Rock en Seine, c’est un peu notre famille, c’est notre habitude de fin d’été, les derniers rayons de soleil, la dernière occasion de passer à Paris avant de reprendre la vie provinciale, c’est devenu un rituel, une obligation. Quand cette année, certains ont décrié la programmation, on attendait de voir, patiemment. Aussi fidèles au festival que critiques envers ce qu’on y voit, on s’est rendus une fois de plus au parc de Saint-Cloud pour le dernier week-end d’août, muni de nos petits carnets et de bouchons d’oreilles (qui se révèleront parfois utiles), voilà ce qu’on a à en dire.
Début de festival ensoleillé et joyeux : Chance The Rapper, Belle & Sebastian, Daughter, Tame Impala
Il faut reconnaître à Chance The Rapper sa capacité à ouvrir le bal correctement : le soleil tape et les spectateurs sont peu présents, mais DJ Orio motive les troupes à grand coups de Harlem Shake et de rap US (coucou Kanye, as-tu pensé à demander des royalties au petit bonhomme ? Il a dû nous passer au moins six morceaux de ta discographie), c’est très indélicat mais ça a le mérite de l’efficacité, et de «l’humour». Puis, au bout d’un quart d’heure, Chancelor de son prénom entre en scène coiffé d’un bob, sans trop qu’on comprenne la raison du «retard» – ni celle du bob. En jouant quasiment l’intégralité de sa mixtape Acid Rap et en la ponctuant d’appels à la foule, il n’aura pas marqué les mémoires mais aura réussi son job.
Pour une raison inconnue, on rate l’appel de Savages sur la scène de la cascade, mais on les reverra plus tard dans l’année, ce qui n’est pas le cas de Belle & Sebastian. Alors qu’on pensait se prélasser dans l’herbe poussiéreuse de la Grande Scène, les Écossais surprennent : on y voit même une stage invasion, la bonne humeur se répand, les belles mélodies s’enchaînent, le public sautille, un drapeau aux couleurs de l’Écosse flotte au loin (pour Franz Ferdinand ou pour Belle & Sebastian ? La question posée par le groupe, le possesseur du drapeau répondra Belle & Sebastian), et on en repart le sourire aux lèvres, heureux de la surprise, pour traverser les deux kilomètres qui séparent la Grande Scène de la Scène Pression Live (Pression Live c’est, pour ceux qui l’auraient raté, l’activité musicale des Brasseries Kronenbourg – qui ont donc une scène dédiée, avec une programmation «émergente» et de qualité) ; pour aller voir Daughter. Pas vraiment une découverte, ni tout à fait un réel coup de cœur, on s’avoue envoûtés par ces hymnes doux et prenants, comme des chansons de stade qu’on préférerait écouter tout seul sous la couette. Retour du côté de la grande scène pour revoir Tame Impala, qui en avaient déçu beaucoup quelques semaines plus tôt à La Route Du Rock, et ne séduiront pas bien plus dans le domaine de Saint-Cloud. Les problèmes de son en moins mais les rayons du soleil en plus, on retrouve de toute façon la même mollesse générale, même quand nos morceaux fétiches s’enchaînent. Alors, Tame Impala, groupe conçu pour les petites salles plutôt que pour les grosse scènes ? On a du mal à voir comment il pourrait en être autrement.
Tame Impala ©Nicolas Joubard
Suite de soirée dans la foule : Alt-J, Franz Ferdinand et des bouts de Paul Kalkbrenner, Hanni El Khatib et !!!
DIIV devant passer sur la Pression Live mais ayant annulé au profit des belges Balthazar, on saisit l’occasion pour aller voir Alt-J (notre première fois), tout comme une (trop) grande partie des spectateurs présents. Plaisants mais jamais transcendants, on est heureux de voir le quator se réjouir en voyant son public mimer des ∆ avec leurs doigts. Si la communication n’est pas leur fort, leurs morceaux devenus tubes et sonneries de téléphone enchantent. Sans être la claque que certains espéraient, la foule est captivée, c’est bien là le principal.
