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L'homme est un loup pour le Rom

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages
par Yves Paccalet
Deux querelles font rage en ce moment, que les médias attisent à qui mieux mieux. Nos sociétés les ont déjà connues et les connaîtront encore. La première concerne des êtres humains – les Roms, les Romanichels disait-on naguère. Des « voleurs de poules », des « vagabonds en roulotte », des « larrons sales et sans-gêne », des « mangeurs de chats et de hérissons ». En un mot, des gens sans toit ni loi, dont l’honnête citoyen a raison de se méfier en toute occasion. La seconde a pour objets les loups – Canis lupus, les ancêtres des chiens, mais qui ne supportent pas (dit la fable de La Fontaine) « ce collier dont vous êtes attaché »…
Les sondages parlent clair : 77 % des Français approuvent les propos de Manuel Valls, selon lequel les Roms « ont vocation à retourner en Roumanie ou en Bulgarie ». On obtiendrait la même proportion si l’on posait la question au sujet des loups : que ces sales bêtes dégagent ! Les décrets et leurs applications suivent les états d’âme de l’opinion. Dans plusieurs villes, les forces de l’ordre détruisent des camps de « gens du voyage ». Du balai ! Filez où vous voudrez, pourvu que ce soit loin… Vous êtes, par nature ou par culture, incapables de vous intégrer. On ne vous met pas l’étoile jaune, mais certains y pensent…
Côté loups, c’est pareil, avec (en sus) des coups de fusil pour conclure. Le « Plan Loup » du gouvernement français prévoit qu’on élimine bon nombre (vingt-quatre pour commencer) de ces « prédateurs sanguinaires ». Parce que la litote est un ingrédient nécessaire de la novlangue administrative, ces animaux ne sont ni « tués », ni « abattus », mais « prélevés » ! Trois individus sont déjà officiellement passés de vie à trépas : deux dans le Mercantour, un en Savoie. Je ne parle pas des sujets braconnés.
L’homme est un loup pour le Rom. L’homme est un loup pour le loup. Dans les deux cas, le message est simple comme un discours du Front National : les étrangers, dehors ! Que vous soyez dans un campement misérable ou que vous viviez en meute dans la montagne, vous êtes de trop ! Disparaissez ! On ne veut pas de vous sur notre beau terroir… À la rigueur, si vous fuyez suffisamment loin de nos maisons et de nos troupeaux, on n’est pas contre un zeste de folklore. On ira vous photographier en voyage organisé, aux prochaines vacances…
Les sédentaires territoriaux que nous sommes détestent les « nomades », ces « sauvages » que nous jugeons trop indépendants pour être honnêtes, trop difficiles à localiser, à recenser, à surveiller. Nous haïssons les sans-papiers… Loin de moi l’idée de donner dans l’angélisme. Il est avéré que certains Roms volent le portefeuille des « bons citoyens sans défense », et que certains loups dévorent des brebis dans les alpages. Il est clair que plusieurs Roms sont violents, injustes, méchants, et que les plus pervers réduisent leurs femmes et leurs enfants en esclavage. Il est non moins démontré que certains loups (surtout les jeunes adultes sans territoire, vagabonds et pillards par nécessité) peuvent tuer davantage de brebis qu’ils n’en sauraient manger ; et que, pour le berger, le spectacle des moutons étripés a de quoi révolter.
Tout cela est exact. Mais le problème global qui se pose est on ne peut plus lumineux : les Roms et les loups existent. Ils gênent, où qu’ils soient ; en Roumanie comme en Sibérie, en Bulgarie comme en Mongolie… Faut-il les éliminer ou, à tout le moins, les faire fuir ? Réfléchissons-y dans le calme. Les Roms et les loups sont porteurs d’une passion de la liberté dont nous ferions bien de nous inspirer à l’occasion. Ils incarnent un mode de vie qui fut le premier des sociétés humaines : le nomadisme. Ils symbolisent le courage, la volonté d’avancer, la curiosité, l’esprit d’entreprise. Ils voyagent pour trouver des moyens de survie, certes, mais ils éprouvent en même temps le bonheur d’explorer, de marcher vers l’horizon, de découvrir ce qu’il y a derrière et de comprendre un jour (oui, même les loups !) que la Terre est ronde…
Devons-nous, au nom de notre civilisation de consommation, de supermarchés, de bagnoles, de HLM, de bureaucratie, de factures, de flicage, de contrôles en tous genres et de sempiternelles « colères » contre tout ce qui bouge, ne plus accepter chez nous ces « étrangers », ces inconnus, ces autres nous-mêmes ? Ne devrions-nous pas, plutôt, tenter de nous imprégner de leur culture, d’aimer leur existence ? De respecter leurs mœurs ? De jouir avec eux de leur insouciance et de leur légèreté, bref de leur façon aérienne et poétique d’être au monde ?
Par-delà la morale ou la philosophie, je voudrais seulement rappeler quelques chiffres. Il existe, en France, environ 250 loups, dans les Alpes et dans quelques montagnes du sud-est (les premiers d’entre eux sont revenus d’Italie vers le Mercantour en 1992) : et nous avons davantage de problèmes avec ces prédateurs que l’Italie même, où ils sont un millier ; et que l’Espagne, où l’on compte plus de 2 000. Il existe aujourd’hui, en France, environ 18.000 Roms (entre 15.000 et 20.000 selon les sources). Ils sont bien plus nombreux en Allemagne, où la question se pose pourtant de façon plus apaisée que dans notre pays.
Je sais, évidemment, que les loups ne sont pas entrés dans Paris, et que les Roms ne campent que dans quelques villes ou villages, où leur concentration est délicate à gérer. Mais j’en appelle au sens arithmétique de mes concitoyens : 250 loups pour (mettons) 500 communes concernées, cela fait en moyenne un demi-loup par clocher. 18 000 Roms pour 36 000 communes en France, cela donne en moyenne, oui, un demi Rom par mairie.
Et c’est cela qui devient insupportable ? Et c’est une telle densité humaine ou animale qu’un grand pays comme le nôtre est incapable de supporter ? Après leur manuel d’arithmétique, je convie mes « chers compatriotes » (comme disent le Front National et la droite de la droite) à relire (en l’occurrence, plus probablement à lire) une œuvre bien française, l’une des plus belle qui aient été rédigées dans notre langue, que signa un certain François-Marie Arouet, alias Voltaire, et qui s’intitule le Traité sur la tolérance.
NB : Yves Paccalet a proposé ce texte au Plus Nouvel Obs, qui a refusé de le publier sous le prétexte assez ahurissant qu’on ne peut pas traiter en même temps des Roms et des loups…
Source : Altermonde sans frontière

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