« Suite à un accident grave de voyageur ... » ainsi débute le message lancinant d'une voix métallique, annonciateur d'un suicide non nommé (pour ne pas donner l'idée à d'autres ?) et d'arrêt temporaire de trafic transilien. C'est aussi la base du dernier écrit d'Éric Fottorino, ému par le décès de trois personnes courant septembre 2012 en quelques jours. L'auteur s'est interrogé sur l'acte de fin de vie en un lieu public aussi emblématique qu'un quai de gare ou un pont, d'une violence extrême pour celui ou celle qui se l'inflige, pour les témoins directs (conducteur, passagers...) ou indirects (famille, pompiers, policiers...).
Alternant essai, discussions ou forums de réflexion, comme un écho de toutes les douleurs sociétales, ce recueil rappelle les statistiques saisonnières, les réactions diverses et parfois cyniques ou carrément intolérantes, proférées par certains tellement pressés, tellement conditionnés par des cadences infernales au point d'en oublier leur propre humanité. Éric Fottorino retrace trois tristes passages à l'acte avec réserve et empathie tout en conscientisant son lectorat. Suite à un accident grave de voyageur, tel un linceul littéraire nécessaire, honore d'une certaine façon ces trois corps à jamais disloqués, de ceux qui ont choisi de crier leur souffrance à la face du monde, d'interroger les vivants sur le vrai sens de la vie, parce qu'après tout, arriver en retard n'a jamais tué personne. Sauf une, malheureusement une.
Éditions Gallimard
55 pages émouvantes, très fortes, remarquablement écrites.
page 47 :
N/A, lui (elle ?), est écœuré(e) : « ce n'est pas l'état du corps qui me choque le plus maintenant. C'est le comportement et les paroles de certains. Tout ce que je souhaite à ces personnes qui veulent qu'on continue à rouler sur le corps car il est mort donc on s'en fout, c'est qu'un jour on ne leur annonce pas que la personne sur qui le train vient de passer est un membre de leur famille. »
page 55
Par leur geste, certains ont sûrement voulu secouer la société qui rejette les plus vulnérables (...) Ces solitaires nous renvoient à notre solitude (...) Celle qui naît d'un accord tacite, d'une conspiration du silence. Qui ne dit mot consent. Qui ne dit suicide se condamne à le revivre ad nauseam. Qui ne dit combien, pourquoi et comment s'expose, à l'image de notre pays, à subir une crue de cette mortalité honteuse. Les mots parlent malgré eux. France et souffrance, France et sous-France. Le suicide interroge les fondements de notre condition humaine. Notre société du chiffre triomphant et des records insignifiants ne sait pas relier chômage et suicide, précarité et suicide, harcèlement et suicide, perte de l'estime de soi et acte désespéré. Laideur et envie d'en finir.