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Le dernier bal impérial des 11 et 13 janvier 1904

Publié le 13 septembre 2013 par Oliaiklod @Olia_i_Klod

Les 11 et 13 Février 1903 a été donné le dernier bal de la cour impériale russe dans le Palais d’Hiver, bal dont la préparation a nécessité plusieurs mois.

Vasily Sadovnikov: Vue du Palais d'Hiver dans les Nuits Blanches, 1856.

Les invitations ont été envoyées bien avant le bal, avant Noël, pour donner le temps de choisir et de préparer robes et habits. Mais comme au palais on ne savait pas qui était à Saint-Pétersbourg, les invités devaient se pré-inscrire auprès du Grand Chambellan.

Être invité au bal du tsar s’avérait une mission difficile. L’argent et les connaissances n’aidaient pas. Pour cela, il fallait être un officier supérieur, un proche de la famille impériale ou un diplomate étranger (et encore, les étrangers n’étaient invités que pour le 13 janvier). Certains avaient le rare privilège d’être invité personnellement par le tsar. Seuls les hommes étaient invités.

Grand Duc Alexei Alexandrovich

Les invités pouvaient venir avec leur femme et leurs filles. Mais pas avec leurs fils qui pouvaient être invités en fonction de leur mérite indépendamment de leurs pères.

Certains officiers, notamment de la Garde, formaient une catégorie à part. Pour eux, c’était un service. Le chef du régiment nommait des candidats et leur donnait des instructions très précises "Pour vous, ce n’est pas la fête, c’est un travail. Dansez avec des dames, amusez-les. Ne restez pas en groupe. Рассыпайтесь… Рассыпайтесь… Поняли ?" Il y avait un antécédent ; lors d’un bal précédent un officier avait dansé uniquement avec une seule dame, la princesse Ekaterina Dolgorukaya, la future femme du tsar Alexandre II. Après le bal, l’officier et son régiment avaient été punis "Разве ты не знаешь, каково ее положение при дворе ? – распекали юношу после бала. – Ты позоришь полк… Ступай и намотай себе на ус..."

Grand Duc Boris Vladimirovich

Tous les participants devaient porter des costumes inspirés de l’époque du deuxième tsar de la dynastie Romanov, Alexis Mikhaïlovitch (XVIIème siècle). Des costumes d’avant la réforme vestimentaire imposée par Pierre le Grand : boyards et nobles, gouverneurs, intendants, militaires et artilleurs de l’époque, fauconniers, citadins, etc. Même les serviteurs et laquais de la cour étaient costumés comme au XVIIème siècle, dans des tenues de toutes les contrées de toutes les Russie.

Madamme M.F. Belyaeva

Ce fut un grand événement dans la vie de la société de Saint-Pétersbourg comme on n’en avait pas connu depuis très longtemps. On se mit à regarder les portraits de famille, à visiter les galeries de peintures, à étudier les gravures anciennes. L’activité fut grande dans les ateliers des costumes de théâtre, chez les tailleurs et les modistes. On fit venir de Moscou des tissus d’or et d’argent, brocarts et somptueux velours vénitiens. Des personnes se rendaient exprès à Moscou pour visiter une exposition consacrée aux vêtements, joyaux et étoffes de la Russie antérieure au XVIIème siècle. C’était féérique, beaucoup d’anciens costumes nationaux, décorés de fourrures rares, des brillants magnifiques, des pierres précieuses. Ce jour la, des bijoux étaient en quantités incroyables.

Princesse Olympiada Alexandrovna Baryatinskaya

Les costumes de la famille impériale ont été faits d’après des esquisses du peintres Sergei Solomko, et ils ont couté des fortunes. Certains costumes sont toujours conservés dans les fonds de l’Ermitage (ils ont fait l’objet d’une exposition en 2003). Ils sont venus de différents musées, des palais et des résidences de la noblesse de Saint Petersbourg. D’autres costumes et accessoires sont au Kremlin de Moscou.

Princesse Maria Nikolaevna Vasilchikova et sa fille, la Princesse Sofia Sergeevna

Au bal, les robes, sans décolleté, étaient relevées par l’ancienne coiffure russe, le kokoshnik, en forme de grande auréole, richement brodé d’or et d’argent et serti de pierres précieuses et joyaux de famille, souvent pesamment broché d’or. Les cheveux des dames mariées étaient cachés, tandis que ceux des jeunes filles étaient ramassés en deux longues tresses parfois entrelacées de rubans et perles.

