L'histoire se déroule dans les années soixante, en Bourbonnais, dans la ville industrielle de Montluçon et dans la campagne environnante : Allier, Creuse, Puy- de- Dôme, Berry (aux confins de la vallée noire de Georges Sand).
L'époque est intéressante, dans la mesure où elle se situe à la charnière d'un monde en train de basculer : La pilule n'existe pas et les héros de ce conte Picrocholin redoutent par-dessus tout une paternité non souhaitée, l'épée de Damoclès principale de la guerre en Algérie venant de disparaître. L'armistice vient en effet d'être signée avec le FLN et les personnages vont échapper de peu, grâce à un sursis d'étude pour certains, à l'obligation d'aller se battre pour une cause qui n'est pas la leur.
Le titre, le prince des parquets salons (appelés aussi parquets de bal, bals-parquets, bals montés dans d'autres régions) fait référence à ces salles de bal en bois démontables (dont vous trouvez une photo dans la fiche. Ces "parquets salons accompagnaient les manèges de fête foraine de village en village, avant que les salles des fêtes construites progressivement dans les bourgs ne les remplacent, et avant que les discothèques et le yéyé ne relèguent le musette dans les oubliettes de l'histoire.
Que l'on ne s'y trompe pas ! L'histoire n'a rien d'une bluette pour midinette des champs. Nos écumeurs de bal ne sont pas des enfants de cœur. Ils veulent avant tout faire le plus de conquêtes possibles et s'en vanter auprès des copains, même s'ils cachent sous leur façade de cynisme et de machisme, une dose non négligeable de romantisme, pour certains en tout cas.
Ames sensibles s'abstenir. Si vous ne voulez pas être confrontés au langage fleuri de ces adolescents et à leur psyché libidineuse, passez votre chemin. L'auteur a l'immodestie de penser que les préoccupations des jeunes mâles boutonneux n'ont pas fondamentalement changé. Le narrateur exprime d'ailleurs à plusieurs reprises l'idée que ce conte mirliton et « régionaliste » comporte sa part d'universalité, qui réside, entre autres, dans les fantasmes puérils exprimés par les jeunes Pieds Nickelés de ce « Road book » bourbonnais. Certaines des conversations et des rodomontades racontées pourraient en effet l'être (avec des variantes générationnelles et linguistiques bien sûr) sous presque toutes les latitudes et à toutes les époques…… Il suffit de relire Rabelais, Balzac et Joyce (si l'on ne cite que ceux-là) pour s'en convaincre.
L'histoire relate la virée de trois jours d'une bande de Vitelloni montluçonnais dans les bals de l'Allier, du Puy de Dôme et du Cher.
En chemin, ils ont des aventures, le plus souvent à l'arrière des voitures bien sûr, parfois dans un champ. Comme sans doute la plupart des petits machos immatures du monde, ils se vantent beaucoup auprès de leurs copains, comparent leurs prouesses, réelles ou imaginaires, se moquent de ceux qui rentrent bredouilles.
Le personnage principal, fils de boucher et normalien à Moulins essuie plusieurs échecs cuisants au cours de l'équipée sauvage, et devient la risée de la bande, qui lui reproche de se prendre pour un intello, de trop parler, de confondre son destin personnel avec celui de personnages de romans dont l'action est située dans leur terroir (Le grand meaulnes, Les maîtres sonneurs), mais aussi de livres écrits par des auteurs plus « régionaux » qu'Alain Fournier ou Georges Sand : Henri Guillaumin, Charles Louis-Philippe, Henri Pourrat, etc.…..
Il voudrait partager ses souvenirs de lecture avec ses compagnons de débauche, leur faire apprécier la beauté de certains paysages lors d'arrêts « techniques », mais il se heurte à l'incompréhension générale et aux sarcasmes de la bande.
En raison de ses mésaventures auprès des filles rencontrées, il se met à souffrir intensément des deux spleens locaux dont sont victimes les autochtones : le «Viâ » et le « Vezon.». Il fait part abondamment à ses compagnons de son blues champêtre, digressant sur la perversité des filles et celles des adultes, ces derniers étant selon lui responsables, à l'époque, d'un « grand complot » destiné à brimer l'élan vital et surtout la sexualité de la jeunesse …..
Le livre est aussi une peinture de la vie dans une petite ville de province de ces années-là : début de l'immigration, (Polonais, Espagnols, Italiens .Portugais, quelques Africains seulement, arrivée des pieds noirs). La lutte des classes fait rage, à l'école, dans les quartiers et dans les familles, mais sur un mode plus clochemerlesque que dramatique : Certains profs ne font pas toujours preuve de la neutralité exigée par l'éthique laïque. On assiste à de petites prises de bec entre les parents du personnage principal - qui sont des petits commerçants restés prolétaires dans leur tête et en train de faire faillite – et leurs voisins et amis, dont ils se sentent toujours proches malgré une ascension sociale qui ne durera pas…
Le personnage principal, normalien à Moulins, n'a pas plus envie de se passer la corde au cou, que d'embrasser la carrière d'instituteur. Il aurait voulu poursuivre des études après son année de philo, mais n'a pas été admis à le faire par l'administration, cette dernière ayant besoin de hussards noirs nouvelle vague pour aller alphabétiser les campagnes. Il redoute plus que tout de se retrouver enseignant dans un village perdu de l'Allier l'an prochain et veut aller voir au-delà de la ligne d'horizon bornée qui est la sienne, tout en craignant d'être éloigné de son coin de terre, de la bande d'amis qui le protègent comme un cocon douillet. L'air marin ou la douceur angevine, deux tropismes apparemment inconciliables !
Le roman est aussi un essai de mettre en mots le sabir natal montluçonnais (ou plus largement bourbonnais), qui n'est pas une langue, ni même un patois, mais du français populaire charriant encore quelques expressions paysannes, héritées des divers parlers que pratiquaient les grands-parents, venus pour la plupart avant la deuxième guerre mondiale dans le bassin industriel pour trouver du travail et afin de ne plus connaître le sort des paysans pauvres et des maçons de la Creuse, ceci pour la branche maternelle de la famille du personnage principal. du côté paternel, on a échoué ici afin d'échapper au destin des gueules noires du Nord, aux coups de grisou et à la silicose, à un nouvel exode en cas de guerre.