L’Étrange Festival. Pour les amateurs de films de genre,
le rendez-vous annuel de la rentrée
est un événement cinéphile incontournable. A chaque entame du mois de
septembre, c’est un irrésistible défilé de films noirs, d’horreur, de SF et
d’épouvante, un bestiaire cinématographique de tous horizons qui offre un
programme si alléchant que confectionner son emploi du temps de projections est
un vrai calvaire où les sacrifices sont légion.
Cette année encore, mes envies sont grandes, trop grandes
pour mon temps limité, d’autant que cette année je n’ai pas cherché à avoir de
places presse et que le Forum des images a augmenté ses tarifs. Mais je ne vais
pas pour autant mégoter sur l’événement, d’autant que pour se mettre en
jambes, j’ai pu voir rapidement deux des trois films coréens sélectionnés par
l’équipe du festival. La Corée du Sud
est donc présente en force cette année, d’autant que l’un de ses représentants,
« The Berlin File » a fait l’ouverture du festival et qu’il
s’agissait là d’une chance quasi unique de voir le film de Ryu Seung Wan sur grand écran puisque vraisemblablement, Wild Side
le sortira directement en DVD sous le titre peu inspiré « The
Agent ». Le cinéaste coréen commence à avoir l’habitude, ses films n’ont
jamais droit à une sortie en salles chez nous malgré sa réputation, d’autant
que son cinéma très orienté vers l’action appelle à être vu sur grand écran.
L’Étrange Festival nous avait déjà permis de voir son précédent, « The Unjust », avant de le
voir débarquer en DVD.
Ryu Seung Beom, l’un des acteurs principaux du film, et
accessoirement frère du réalisateur, a profité de la cérémonie d’ouverture pour
faire le déplacement à Paris et effectuer la présentation la plus rapide à
laquelle il m’ait été donné d’assister pour ce genre d’événement, l’acteur
remontant déjà les escaliers pour regagner sa place alors qu’il venait
d’arriver devant l’écran pour dire une petite phrase. L’homme a beau être peu
prolixe devant le public, il demeure l’un des meilleurs traits de « The
Berlin File » (ou « The Agent » je n’arrive pas à me décider sur
l’appellation).
Il faut dire que le film souffre de maux similaires à
ceux qui émaillaient « The Unjust » : une incapacité de Ryu
Seung Wan à lancer ses films et à caractériser ses personnages, une difficulté
à fluidifier son intrigue (ou plutôt ses intrigues) et à définir les enjeux
dramatiques du film, laissant le spectateur errer dans le vague la moitié du
temps ou peu s’en faut. L’action se situe à Berlin, il est question d’agents
nord-coréens espionnés par des agents sud-coréens tout en étant surveillés dans
leur propre camp. Pendant que les nord-coréens regardent par-dessus leur
épaule, l’agent sud-coréen essaie de mener à bien son job malgré une hiérarchie
peu coopérative qui voit d’un mauvaise œil l’anticommunisme primaire de
celui-ci. Hum… Les courses-poursuites s’enchaînent, les coups de feu, les
affrontements en combat rapproché à la Jason Bourne.
Une fois le récit finalement à peu près posé, on se rend
compte que les scènes d’action claquent et que si tout semble parfois un brin
ridicule et le jeu des acteurs coréens forcé lorsqu’il s’agit de jouer en
anglais (surtout Han Suk Kyu, surtout connu en France pour le brillant
« The President’s Last Bang »), « The Berlin File »
parvient à monter en puissance vers un dernier acte qui déménage. Et rehausse
le niveau d’un film plaisant mais peu mémorable. Des qualificatifs que je peux
malheureusement adjoindre également au second film coréen vu lors de cet Étrange
Festival 2013, « Confession of Murder ».
Pourtant contrairement à « The Agent »,
« Confession of Murder » part sur les chapeaux de roue. Une séquence
d’ouverture proprement bluffante, un flic courant après un tueur dans les
ruelles pluvieuses de Seoul, caméra à l’épaule virevoltante trouvant des angles
incroyables et accompagnée d’un photographie saisissante. Cela dure dix minutes
et l’on en sort scotchés, bouche bée, parés à déguster ce qui semble s’annoncer
comme un polar hallucinant… et puis non. Fausse alerte. Après une mise en
bouche explosive, l’euphorie retombe aussi sec. La mise en scène se banalise,
la photographie retrouve une atmosphère banale et sans aspérité. Et pour ne
rien arranger, le scénario n’est pas des plus solides, la faute à une chronologie
pas toujours claire et à une situation peu crédible.