Maria Nikolaevna Voeykova

Les robes des dames étaient le sujet de discussions. Si une dame avait une robe trop neuve et trop chère, on pensait d’elle qu’elle faisait partie des nouveaux riches, des parvenus. Les vraies aristocrates ne portaient jamais des nouvelles robes, car au bal, il y avait trop de monde, on ne pouvait pas porter la robe avec facilité, donc, elle pourrait être froissée ou abimée. Les traines étaient interdites, sauf pour les dames de la cour, qui devaient porter des robes conformes à l’étiquette (voir notre article). Sur ces robes spéciales "de cour" avec un grand décolleté et une traine, elles mettaient un chiffre (un monogramme) en brillants et pierres précieuses à gauche du corset. C’était le signe distinctif pour les dames d’honneur de la cour du tsar.

Princesse Zinaida Nikolaevna Yusupova

Le 11 février 1903.

La soirée donnée dans une grande salle du palais d’Hiver, avec un concert au thèâtre de l’Ermitage où l’on a joué un extrait de l’opéra de Modeste Moussorgsk Boris Godunov chanté par Fiodor Ivanovitch Chaliapine.

Puis, Riccardo Eugenio Drigo, compositeur et chef d’orchestre italien qui travailla longtemps au Théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg dirigea Le lac des cygnes de Thaikovsky avec la danseuse Anna Pavlova.

Après le spectacle on dansa la mazurka, puis un grand diner fut servit avant le bal qui dura très tard dans la nuit.

Nadezhda Dmitrievna Vonlyarlyarskaya

Le 13 février 1903.

Quelques jours plus tard, la fête fut reprise une deuxième fois au profit du corps diplomatique, dans une salle plus grande du Palais d’Hiver. Tous les représentants des pays étrangers et leurs familles étaient invités : ainsi les filles des ambassadeurs des pays d’Europe occidentale eurent-elles l’occasion unique de danser avec des nobles russes des siècles passés.

D’habitude il y avait de 200 à 700 personnes qui participaient aux bals. Mais ce soir du 13 février 1903, 3000 personnes ont assisté au bal et aux festivités.

Christopher Platonovich Derfelden

Il avait neigé sur Saint-Pétersbourg ce jour-là et il faisait un froid intense. Le Palais d’Hiver s’était voilé de blanc, comme une dentelle sur le marbre. A côté de la colonne d’Alexandre, en face du palais, avait fait de grands feux. Des carrosses et des voitures se présentaient. Les officiers arrivaient à cheval, les cheveux étaient couvert de tissus bleu. Du jamais vu. Du grandiose. Sous les manteaux de fourrure, de sublimes vêtements restituaient le faste de la cour de Russie au XVIIe siècle, car, en souvenir du temps des boyards, les invités étaient tenus de porter des costumes de l’ancienne Russie.

Vasiliy Dolgorukov

Les invités venaient vers 20h30, impossible d’être en retard. Chacun savait à quelle entrée du palais il fallait se présenter.

Tout était prévu selon l’étiquette, bien prévu d’avance, pour éviter le chaos avec 3000 personnes dans un palais immense.

Les invités montaient le grand escalier entre deux rangées de cosaques.

Grande Duchesse Elizabeth Feodorovna

Les dames en manteaux de zibeline, sans chapeau sur la tête, car les femmes mariés devaient porter des diadèmes ou la coiffe traditionnelle, le kokochnik, les jeunes filles une coiffure avec des fleurs sur la tête. On attachait les cartes de visite de chaque invité à leur manteau et les laquais du palais les portaient au vestiaire. Alors apparaissaient les robes, somptueuses, le talent, le goût, le style de la fameuse couturière moscovite Lamanova étaient extraordinaires. Elle était le génie russe de l’élégance.

Большой бал в Николаевском зале

L’arrivée du tsar et la tsarine fut le point culminant de la soirée.

La tsarine aimait les parles, son collier lui arrivait jusqu’aux genoux, elle avait décoré ses cheveux avec un diadème en forme de mitre, couvert d’émeraudes. "L’Empereur avait grande allure en tsar de Moscou, vêtu de brocart écarlate, orné de fourrures et de joyaux. Il paraissait moins grand que son épouse, qui portait une tunique de drap d’or avec des broderies d’argent, et comme coiffure une sorte de mitre byzantine qui rehaussait encore sa taille…" raconte la princesse Varvara Dolgorouki.

