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Après vous avoir pondu il y a quelques temps déjà une réflexion sortie de derrière les fagots à propos de "pourquoi voyage-t-on ?", je vais vous faire le remake ce soir avec "pourquoi la danse ?". Attention les mouchoirs, séquence émotion, je replonge dans mes inintéressants et plats souvenirs d'enfance !
D'abord, pourquoi j'ai commencé la danse ?
(je suis désolée et m'excuse par avance auprès de ceux qui attendent de l'action, mais, tel le téléspectateur mécontent avec sa télécommande, lecteur, si tu es lassé, fait avance rapide, et si je te saoule vraiment, zappe, au lieu de râler, personne ne t'oblige à lire !). Désolée mais obligée de commencer par le commencement pour arriver à la fin (waou, que de philosophie ce soir !).
Pas vraiment d'antécédents dansesques (dantesques, peut-être) dans la famille, juste ma grande sœur qui, à défaut de réussir à être critique de danse ou danseuse professionnelle, a chaussé ses premiers chaussons très tôt et ne les a toujours pas retirés à l'heure qu'il est, soit quelques 30 ans plus tard (elle a changé de pointures plusieurs fois, quand même, faute de quoi elle aurait aujourd'hui des pieds qui ressemblent à ceux des Chinoises dont on bandait les artiches pour les empêcher de grandir. Les pieds, pas les Chinoises). Tout cela pour vous dire que ce n'est pas la motivation qui m'a poussée sur le plancher, mais plutôt un instinct grégaire mal assumé, une envie de faire plaisir, de faire comme. Pas une bonne raison, donc.
Pourquoi, alors, est-ce que j'ai continué ?
Cher lecteur, il y a des choses comme ça, quand on commence, on a du mal à s'arrêter. Comme la drogue peut-être, une chose dont on sait qu'elle nous cause de la souffrance mais qu'on s'obstine à poursuivre. Masochisme, si tu le dis. Mais cela n'engage que toi. Pour ma part, j'y ai quand même trouvé mon compte. Le classique, pas trop. Trop exigent, trop raide, trop figé, trop froid (la salle était mal chauffée, aussi... Je blague). Le modern jazz, bof bof, passé un certain âge, il faut savoir dire stop. Le contemporain, oui, ça oui, un grand oui. J'ACHETE !, comme dirait un certain jury d'une certaine émission de stars qui dansent à la télé (enfin, qui essaient, on y reviendra). Il faut dire que j'étais tombée sur la crème de la crème. Mylène Riou, grande chorégraphe, passée par les meilleures écoles. Une volonté à toutes épreuves, une vision exacte de ce qu'elle veut qu'on lui donne, une ténacité et une exigence telles que le rendu est toujours exact, "pulido", comme on dit en espagnol ("propre", en français, mais la notion de pureté est trop présente, alors que c'est la finesse et le soin que je veux faire ressortir dans cette idée-là). Mylène, c'est le professeur habité, la danseuse entière, qui vit pour son art et pour le transmettre. Les ballets de fin d'année n'avaient rien à voir avec les kermesses de certaines autres écoles. C'était plutôt du travail de pro et c'était une fierté de faire partie de ce projet-là.
Mais, tu te demandes et à raison, cher lecteur, pourquoi avoir arrêté ?...
Justement, parce que le travail était trop professionnel et donc trop exigent pour l'ignorante adolescente de 15 ans qui n'avait pas au fond d'elle (du moins le croyait-elle), la passion et l'envie nécessaires à la poursuite de ce chemin ardu. Je n'avais sans doute pas assez confiance en moi, et les séances intensives de répétition me renvoyaient en pleine figure mes incapacités (pourtant pas si grandes, quand je les regarde avec la bienveillance de la distance temporelle). La cocotte-minute bouillait et, un soir, ce fut le burn-out. Impossible d'y retourner. Nous étions à la veille des répétitions finales pour un nouveau ballet et l'école de danse a eu beau me rappeler, j'étais incapable de réagir, incapable de revenir, incapable de danser. Le trou noir. Cela a peut-être été mal pris, mais je me revois à cette époque-là et j'en ai un souvenir douloureux, encore aujourd'hui. Douloureux parce que mitigé... Chaque année pendant des années, j'ai refait pendant des nuits le même cauchemar : j'étais dans la salle de danse et je n'arrivais pas à faire une figure, j'entendais qu'on me hurlait dessus, je défaillais. Ambiance...
Cher ami lecteur, tu as encore raison de demander, pourquoi vouloir recommencer ? !
Amour-haine, une relation ambiguë avec la danse. Pendant des années j'ai détesté en bloc, mais aujourd'hui c'est mon corps qui la réclame. Je te hais et j'ai besoin de toi comme jamais. Une vraie histoire passionnelle, en somme. Quand je vois ces stars qui tentent de danser à la télé (peu importe, ensuite, si on trouve le concept bon ou mauvais, si on adhère ou pas), quand je vois les défis qu'ils se lancent et leur plaisir de réussir à les relever, le bonheur que c'est de laisser tout son être s'exprimer à travers son corps, je comprend mieux pourquoi le mien, récemment, m'a fait signe que toc-toc-toc, il était temps de reprendre la danse. Je me souviens du jour exact où le fax est arrivé sur les téléscripteurs. Bien sûr, depuis quelques années, j'avais envie de recommencer à danser. Mais les mauvais souvenirs refaisaient surface, et ma trop grande culpabilité d'avoir arrêté d'un coup m'interdisait de revenir sur le plancher. C'qu'on est con, quand on est jeune ! Et puis j'ai vu ce fameux clip d'Emmanuel Moire avec la danseuse Fauve. J'aime les paroles de cette chanson, sa mélodie, et les images de la vidéo dansée m'ont fait l'effet d'un électrochoc. Je me suis dit : ok, je saisis le message. Ce n'était pas un déclic cérébral, réfléchi, mais un élan qui m'est venu de tout au fond des tripes, une chaleur dans le ventre et une pression sur le diaphragme : ça y était, le virus m'avait rattrapée. Parce que danseur, finalement, on l'est toute sa vie. Je reste marquée au fer rouge par cette pression d'avant le spectacle, par l'adrénaline de la scène (que je retrouve en musique), par les vibrations de l'âme quand elle parle par les mouvements du corps, par la sueur de l'exercice répété mille fois, par les douleurs qui mènent toujours à la fierté du travail accompli.
Alors, cette année, je ne me suis pas inscrite. Mais... je n'ai sûrement pas dit mon dernier mot.
Merci Mylène...