Earl Sweatshirt "Doris" @@@½
Le voilà le très attendu premier album en major du secret le mieux gardé du crew Odd Future, attendu depuis le moment où Tyler the Creator en plein buzz avec "Sandwitches" balançait des ‘Free Earl’ à tout-va. Mais où pouvait bien se trouver Thebe Kgositsile alias Earl Sweatshirt? Il était dans une sorte de maison de redressement pour enfants à problème sur les îles Samoa. Les fans les plus assidus d’Earl l’attendaient déjà depuis sa mixtape éponyme lancée sur les Internets en 2010 alors qu’il n’avait que 16 ans, bien avant que Tyler soit révélé avec Goblins.
Doris, tel est le nom de baptême de cet album ‘studio’, bien que la définition de "album studio" nécessite d’être nuancé puisque Earl a enregistré quelques morceaux chez lui, sous son blase de producteur randomblackdude (sans majuscule). Dès le premier track "Pre" (qui semble être la première syllabe de ‘préambule’), inauguré par un quidam du nom de SK la Flare, on reconnaît l’univers caractéristique et étrange des Odd Future, avec ces rythmiques et synthés macabres. Ensuite, les Neptunes jouent des cuivres triomphalement pour "Burgundy" pendant deux bonnes minutes avant replonger dans le noir avec l’electro-hop "20 Waves Caps" (feat Domo Genesis produit par Samiyam), puis retour à la lumière ("Sunday" feat Frank Ocean au rap et aux synthés) et à l’obscurité sur "Hive" avec ces basses pesantes (feat Vince Staples et co-produit par Matt Martians des Internet), bis repetita…
Pendant que l’auditeur jugule entre des ambiances similaires à des enterrements, celle de sa jeunesse, et des moments moins sinistres, on découvre un jeune rappeur très doué et qui sait extrêmement bien choisir ses collaborateurs. Il y a Tyler the Creator évidemment (le single "Whoa" pour le délire Golfwang et cette rime "man I suck now I ain’t dope/ but if Chris and Rihanna fuckin’ each other there’s still hope" sur "Sasquatch") et divers membres des OFWGKTA, mais aussi les Neptunes, Chad Hugo plus particulièrement (qui nous offre un moment d’extase avec l’outro de "Chum"), RZA (les bluesy "Molasses") et plus blues-rock encore, les BadBadNotGood sur "Hoarse". Ce petit salopard d’Earl n’a même pas crédité Alchemist pour la minute que dure "Uncle Al". Par contre il n’a pas oublié de notifier ce sample de "Divine Image" de David Axelrod sur "Centurion". Et le trip avec Mac Miller, il nous retourne la cervelle sur "Guild" avec un délire en slow-motion comme pour recréer les effets de la drogue.
C’est que Earl Sweatshirt est garçon complexe dans sa tête. Il évoque particulièrement son mal-être personnel sur "Chum", son père qui l’a abandonné enfant, sa couleur de peau ("too black for the white kids, too white for the blacks"), autrement il lui suffit d’un instrumental pour exprimer son talent ("523"). Passé le cap des 18 ans, Earl se cherche et murît doucement, mais chaque idée brillante qu’il a (lyrics, collab,…) est ternie par un flow semblable à celui-ci de Tyler (en moins grave) et ultra-monocorde, et des instrus qui cassent le rythme comme ces hauts-bas. Doris est un paradoxe, le curseur glisse dans les deux sens entre ‘génial’ et ‘chiant’ suivant les humeurs.