Olga Mikhailovna Zografo

Derrière une grille en or l’orchestre de la cour du tsar, également en costumes des musiciens du tsar Alexei Michailovitch, jouait une ouverture de Tchaïkovski, les portes s’ouvrirent, tout le monde fit la révérence. Tous les invités se bousculaient, se poussaient du coude, pour apercevoir la famille impériale, on reconnaissait l’empereur Nicolas II dans le costume du tsar Alexis Mikhaïlovitch, l’impératrice Alexandra Fédorovna portant un costume inspiré de celui de la tsarine Marie Ilinitchna Miloslavskaïa (voir notre article).

Le tsar Nicolas II et son épouse en costume ancien.

Puis il fut joué la classique polonaise d’ouverture. Et les règles étaient strictes : le tsar et la tsarine ouvraient la danse, puis des princes avec des femmes de diplomates, puis les ambassadeurs avec des grandes princesses. Les autres n’avaient pas le droit d’y participer. Après la première danse, on changeait de dame, mais toujours d’après les rangs.

Natalia Ivanovna Zvegintsova

Puis l’orchestre joua une série de valses. Un jeune lieutenant du régiment des Chevaliers-Gardes et la comtesse Nadia Tolstoï, sa partenaire désignée bien à l’avance par l’impératrice, ouvraient la danse. Mais tout le monde ne pouvait pas participer aux danses. Beaucoup de gens étaient debout le long des murs. Comme il y avait beaucoup de monde, et que tout le monde voulait regarder les danseurs, l’espace pour évoluer devenait de plus en plus petit. Alors "… j’invitais une dame assez grande pour danser et nous avons fait reculer des spectateurs" (mémoires du général Mossolov).

Светский бал в традициях начала XIX века

Ceux qui ne dansaient pas parlaient et mangeait un peu. Les laquais apportaient des douceurs, de la glace, des boissons. Dans les salles voisines, il y avait aussi des zakuskis.

Il y eût la mazurka, puis on passa au diner.

Великая княгиня Мария Павловна с фрейлинами

Les invités étaient répartis en deux grandes catégories : ceux qui mangeaient dans la même salle que le Tsar, ce qui était un grand privilège … et les autres.

A la table du Tsar, centrale et bien visible par tous, les places à table étaient bien fixées par le protocole. Le Tsar, en face de lui, le chef du corps diplomatique, à gauche du tsar l’héritier du trône. Les princesses ont été placés entre les diplomates et les personnes de premier rang de la cour.

Tout autour, il y avait douze tables rondes, qui occupaient toute la salle. le Tsar, comme d’habitude mangea peu, mais alla saluer ses invités, d’une table à l’autre. S’il voulait passer un peu plus de temps à côté de quelqu’un, on lui apportait une chaise.

Pendant tout le temps du diner, les musiciens ont accompagné une chorale qui a chanté des chansons russes.

Après le diner, le Tsar et la Tsarine invitèrent les convives dans la salle de Nicolaï pour continuer le bal (d’où son nom de Nicolaïevski bal – Николаевский бал). La première danse après le repas fut le cotillon, suivi de valses, de quadrilles, de mazurkas…

Николаевский зал

Le clou du bal fut une série de trois danses russes exécutées par vingt-quatre couples. Ces chorégraphies avaient donné lieu à des répétitions préalables, dont une générale en costumes, le 10 février, devant la Tsarine.  C’est la comtesse Betsy Chouvalov, maîtresse de maison incomparable et femme de grand goût, qui avait conçu l’idée de ces danses, préparées spécialement pour ce bal par le metteur en scène Felix Adam Valerian Krzesiński (dont la fille Mathilde était la maitresse du tsar ! … elle l’appelait Niki).

Après avoir dansé toute la nuit, lorsque l’orchestre de la Garde joua la dernière mesure, aucun convive ne sentit le rideau tomber définitivement.

Большой бал в Николаевском зале

Quand tous les invités furent partis, le ministre de la cour, tout le personnel et la garde, se rendirent au dernier étage ou le diner leur fut servi. Les lumières étaient éteintes. Plus jamais des fleurs ornèrent aussi massivement les salons du Palais d’Hiver, plus aucune musique de danse ne se joua sous ses lambris magnifiquement peints. Les temps de grandeur étaient passés. Il n’y eut plus jamais de bal au Palais d’Hiver !

Retrouvez tous nos articles précédents sur le dernier Bal Impérial :

Le bal des Romanov

Le dernier bal impérial – invités et costumes

Le dernier bal impérial – Chaliapine chante Boris Godounov

Et, également :

 


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