable noire. Là, l’intrigue se termine quand elle commençait à devenir intéressante, et cela génère une certaine frustration.
(Notre note : ●●●●○○)
Autre film frustrant, dans une certaine mesure, Une promesse, le nouveau film de Patrice Leconte.
Après avoir surpris en réalisant un film d’animation en 3D, Le Magasin des suicides, le cinéaste français s’aventure une fois de plus là où ne l’attendait pas, en adaptant, en langue anglaise, le roman de Stefan Zweig, “Le Voyage dans le passé”. L’histoire de Ludwig, un jeune ingénieur d’origine modeste qui gravit les échelons d’une fonderie allemande, jusqu’à attirer l’attention de son patron, Karl Hoffmeister. Celui-ci, gravement malade, prend le jeune homme sous son aile, en fait son secrétaire particulier et l’installe chez lui. Là, Ludwig rencontre la femme de Karl, Lotte, bien plus jeune que son mari. Imperceptiblement, ils tombent amoureux l’un de l’autre, mais chacun doit rester à sa place et étouffer ses sentiments. L’éloignement n’arrange rien : Ludwig est envoyé à Mexico au moment où éclate la première guerre mondiale…
Ce qui a intéressé Patrice Leconte, manifestement, c’est de raconter cette histoire d’amours contrariées en utilisant un minimum d’effets mélodramatiques pour restituer toute l’amertume du texte original. Hélas, il ne tient que partiellement ce pari artistique. Il réussit bien à révéler les sentiments des personnages par des regards échangés, des gestes qui trahissent des émotions, des troubles soudain dans les paroles, en dirigeant parfaitement ses acteurs. De ce point de vue-là, rien à redire, ils sont tous impeccables, du jeune Richard Madden à Rebecca Hall, bien meilleure que dans le récent Lady Vegas, en passant par le toujours classieux Alan Rickman.
Le problème, c’est que dans ce genre de récit feutré, il faut quand même que les émotions puissent se libérer à un moment ou un autre, lors d’une ou deux scènes-clés. Ici ce n’est pas le cas. L’ensemble reste désespérément lisse. La passion reste enfouie sous la surface. On ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec le travail remarquable de Max Ophüls sur Lettre d’une inconnue, d’après le même auteur. Le cinéaste bouleversait le spectateur lors de la scène finale, après avoir complètement cadenassé les émotions pendant près d’une heure et demie. Plus récemment, Terrence Davies avait réussi la même chose sur The Deep blue sea.
C’est triste à dire, mais ce qui manque à Une promesse, c’est une mise en scène digne de ce nom. On a de la sympathie pour Patrice Leconte, qui est un très bon scénariste et un excellent directeur d’acteurs, mais, malgré son imposante filmographie, il n’est toujours pas un grand cinéaste. Sa réalisation reste le plus souvent assez plate, trop illustrative. Pire, elle n’est pas exempte de maladresses, ce qui est difficilement pardonnable pour un cinéaste aussi expérimenté. Il ne parvient jamais à donner à ce récit la dimension qui devrait être la sienne et finit par rater son dénouement, autrement plus amer et cruel dans le roman original. C’est un peu facile de dire cela, mais Une promesse ne tient pas ses promesses.
Désolé du jeu de mots ringard. La fatigue accumulée commence à se faire sentir…
(Notre note : ●●●●○○)
D’ailleurs, cela nous a joué des tours sur Rigor Mortis, le film de Juno Mak présenté dans le cadre de Venice Days.
Lutter contre le sommeil sur un film, ce n’est déjà pas terrible, mais ça peut passer sur un film comme le nouveau Tsai Ming-Liang, composé d’interminables plans fixes (on en reparlera demain…), mais pas sur ce genre d’histoire fantastique compliquée, au propos relativement obscur et aux rebondissements nombreux. D’après ce qu’on en a compris, il s’agit d’une variation sur le thème de la maison hantée, cher au cinéma asiatique. Un acteur célèbre, en pleine dépression, s’installe dans un immeuble crasseux de Hong-Kong. Très vite, les fantômes qui hantent les lieux lui souhaitent la bienvenue. Il n’est sauvé que par l’intervention de deux voisins, une sorte de magicien occulte et un ex-chasseur de vampire reconverti dans la restauration, mais l’accalmie n’est que de courte durée. Les spectres de deux jumelles, mortes brutalement dans son appartement, sont bien décidées à mettre le boxon dans l’immeuble, et une des voisines a gardé le cadavre de son époux, fraîchement décédé, pour le faire revenir sous la forme d’un vampire, justement.
Débute alors un long combat entre les voisins et les entités paranormales, où vont s’échanger jets de riz gluant et coups de pieds occultes…
La trame oscille entre le très classique et le complètement barré, avant qu’un twist final ne vienne remettre en question tout ce que l’on a vu auparavant.
C’est donc un film un peu fou, dont on n’est pas certains d’avoir saisi toutes les subtilités, pour cause d’absences passagères et/ou d’incompréhensions linguistiques. Mais il y a de belles trouvailles de mise en scène, qui viennent donner un nouveau souffle à ce genre désormais archi-codifié. Juno Mak s’impose comme un cinéaste à suivre, à condition de canaliser un peu son imaginaire débordant…
(Notre note : ●●●●○○)
A domani pour la suite de nos chroniques vénitiennes.
Ciao a tutti