Franz Ferdinand ©Nicolas Joubard
Les rois du jour sont Écossais, résument nos années collège-lycée avec une bonne poignée de tubes incontestables et des dizaines de morceaux à la composition pop irrésistible, leur batteur porte ce jour là une chemise à l’effigie de JFK, leur leader se prénomme Alex et le groupe porte comme initiales FF. Ce n’est pas Factory Floor (qu’on aurait bien aimé apercevoir ici à la nuit tombée), mais bien Franz Ferdinand, qui captivent le parc avec autant de morceaux récents que d’anciens. Kapranos répète «Rock en Seiiinnne» au moins toutes les deux chansons, sûrement pour qu’on oublie pas que c’est ici que se joue la communion. Une communion, qui étonnamment, atteint son apogée sur une version longue de This Fire, où la foule reprend en choeur «This fire is out of control / we’ve got to burn this city, burn this city». On se revoit presque ici trois ans plus tôt, chantant Wake Up sous la pluie en compagnie d’Arcade Fire, sourires aux lèvres, cheveux ruisselants. Le final de folie sur Outsiders où le groupe se réunit autour de la batterie et le mosh pit inarrêtable confirme notre impression : on vient déjà d’assister à un des meilleurs lives du week-end.
On comptait sur Kendrick Lamar pour faire partie de notre top lui aussi, mais il arrive sur scène caché sous sa capuche et avec un backing band qui donne un aspect rock aux morceaux. Ce qui en soi aurait pu être un avantage (montrer que le rap aussi peut être une musique de live) pénalise l’ensemble par un manque total d’énergie du groupe et par un manque de charisme du chanteur. Quand on ajoute à cela les problèmes de son qui ont mené à un silence de cinq minutes (sur Bitch Don’t Kill My Vibe, chienne d’ironie), la déception prend le pas sur l’étonnement. On partagera le reste de la soirée entre Paul Kalkbrenner, vu et revu, devant qui les kids se pâment encore en 2013 sans qu’on comprenne tout à fait pourquoi ; Hanni El Khatib, vu et revu, devant qui les vieux rockeurs se pâment encore en 2013 sans qu’on comprenne tout à fait pourquoi ; et !!!, vu et revu, devant qui tous les autres dandinent du cul, et on comprend tout à fait pourquoi.
!!! ©Nicolas Joubard
Un début de samedi qui peine à décoller : Eugene McGuinness, JC Satan, Laura Mvula
Notre samedi débute avec Eugene McGuinness, dont on a du mal à saisir le succès persistant. S’il suffisait de fréquenter une connaissance d’Alex Turner pour avoir du talent, ça se saurait, non ? On se pose la question de l’avenir de la britpop, mais en attendant, on s’ennuie. On sera un peu plus charmés par les bordelais bordéliques JC Satan et leurs guitares qui se déchaînent, tout en ayant du mal à rentrer dedans. Encore un groupe à revoir en salle donc, vu la qualité des productions studio.
La Femme (© La Femme sur Facebook)
On ne verra malheureusement que les dernières secondes du concert de La Femme, acclamés par beaucoup mais dont on connaît le set assez bien pour préférer saisir l’occasion de voir Laura Mvula sur la scène Pression Live. Skøll à la main (il n’est que 18h, faut commencer doucement), accoudés au balcon, on s’ennuie vite : la belle aux grandes boucles d’oreille, perchée sur ses talons aiguilles et emmitouflée dans sa grande parka, a un peu de mal à se déplacer et à occuper la scène. Loin d’être déplaisant mais impossible d’être vraiment emporté, ni par les pourtant jolies compositions, ni par la reprise de Bob Marley qui arrive comme un cheveu sur la soupe.
