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Belle histoire d’amitié (et découverte d’une figure méconnue de la psychanalyse)

Par Borokoff

A propos de Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) d’Arnaud Desplechin ★★★½☆

Mathieu Amalric, Benicio Del Toro - Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) d'Arnaud Desplechin

Pendant la seconde guerre mondiale, Jim (Benicio Del Toro), un Américain aux origines indiennes « Blackfoot » (tribu des Pikunis, installée dans le Montana) un brin porté sur l’alcool, est victime d’un accident et d’un choc sur la tête. De retour aux États-Unis, il développe des vertiges et des troubles de l’audition, des pertes momentanées de la vue voire de la notion de rêve et de réalité. Alors qu’il a été transféré à l’hôpital militaire de Topeka (Kansas), les médecins qui l’auscultent pensent d’abord à des séquelles physiques avant d’abandonner cette piste et de privilégier des symptômes psychologiques, diagnostiquant le début d’une schizophrénie. Mais les professeurs n’en pas si sûrs. C’est pourquoi ils font appel à Georges Devereux (Mathieu Amalric), anthropologue et psychanalyste français, spécialisé dans les cultures amérindiennes, justement en séjour du côté de New-York…

D’abord, Georges Devereux a vraiment existé. Père de l’ethnopsychiatrie (ou ethnopsychanalyse), dont le précurseur fut Géza Róheim, c’était aussi un poète, un chaman, un pianiste d’origine roumaine et hongroise qui a publié treize livres en français dont Psychothérapie d’un Indien des Plaines (paru en 1951), qui a inspiré le film.

Benicio Del Toro - Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) d'Arnaud Desplechin

Benicio Del Toro

Avec malice, et un plaisir manifeste, Amalric interprète un Devereux dont on s’amuse à constater, dès le début du film, qu’il est un trublion suscitant à la fois admiration et scepticisme, méfiance et fascination chez ses confrères américains.

Construit comme une enquête policière, une recherche minutieuse dans les souvenirs, les rêves et les dédales du cerveau tourmenté de Jim (que Devereux appelle Jimmy Picard), Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) est l’histoire d’une rencontre improbable entre deux hommes. Improbable, mais pas tant que cela au regard d’une souffrance que psychanalyste et patient ont en commun comme ils sont tous deux apatrides.

Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) décrit les liens d’affinité qui vont bientôt naître entre Devereux et Picard. Au départ timides mais intrigués l’un par l’autre, les deux hommes vont s’apprivoiser, se découvrir et s’apprécier à travers de longs entretiens filmés. Ce sont ces liens d’amitié et d’un rapprochement que l’on pourrait qualifier d’ « affectif » (toutes proportions gardées) que le film dépeint de manière assez remarquable, remuante et passionnante, grâce à un procédé filmique sobre qui n’en fait que mieux ressortir le jeu des acteurs.

Mathieu Amalric, Benicio Del Toro - Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) d'Arnaud Desplechin

Mathieu Amalric, Benicio Del Toro

Si on a pu lire que Devereux, spécialiste des Indiens Mohave, est allé jusqu’à s’identifier à son patient Jimmy P., le film opte pour une approche plus nuancée des choses.

Prenant souvent le point de vue de Devereux (Jim est vu d’un point de vue plus objectif et plus extérieur), Jimmy P. (Psychothérapie d’un Indien des Plaines) s’attache à chercher l’origine du mal qui dévore Picard. Ce que Devereux cherche à démontrer, c’est que le traumatisme psychique de Picard est le fruit d’un double choc, à la fois culturel et personnel. Culturel, avec le massacre des Indiens Pikunis (et le génocide des Indiens tout court) aux Etats-Unis, et personnel, avec la culpabilité qu’éprouve Jimmy P. depuis l’âge de ses dix-sept ans, lorsqu’il abandonna « lâchement » sa copine du moment, tombée enceinte de lui. Devereux aurait pu rassurer Jim en lui citant du Rimbaud (« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans ») mais c’est plutôt sur la propre quête de rachat de son patient qu’il s’appuiera, qu’il misera après lui avoir révélé de quels maux il souffrait.

Si le film de Desplechin simplifie l’approche et l’œuvre de Devereux, adepte d’une « pratique transculturelle de la psychiatrie, expliquant les relations entre le psychisme et la culture, entre les normes sociales et les désordres de l’esprit » et dont on dit que l’œuvre écrite est « difficilement accessible », la relation entre le psychanalyste et son patient est néanmoins dépeinte de manière assez profonde et marquante. Devereux et Jimmy sont interprétés par un duo d’acteurs au sommet et qui parvient à merveille à faire ressentir tantôt la gêne tantôt la complicité qui existent entre eux, malgré leurs différences voire leur opposition de style et de caractères. Le jeu d’Amalric et Del Toro est assez fort pour rendre émouvante, poignante et universelle cette histoire d’amitié, sans tomber dans des raccourcis trop faciles ni des simplifications de psychanalyse qui tendaient pourtant les bras au film. Un piège que le réalisateur a su éviter tout en finesse, au-delà de la complexité de l’œuvre et du personnage de Devereux, sorte de Jacques Vergès de la psychanalyse (certes, la dimension politique et la provocation sont beaucoup plus marquées chez l’avocat disparu le 15 août dernier) qui reste, près de trente ans après sa mort, une figure aussi secrète que complexe, mystérieuse que fascinante…

http://www.youtube.com/watch?v=Kxb-aKsZSn8

Film franco-américain d’Arnaud Desplechin avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee  (01 h 56)

Scénario d’Arnaud Desplechin, de Julie Peyr et Kent Jones : 

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Mise en scène : 

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Acteurs : 

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Compositions d’Howard Shore : 

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