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“La Confrérie des larmes” de Jean-Baptiste Andrea

Publié le 06 octobre 2013 par Boustoune

En ces temps de marasme économique et social, que diriez-vous d’un emploi pas trop fatiguant et très bien rémunéré? Un travail de rêve, partagé entre un travail de bureau très tranquille, dans un local spacieux, et des voyages aux quatre coins du monde. Un job sans chef sur le dos, sans collègues caractériels à gérer, où il faut juste faire attention aux clients, toujours courtois et raffinés… Alléchant, non?

Ce travail de rêve, Gabriel Chevalier (Jérémie Renier) l’a décroché sans même le chercher. Un jour, l’ancien titulaire du poste, une de ses vieilles connaissances, lui a proposé de prendre sa place, lui garantissant un salaire important pour un minimum d’implication.
Gabriel n’a pas mis longtemps à accepter l’offre, tombée à point nommé. A ce moment-là, il était au fond du trou, sans travail depuis qu’il avait quitté la police, quelques mois auparavant, sans argent, sans perspectives d’avenir, avec une adolescente à charge et de nombreuses dettes à rembourser.
Depuis, ce trentenaire dépressif va beaucoup mieux. Grâce à son salaire indécent, versé chaque soir en petites coupures dans sa boîte aux lettres, il a complètement changé de look, porte des vêtements luxueux, roule en voiture de sport rutilante et offre à fille chérie, Juliette (Mélusine Mayance), tout ce dont elle a envie… Tout cela grâce à ce job idéal, qui consiste juste à porter des valises du bureau jusque chez le client…

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Là, vous vous demandez sans doute où est le piège… C’est vrai, quoi, un job pareil, c’est trop beau pour être vrai. Il y a forcément quelque chose de louche derrière tout cela… Les valises doivent forcément contenir quelque chose d’illégal. De la drogue, des armes, de la fausse monnaie…
Eh bien non, pas du tout! Gabriel peut passer la douane sans crainte d’être arrêté pour contrebande ou pour trafic, car les objets qu’il transporte n’ont à priori rien d’illicite. Mais d’ailleurs, qu’y-a-t-il de si précieux dans ces valises qui justifie le versement d’un salaire aussi conséquent?
C’est bien là la principale difficulté de cet emploi : résister à la tentation d’ouvrir les mallettes pour vérifier ce qu’elles contiennent. Le contrat signé par Gabriel stipule qu’il lui est interdit de s’intéresser au contenu des valises, et encore plus de tenter de les ouvrir. Si l’employé oubliait malencontreusement cette clause, son patron pourrait bien sévir, avec des méthodes bien peu syndicales – ou alors inspirées par un syndicat… du crime.
Pourtant, quand l’ex-flic découvre que d’autres personnes s’intéressent au précieux contenu qu’il est chargé de transporter, et qu’elles sont prêtes à tout pour lui dérober, il n’a d’autre choix que d’investiguer pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce drôle de manège…

Ne comptez pas sur nous pour vous révéler le contenu de ces fichues valises. Nous n’avons pas signé de contrat de confidentialité, mais nous n’avons pas envie de finir au fond la Seine, les pieds entravés dans un bloc de ciment…
Pour connaître le fin mot de l’histoire et le lourd secret qui se cache derrière cette étrange société de livraison, il vous faudra regarder jusqu’au bout La Confrérie des larmes, le nouveau long-métrage de Jean-Baptiste Andrea. On vous rassure tout de suite, même s’il est loin d’être un chef d’oeuvre, le film vaut le déplacement : il s’agit d’un thriller efficace, qui captive autant par son ambiance mystérieuse et son suspense croissant que par les questions morales qu’ils soulève.

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La bonne idée du cinéaste et de son coscénariste, Gaël Malry, c’est de centrer le récit sur le seul Gabriel, et de forcer ainsi l’identification du spectateur au personnage, ou du moins, de l’accompagner au plus près pendant sa quête de vérité.
Pendant la première partie du film, on s’inquiète de ce que va devenir cet ex-flic dépressif et sans ressources, qui traîne dans les tripots clandestins de la capitale, avant de partir s’imbiber dans les bars interlopes, encore plus endetté et sous la menace des représailles d’un usurier patibulaire et de son homme de main. Il n’a plus les moyens de payer ses factures et de satisfaire aux besoins matériels de sa fille. Evidemment, il peine à trouver un travail digne de ce nom, avec son look hirsute et son problème de boisson, et il s’est brouillé avec les seules personnes capables de l’aider. Le film décrit une véritable déchéance sociale, une descente aux enfers vertigineuse.
La seconde partie du film est tout le contraire. Une ascension fulgurante. Mais elle se fait dans un climat étrange, qui suscite une certaine angoisse, un trouble indicible. Qu’il soit dans son bureau vide, dans un bâtiment désert, à attendre un hypothétique appel, ou qu’il parte en livraison à l’autre bout du monde, le personnage n’est pas serein. Il sent que quelque chose ne tourne pas rond, que quelque chose de mal se cache derrière toute cette histoire. Et plus les minutes passent, plus la tension monte.