Le film se pose 17 ans après une série de meurtres de
femmes dont l’auteur n’a jamais été arrêté. La prescription pour les meurtres
est de 15 ans, et si donc le coupable était enfin identifié, la justice ne
pourrait rien contre lui. Et justement, un homme sort de l’ombre en écrivant un
livre dans lequel il confesse être le tueur en série ayant sévi 17 ans plus
tôt. Un jeu du chat et de la souris s’installe entre le flic chargé de
l’enquête à l’époque, les familles des victimes qui veulent le punir eux-mêmes,
et l’autoproclamé tueur qui devient une star ultra médiatisée.
« Confession of Murder » n’est pas des plus
subtils. On a beau sourire à la charge contre les médias et la médiatisation à
outrance de tout un chacun, ici en l’occurrence un criminel, le réalisateur y
va avec des sabots. Le film avance à grands coups de tiroir, tentant des
révélations qui ne collent pas toutes à l’intrigue, il joue avec la chronologie
avec fébrilité, empêchant le spectateur de vraiment s’attacher aux personnages.
Et puis il y a ce détail qui tue un peu la crédibilité du postulat, celui
d’avoir choisi un acteur ayant à peine plus de trente ans pour incarner un
homme s’autoproclamant tueur en série ayant sévi 17 ans plus tôt sans qu’aucun
personnage jamais se dise « Hé mais, il est pas un peu jeune lui pour
avoir été un tueur en série à la fin des années 80 ?? » (l’essentiel
du film se déroule en 2007). Avec une telle scène d’ouverture, il y avait
pourtant de telles promesses, et un film si différent à faire.
Moi qui me réjouissait d’attaquer mon Étrange Festival par deux films de genre
coréens, la déception fut grande de constater sur quelles pistes tranquilles les
festivités s’engageaient. Et puis l’antidote est arrivé. La petite douceur
inattendue pour relever l’excitation et le plaisir de plusieurs niveaux. Un
film dont je n’avais pas entendu parler avant le festival, venu d’un pays où le
cinéma connaît une crise majeure ces derniers mois. La comédie fantastique
espagnole « Ghost Graduation ». C’est la belle surprise de ce début
de festival. Un délicieux bonbon où se côtoient tendresse, humour et fraîcheur
avec un bel équilibre.
Prenez les personnages de « Breakfast Club » de
John Hughes et basculez-les dans un univers et un ton qui rappellent « Hello Ghost », et vous
aurez une idée de ce petit moment de bonheur qu’est « Ghost
Graduation ». Raul Arevalo, vu dans le dernier Almodovar, y campe Modesto,
un prof trentenaire qui depuis son enfance a la capacité de voir les morts…
sauf que cela fait presque autant d’années qu’il pense qu’il s’agit là d’un
signe de sa folie plutôt qu’un don surnaturel. Jusqu’au jour où il décroche un
job dans un lycée où la jeune directrice est au bord du gouffre car les
événements surnaturels qui s’y produisent inquiètent les élèves et leurs
parents et poussent les professeurs à la démission. Pour Modesto, c’est
peut-être le lieu propice pour surmonter ses peurs et ses doutes. Pour les cinq
élèves qui hantent le lycée depuis 25 ans, Modesto va peut-être apparaître
comme une porte de sortie.
Le réalisateur ne cache pas à travers son film son amour
pour les comédies adolescentes américaines de John Hughes, et pour l’humour du
cinéma américain en général. Son film est un hommage cinéphile qui a
l’intelligence d’être visible au premier ou au second degré avec autant de
bonheur. La tendresse qu’il éprouve pour ses personnages jaillit à l’écran pour
trouver sa place auprès du spectateur qui se prend d’affection autant que le
réalisateur pour ce prof qui se croit fou et ses élèves morts en cloque ou
bourré. Quelques gags s’enfoncent un peu facilement en dessous de la ceinture,
mais sans jamais entamer la plaisir qui se dégage du film. Une bouffée d’air
après les deux stéréotypes coréens.
Voilà, l’Étrange Festival est enfin bien lancé !