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Sylvie Germain, Magnus.

Par Mademoizela


Sylvie Germain, Magnus.Magnus, a, um : adjectif latin qui signifie « grand ».Sylvie Germain, Magnus.Magnus c’est aussi le nom de l’ours en peluche de Franz-George le héros du roman de Sylvie Germain. Enfin, c’est le nom qui est inscrit sur l’ours… Comment savoir après tout quand on a perdu la mémoire et que votre mère vous raconte vos propres souvenirs ? Et si ces souvenirs n’étaient que pure invention ? Comment savoir qui on est quand tout ce qu’on sait de soi, on l’a appris d’un autre ? Franz-George est une page blanche sur laquelle sa mère a gravé des souvenirs ; mais le passage de la réalité vécue à l’histoire racontée a connu des distorsions, des erreurs d’impression. Sylvie Germain, Magnus.  

I. Magnus, un roman à l’image de la vie.

Le roman suit une composition originale : l’auteur ne parle pas de chapitres mais de fragments, de notules, de séquences, de Résonnances et d’échos, de litanie, de palimpseste. Le roman commence par une ouverture qui équivaut à la naissance et se termine par un fragment « interrogé »; comme si le héros avait réussi à reconstituer sa vie, et était prêt à vivre pleinement. L'avenir est peut-être la seule chose dont il soit certain... Quel paradoxe! S’élabore une initiation du personnage principal à travers sa quête d’identité. Les fragments romanesques correspondent effectivement aux bribes de souvenirsépars appartenant à l’enfant. Dans les notules et les séquences, c’est l’histoire personnelle de cet enfant qui est mise en parallèle avec la grande Histoire Universelle. Les notules correspondent à des éléments biographiques, des éléments encyclopédiques qui font le lien entre la vérité romanesque et la réalité. Les « Résonnances » et les « Echos » font le lien entre le passé et présent comme si l’histoire se répétait. On a véritablement l’image de la réverbération du passé à l’infini à travers de multiples miroirs.Sylvie Germain a fragmenté son roman pour rendre compte de l’existence humaine faite de brisures, d’accrocs et qui n’est jamais linéaire. On s’aperçoit que le roman ainsi scandé prend consistance grâce à l’accumulation de fragments. Finalement, elle fait l’analogie entre la constitution du roman et la construction de l’être humain. L’enfant, ici, se construit grâce aux fragments de sa vie. 

II. Une parole paradoxale

La parole est mise en avant à travers la profusion de la communication maternelle et le mutisme de l’enfant. Est ainsi mis en œuvre le pouvoir de la parole qui ressuscite, qui crée, qui rappelle mais qui ment. Cela rappelle sans conteste l’opposition entre le « Mythos » (l'invention) et le « logos. » (la logique, le réel), l’envers et l’avers du langage. L’insistance sur le langage se fait aussi sentir grâce à la réflexion sur celui-ci en tant que son et en tant que sens. Pour l’enfant, le langage ne se réduit qu’à des sons alors que pour celui qui profère les mots, il y a un vrai sens. Un peu comme lorsque l’on entend une langue étrangère que l’on ne connait pas : le langage se résume à un charabia, à un bruit de fond sans profondeur.
La vision de Sylvie Germain dans ce roman est totale dans la mesure où elle ne considère par l’histoire romanesque sous un seul angle mais se force à retourner sous toutes les coutures chaque élément traité. D’où les éternelles oppositions mises en valeur dans ce roman : la perception de soi et la perception de soi par l’autre, l’apparence et la profondeur, la vérité et le mensonge, la réalité et la fiction, la création et la démolition, etc etc…

"Comment ne pas tout suspecter jusqu’à soi-même quand on a distillé en vous tout mensonge ?"

