Nombre d’entre nous avons été bercés par ses deux rives.
Tantôt l’une, tantôt l’autre. Mais nous ne nous sommes jamais débarrassés de son parfum iodé. Nous portons son écume jusque dans le coeur.
Mère Méditerranée, femme aux mille et une couleurs, terre aux milles et une senteurs, délice aux mille et une saveurs.
Elle ondule sur les rochers comme les cheveux de nos filles.
Empire des rêveurs, demeure des apatrides, elle est aussi la mère de tous les prêcheurs et de les penseurs.
Que ce soit d’un côté ou d’un autre nous avons tous pour point commun de l’avoir comme dénominateur commun, comme lieu de pèlerinage.
Nous jetons des mots et des cris à la mer, pour ne pas oublier qui nous sommes. Et c’est ce qu’Albert Camus et Mouloud Feraoun ont entrepris durant toute leur vie. Leur encre est venue noyer le papier comme leur Méditerranée vient baigner les calanques.
Albert Camus et Mouloud Feraoun ont tous les deux l’Algérie pour lieu de naissance et le français comme langue d’usage.
Ils ont su raconter l’Algérie, l’Afrique du Nord et la Méditerranée au travers de leurs écrits et faire briller la langue française par cet usage. Quel meilleur moyen d’honorer une langue que l’immortaliser sur le papier et lui donner du relief pr une syntaxe proche de la perfection.
Nos deux frères de la Méditerranée nous ont laissé un héritage littéraire incroyable, mais on ne peut évoquer leur mémoire sans parler de leur engagement toujours mené avec discernement afin de toujours défendre la cause des opprimés.
Je me suis beaucoup inspirée d’eux dans mes écrits, d’bord parce que je suis algérienne, kabyle même, comme Mouloud Feraoun, puis parce que j’ai choisi le français comme moyen d’expression.
Je suis aussi "Une Fille du Pauvre", comme eux.
Une immigrée partie de rien, ayant pour seule demeure cette mer, cette mère d’adoption qui ne fait pas de distinction entre nous, elle…
Fatalement, je me suis sentie un peu plus proche de Mouloud Feraoun, alors que j’étais en France, il était capable de me transformer en cette petite fille des montagnes du Djurdjura me faisant revivre les soirées d’hier autour du kanoun, vous savez c’est un petit peu le cousin de la cheminée, dans une version plus grégaire.
Cette simple impression, cette capacité à transporter et à transcender témoigne du talent incontestable et incontesté de ces deux auteurs.
Ils ont cette faculté qui leur est propre à nous faire sentir la chaleur du soleil et les embruns marins, comme dans l’Etranger, pour ne citer que cette oeuvre.
Ils ont su cristalliser toutes nos douleurs enfouies et celles que je cherche aussi à exprimer, beaucoup plus maladroitement, mais avec l’élan du coeur, cet élan qu’ils ont su entretenir et cultiver.
Ils ont su incarner magnificence littéraire et un engagement sans failles et pour cela, nous les en remercions.
Alber Camus disait : "rien n’est vrai qui force à exclure", une phrase dune incroyable actualité et qui m’a guidée dans mes rédactions et mes idéaux, notamment dans Une Française de Fabrication, mon premier livre, un essai témoignage qui a également pour vocation de casser les prénotions venues se greffer autour de l’immigration et de réconcilier.
Je me suis donc moi-même engagée dans la lutte qu’ils n’ont jamais pu finir, la résistance qu’il n’ont jamais pu aboutir.
Il apparaît aujourd’hui important d’aller dans ce sens et de s’unir pour porter d’une seule et même voix leur appel à la tolérance et à la fraternité.
La Robe Rouge