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L’homme qui servit une nation

Par Borokoff

A propos de Le Majordome de Lee Daniels ★★★½☆

Forest Whitaker - Le Majordome de Lee Daniels - Borokoff / Blog de critique cinéma

Forest Whitaker

En 1926, alors qu’il n’est encore qu’un adolescent, Cecil Gaines, un noir américain, décide de fuir le Sud des Etats-Unis et la ségrégation qui y sévit pour partir chercher du travail dans le Nord. Son père a été assassiné sous ses yeux, sa mère (Mariah Carey) violée par le blanc possédant les champs de coton sur lesquels tous deux travaillaient. Ce sont ces souvenirs qui marqueront au fer le jeune Gaines et le hanteront toute sa vie. Pourtant, le jeune homme ne manque pas d’ambition. Il devient serveur dans un bar huppé de Washington avant qu’on ne lui propose carrément un jour le poste de majordome… à la Maison Blanche.

Inspiré par les souvenirs qu’Eugene Allen (1919-2010) – figure mythique de la Maison Blanche pour laquelle il occupa le poste de majordome entre les années 1950 et 1980 – confia au journaliste du Washington Post Will Haygood, Le Majordome s’appuie sur un scénario (signé Danny Strong) à la construction relativement simple et efficace, puisqu’il s’agit d’un long flash-back d’un peu moins de deux heures avant un retour dans les années 1980 et jusqu’à l’élection du premier président noir des Etats-Unis, Barack Obama, en 2008.

Le Majordome de Lee Daniels - Borokoff / Blog de critique cinéma

Le film commence à la fin de la carrière de Cecil Gaines. L’homme est fatigué, il a plus de soixante ans dont trente passés à servir fidèlement et successivement huit présidents américains différents. Gaines s’assoit et commence à se souvenir de son enfance, une enfance avortée et meurtrie à la Nouvelle-Orléans, lorsque son père fut assassiné sous ses yeux pour avoir oser objecter au viol de sa femme par un propriétaire blanc.

Très documenté et fouillé, Le Majordome est un film dont on sent d’emblée l’ambition à la fois historique et cinématographique. Images d’archives à l’appui, l’œuvre de Lee Daniels (à qui l’on doit l’excellent Precious et le beaucoup moins réussi Paper Boys) revient, à travers l’histoire vraie de ce majordome noir (joué par un Forest Whitaker irréprochable comme à son habitude), sur une histoire de la Ségrégation aux États-Unis qui fait d’autant plus froid dans le dos qu’elle est encore extrêmement fraîche et récente.

Forest Whitaker - Le Majordome de Lee Daniels - Borokoff / Blog de critique cinéma

Mais là où Le Majordome brille, c’est par la peinture nuancée d’une famille et d’une communauté noires minée par des conflits intérieurs, ceux opposant notamment Gaines à son fils aîné Louis (David Oyelowo, au jeu magnétique). Louis ne comprend pas son père, qu’il trouve soumis tandis que ce dernier lui reproche sa radicalisation galopante. Pendant de longues années, père et fils ne s’entendront pas, ne se parleront plus même avant une réconciliation aussi tardive qu’émouvante.

Parti faire ses études dans le Sud des Etats-Unis, Louis est très investi en politique et dans des actions revendicatrices (à la tournure parfois violente et dangereuse pour sa propre vie) en faveur de la reconnaissance des droits de la communauté noire. Des actions qui choqueront son père et qui l’indigneront, lui qui ne reconnait pas son fils ni l’éducation qu’il lui a prodigué. Certaines manifestations tournent à l’émeute à amèneront Louis à des séjours répétés en prison, ce qui l’éloignera un plus plus chaque jour de son père, qui a choisi une autre forme de lutte, plus pacifique, plus feutrée mais (on le verra) tout aussi efficace pour faire évoluer et changer les consciences, les mentalités.

Oprah Winfrey - Le Majordome de Lee Daniels - Borokoff / Blog de critique cinéma

Oprah Winfrey

Car si Louis pense que son père n’est qu’un larbin au service des Blancs, il n’en est rien. Si Lee Daniels retrace, à travers le portait de Gaines et de sa famille, les épisodes les plus célèbres de la persécution des Noirs aux U.S.A. au XXème siècle, des meurtres perpétrés par les membres du Ku-Klux Klan aux protestations de Martin Luther King en passant par l’action plus radicale de Malcom X et des Black Panthers, il le fait toujours avec exigence, détails et précision, restant dans une mesure, une forme de recul et de refus de la complaisance ou d’un parti-pris trop marqué (pas assez objectif) qui font toute la force de son film, porté par des acteurs excellents. La grosse production qu’est Le Majordome n’empêche pas Lee Daniels de livrer un film et une vision aussi personnels que sans compromis, sans concessions.

Le Majordome de Lee Daniels - Borokoff / Blog de critique cinéma

Mais là où Lee Daniels est très fort, là où il va plus loin, c’est dans la manière subtile et profonde avec laquelle il parvient à nous faire comprendre la forme d’engagement politique qu’a toujours eu Cecil Gaines. Ce majordome n’est pas, comme on pourrait le penser, un fidèle serviteur des Blancs un peu simplet et dépourvu de toute conscience politique. Au contraire, là où le film s’avère le plus réussi, c’est dans la manière dont il dépeint la forme d’engagement politique qu’a toujours été celle de Gaines. Daniels explique bien comment, loin de toute manifestation spectaculaire et de toute violence (la grande différence de son fils), ce majordome a toujours constitué une figure symbolique, une figure subversive, capable de faire changer « en douceur » les consciences, de faire évoluer, de manière inconsciente, les mentalités des blancs. Car Gaines est un être cultivé et raffiné, loin de la figure du serviteur noir stéréotypé et ignorant à laquelle les convives de la Maison Blanche s’attendaient sans doute. C’est par cette manière subtile d’infiltrer en profondeur les consciences que Gaines parviendra à influencer des gens haut-placés, à les pousser à revoir leurs positions et surtout à changer des Lois. Il n’a pourtant rien d’un héros ou d’un être capable changer les choses à lui tout seul. Mais son engagement intarissable et répété en faveur d’une révision et d’une augmentation des salaires pour les employés noirs de la Maison Blanche, confirment son engament politique et l’influence pas si minime que cela qu’il a pu avoir dans les plus hautes sphères politiques et auprès des Présidents qui se sont succédé à la Maison Blanche, d’Eisenhower à Reagan en passant par Nixon et Kennedy.

Un portrait assez fascinant et nuancé au final de cette figure de ce Majordome.

http://www.youtube.com/watch?v=8JEc0BMYAVE

Film américain de Lee Daniels avec Forest Whitaker, John Cusack, Robin Williams, Lenny Kravitz, Oprah Winfrey (02 h 10)

Scénario de Danny Strong et Lee Daniels sur une idée de Will Haygood : 

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Mise en scène : 

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Acteurs : 

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Compositions de Quincy Jones et Rodrigo Leao : 

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