L’éventail du rock : de Black Rebel Motorcycle Club à Phoenix en passant par Nine Inch Nails…et Jackson & His Computerband
On avait déjà pris beaucoup de plaisir devant le live de Black Rebel Motorcycle Club sur la scène de la Cascade en 2010, juste après le décès du père du chanteur (et leur ingé son). On y sentait beaucoup de tension et d’émotion, mais trois ans après sur la Grande Scène, même si l’émotion s’est dissipée, la tension a su rester intacte, on ressent monter en nous une âme de vieux rocker sur ces riffs aussi jouissifs que donnés avec cœur. Plutôt que le reggae-trop-propre-sur-lui de Patrice (sa présence ici nous aura appris qu’il se produisait encore sur scène), on se rend, excités comme des puces, vers la scène Pression Live pour voir Wavves. On en repartira un peu assourdis, et surtout dépités de la bouillie sonore qui nous aura été servie. Ce qui fait un point commun avec le concert de Nine Inch Nails, au final, sur lequel on est mitigés : c’est parfois incroyablement fascinant, il serait impossible d’en décrocher, quand à d’autres moments on reste de marbre devant ces lignes et ces nappes qui semblent se superposer sans n’avoir jamais de fin. On tente donc plutôt la fin de Jackson & His Computerband, qui vient présenter sa nouvelle installation live (impressionnante) et son nouvel album (mal foutu mais composé de perles). Seul derrière ses tables, toujours en survêtement, il se sert d’un bras en métal (ou en verre ? On ne verra jamais assez bien) pour distordre le son. Ne nous demandez pas les détails, on a pas bien compris. Sans être absolument excellent, le live intrigue autant qu’il séduit. Toujours est-il qu’on repart sur notre faim, un peu tristes d’en avoir raté le début.
De Vitalic ou de Valerie June, on aurait préféré tout rater, c’est pourquoi on enfile nos boules quiès et on se jette dans la fosse pour Phoenix. Ils arrivent en stars (qu’ils sont), dans une voiture de golf (celle qui sert habituellement à l’équipe du festival pour le traverser en long et en large sans trop perdre de temps), le leader chante dans un micro au fil rouge. Bref, c’est la classe, quoi. Mais sur scène, tout est trop carré, contrôlé, et même quand Thomas Mars slamme, quelque chose ne colle pas tout à fait. Mais on ne boude pas notre plaisir pour autant, même quand les trop nombreux titres issus de Bankrupt! viennent souvent entamer notre joie. Il manque quelques vieux tubes à l’appel, disons que la compensation sera cette flopée de faux billets qui pleut sur nous lors de…Bankrupt !, logiquement. On ira voir un petit bout de Fauve avant de retrouver nos lits douillets, haut les cœurs comme disent les jeunes (on suppose que ça sous-entend l’optimisme, un truc du genre).
Phoenix ©Sylvere Hieulle
Dernière journée : rares réjouissances, mais quelles réjouissances !
MS MR ©Victor Picon
Quand arrive déjà la dernière journée, tout le monde (et ça fait fait beaucoup, le festival ayant enregistré son record de fréquentation : 118000 personnes sur 3 jours) a pris ses marques, et les jambes fatiguent : beaucoup préfèrent alors voir en début de journée les stands de différents sponsors et repartir avec des goodies (généralement une paire de lunettes : on en a collectionné six paires, et encore on pense en avoir raté) plutôt que d’aller voir les concerts. Au vu de celui de Surfer Blood, on ne peut pas leur reprocher : le groupe a bien mal vieilli depuis Astro Coast (déjà trois ans écoulés), on a maintenant affaire à un groupe qu’on croirait sorti du lycée et qui écumerait les bars les plus miteux de la ville pour vendre sept exemplaires d’un EP mal enregistré dans un garage, se faire offrir quelques bières, et gagner quelques groupies pour avoir l’air populaire histoire de se donner confiance avant de passer le bac. La déchéance totale. On attendait aussi beaucoup de Wall Of Death, jeune trio parisien dont beaucoup vantent la puissance rock en live. Du rock, on en a vu, mais de la puissance un peu moins, les notes atteignant nos oreilles de manière aléatoire, le son de cette scène de l’industrie étant particulièrement catastrophique cette année. Quand Mac Miller commence son show par une reprise maladroite des Beatles, on fuit vite se réfugier dans notre QG : la scène Pression Live, précieux refuge où MS MR et sa chanteuse aux cheveux fluo se produisent pour la troisième fois dans l’hexagone. Encore plus prenant qu’on ne l’aurait cru, les mélodies pop s’enchaînent et séduisent, les barrières sautent, les yeux s’écarquillent, jusqu’au climax du concert : cette si jolie reprise de LCD Soundsystem.