III. La réalité et la fiction : deux éléments interchangeables


L’histoire du héros est fictive. Cependant, on va trouver en parallèle à cette vie fictive des éléments tirés de l’histoire réelle. De même, tout ce qui est de l’ordre de la vérité dans le roman va être contrebalancé par des mensonges, des non-dits qui ont brouiller la Vérité. A plusieurs reprises, notre personnage fictif pour nous mais réel dans sa fiction va sombrer dans une nouvelle fictivité puisque toute sa vie n’est que mensonge et que de sa vie, il n’y a rien de vrai. On voit alors comment une personne peut devenir un personnage, un être qui n’existe pas, quand toute sa vie s’écroule et quand son identité est friable et erronée. La mère réinvente le passé pour reconstruire le présent, reconstruire son fils…. Mais les bases étant mensongères, la vie du fils apparait alors comme pure fiction..
« Elle brode, elle enlumine le passé, elle estompe autant qu’elle peut les souvenirs des dernières semaines et promet un futur radieux. »

IV. La quête identitaire


L’enfant va se trouver confronté à de multiples changements de noms : il revêt diverses identités pour échapper aux forces de l’ordre. Il se verra tour à tour fils d’untel puis d’un  autre, et encore un autre. La question « qui suis-je » laisse place rapidement à l’interrogation « d’où viens-je » ? Quelles sont mes origines ? Comment se construire quand on ne sait pas d’où l’on vient ? Les changements de nom donnent l’occasion au personnage de passer incognito dans le monde ; mais son drame est surtout d’être inconnu à lui-même. Il s’invente d’autres moi, des doubles de lui-même. Comment s’y retrouver ?La problématique du nom et de l’identité est visible ici :
« Qu’est devenu le soleil nocturne qui sonnait voluptueusement dans sa poitrine ? L’a-t-il aussi troqué, comme son nom, comme sa montre et tant d’autres objets, contre des ivres ou des faux papiers ?"

La seule chose à laquelle notre héros peut se raccrocher et qui ne semble pas mentir, c’est Magnus, son ours en peluche. Sauf si…

V. La question qui fâche.

La question du nazisme couvre tout le livre mais pas comme d’ordinaire. Ici, on a la représentation du Nazi et de sa famille. On ne voit pas le nazi du point de vue de la victime mais du point de vue du bourreau, ou de la famille du bourreau. Cette question m’a empêché de dormir. D’un point de vue extérieur – et j’en ai déjà parlé-, les collabos me débectent (pardon pour le langage), les nazis me donnent la gerbe (désolé pour ces propos) mais je parle en tant que citoyenne des années plus tard… Sylvie Germain m’interroge dans son roman… Je sens qu’elle me pose la question « Détesterais-tu tes parents si tu apprenais qu’ils étaient d’anciens nazis ? » D’emblée, je pense « OUI ! ». En y réfléchissant… Si je pense à mes parents, je me sens incapable d’éprouver de la haine à leur égard. S’ils m’annonçaient qu’ils avaient torturé et tué des millions de personnes, est-ce que je cesserais de les aimer ? Je trouverais leur acte répugnant. Mais, ma réaction serait de les fuir, ne jamais les revoir parce que je sais que ne pourrais pas les haïr en tant que parents. La fuite serait davantage un moyen de ne pas me confronter au fait d’aimer des personnes qui ont commis les plus horribles crimes. C’est plus facile de parler d’une éventualité car je sais que mes parents –au vu de leurs dates de naissance respectives- n’ont pas été des nazis, ni des collabos… La question me taraude; elle m'obsède parce que je ne sais pas et que je n'aurai probablement jamais la réponse (et heureusement)!
Sylvie Germain, Magnus.C’est là la force de Sylvie Germain : elle pose les questions mais ne répond à aucune ; soulève un maximum de réflexions, de débats intérieurs. Son roman m’a bouleversée.C’est le but de la littérature : interroger le monde pour laisser une infinité de réponses. On ne lit pas pour trouver des réponses mais pour trouver des questions. Et, il faut dire que depuis cette lecture, je cogite.

"Les rêves sont fais pour entrer dans la réalité en s’y engouffrant avec brutalité, si besoin est. Ils sont faits pour y réinsuffler de l’énergie, de la lumière, de l’inédit quand elle s’embourbe dans la médiocrité, dans la laideur et la bêtise."Sylvie Germain, Magnus.

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