Evidemment, pour que le dispositif fonctionne, il fallait un acteur qui possède une forte présence à l’écran, et qui soit capable de rendre crédible la métamorphose du personnage au fil des minutes. C’est pourquoi le cinéaste a confié le rôle à  Jérémie Renier. L’acteur belge, à peine sorti de son rôle de missionnaire des bidonvilles dans Elefante Bianco, est une fois de plus très bon dans la peau de cet homme anéanti, au fond du trou, qui refait surface progressivement, jusqu’à retrouver son instinct de flic.
La performance est d’autant plus belle que le film ne contient aucun flashback pouvant expliquer la déchéance du personnages et les failles psychologiques qui l’ont conduit jusqu’à cette situation. Renier parvient à nous faire croire à son personnage aussi bien pendant sa phase descendante que pendant sa phase ascendante. Il est aussi convaincant dans le registre physique que dans le registre psychologique. Et, présent dans la quasi-totalité des plans (hormis un ou deux plans “touristiques” qui situent l’action lors des déplacements à l’étranger), il porte littéralement le film.

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Revers de la médaille, ce choix narratif revient à sacrifier les personnages secondaires, qui n’ont pas trop le temps d’exister.
La tâche de la jeune Mélusine Mayance, qui incarne la fille de Gabriel, et d’Audrey Fleurot, qui joue une femme-flic aidant le personnage dans son enquête, n’était pas aisée. Elles n’ont que très peu de scènes pour faire exister leur personnages, leur apporter de l’épaisseur, des nuances…
Elles s’en sortent avec les honneurs, même si, dispositif oblige, leur rôle reste des plus limités.
Certains en seront sans doute frustrés, mais il faut bien comprendre qu’au-delà de l’intrigue à proprement parler, le cinéaste parle des maux de notre société contemporaine. Une société anxiogène où il est facile de s’élever sur l’échelle sociale, au prix de sacrifices personnels et d’entorses à la morale, comme il est facile de dégringoler tout en bas. Il décrit un univers urbain stressant, où les gens courent en permanence, indifférents les uns aux autres et en proie à une certaine solitude. D’où ce choix de rester collé au plus près du personnage principal, souvent en gros plan, pour ôter toute profondeur de champ et renforcer cette sensation d’isolement et d’oppression.

Non, contrairement à ce qu’on a pu entendre ça ou là, La Confrérie des larmes n’est pas un décalque mollasson du Transporteur. Jean-Baptiste Andrea est un peu plus ambitieux que cela. Il assume ses partis pris de mise en scène de bout en bout, pour livrer cet audacieux mélange de chronique sociale et de thriller, en générant avec peu d’effets cette ambiance étrange et anxiogène.
On rappellera juste qu’il est coutumier du fait, puisque son premier long-métrage, Dead end, réussissait la gageüre de tenir juste sur le trajet en voiture d’une famille perdue en pleine forêt et confrontée à d’étranges évènements, à l’aide d’une ambiance toute lynchienne.
Jean-Baptiste Andrea est un garçon qui aime sortir des sentiers battus. Il n’hésite pas à expérimenter, à oser des choses, tant sur le plan narratif qu’esthétique. Cela mérite d’être salué.

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Après, il est vrai que son nouveau long-métrage n’est pas dénué de défauts. La fin du film, notamment, nous semble un peu précipitée, gâchant quelque peu l’ambiance mystérieuse patiemment élaborée jusque-là. L’essentiel est que la révélation finale, assez inattendue, fasse son petit effet, mais elle peut sembler décevante après le reste du film, où le cinéaste n’a cessé de stimuler notre imagination. Finalement, on se dit que, quitte à être frustrés, il aurait été intéressant de ne pas savoir ce que contenaient ces fichues valises. Mais cela aurait été un tout autre film…

Bien qu’inaboutie, La Confrérie des larmes n’en demeure pas moins une oeuvre intéressante, qui a le mérite de proposer quelque chose d’assez différent de ce qu’offre habituellement le cinéma français en matière de film de genre. Il brouille les lignes, mélange les codes des productions européennes et américaines, expérimente des pistes narratives atypiques,… Le tout avec détermination et enthousiasme.
On vous recommande de découvrir cet auteur atypique et on espère qu’il pourra continuer son travail singulier, en marge du système.

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La Confrérie des Larmes
La Confrérie des larmes
La Confrérie des larmes

Réalisateur: Jean-Baptiste Andrea
Avec : Jérémie Renier, Audrey Fleurot, Mélusine Mayance, Bouli Lanners
Origine : France, Belgique, Luxembourg
Genre : thriller malin et mallette
Durée : 1h40
Date de sortie France : 09/10/2013
Note pour ce film : :●●●●
Contrepoint critique : Le Passeur critique

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