C’est conquis qu’on prend la route du live d’Is Tropical, devant qui on ne restera pas longtemps vu le son étouffé auquel on a droit : on préfèrera se prélasser devant Eels, le groupe mal sapé le plus classe du week-end. Deuxième fois qu’on les voit dans le parc, deuxième agréable surprise, il va d’ailleurs falloir qu’on arrête de croire aux surprises et admettre l’indéniable talent de Mark Everett et sa bande pour nous envoûter. En échange, promettez d’admettre l’ennui que vous procure Parquet Courts. On a du mal à croire que ces gamins trop camés, trop bruyants, et mauvais compositeurs réussissent réellement à vous convaincre de les applaudir à la fin de chacun de leurs morceaux. Peu après, Lianne La Havas voit la douceur de ses chansons écrasée par les beats lourds, lourdauds, lourdingues (ne rayez aucune mention, elles sont toutes les trois nécessaires) de Bloody Beetroots, on prend notre mal en patience, en noyant la hâte de voir Chvrches dans un «kebab» (merci de noter les guillemets).
CHVRCHES ©Victor Picon
Bien que la si jolie scène de la Pression Live se prête agréablement aux compositions des écossais, la voix de la jeune chanteuse perce nos tympans plus que nécessaires, l’ensemble manque cruellement de cohérence. Tant et si bien qu’on quitte les lieux avant la fin, notre curiosité attisée par Major Lazer. Bien mal nous en as pris, la vulgarité nous assaille de toutes parts. Surpris, comme tout le monde, par l’arrivée de Stromae venu chanter Papaoutai, on doute de la plus-value apportée à la chose. Quand Diplo insiste pour faire monter sur scène un homme lambda du public pour que deux danseuses lui twerkent dessus et collent leur imposant derrière à son visage, on baisse les yeux et quitte les lieux, embarrassés.
Avant de partir définitivement, on passe voir System Of A Down. En m’approchant, je n’entends que «this song is about my cock»…très bien, demi-tour, direction Tricky sur notre bien-aimée Pression Live. La légende arrive à l’heure, prend tout le monde de court en livrant un show bien plus rock que ce à quoi on s’attendait. Les mains se lèvent au ciel, comme si le public bénissait cette clôture intim(ist)e et imprévisible. Tricky, ivre (de bonheur ?), refuse de quitter la scène à l’heure prévue, et restera donc le dernier à avoir joué à Rock en Seine pour cette onzième édition. Ce dernier geste de rébellion nous aura montré une chose : l’inattendu (et inespéré) a encore tout à fait sa place à Rock en Seine.
Sur le chemin du retour, en traversant le Pont de Sèvres, on aperçoit la Tour Eiffel au loin. Deux touristes anglaises demandent : «Who are all these people ?», on leur explique qu’on sort de festival, elles s’étonnent que ça se finisse tôt. «That’s the magic of Rock en Seine. It begins too early and ends too early…but it’s always one of the best time of the summer» Elles ont promis de venir l’an prochain.
On fait des bisous aux membres présents de la #TeamNazisMusicaux, à Julia, à Anna, à Marion, à Louis et à Louis, à Hannya, à Morgane, à Simon, à Nico, et à la famille. See you next year, les amis; je vous présenterai les deux anglaises.