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Les Etats-Unis font ceinture.

Publié le 10 octobre 2013 par Vindex @BloggActualite
Les Etats-Unis font ceinture.-Je suis "non-essentiel" ?-


De par leur budget fédéral, les États-Unis pesaient, en 2013, un total de 290 200 000 0000 milliards de dollars, et leur PIB 2012 (d'un total de 15 680 000 000 de dollars) en faisait la 1° puissance économique mondiale. En 2010, Barack Obama est parvenu à faire voter une réforme du système de santé américain (le « Patient Protection and Affordable Care Act »), dont les principaux points sont une garantie de couverture santé pour les américains les plus démunis, l'obligation d'être assuré, avec subventions prévues sous un certain seuil de revenus annuels, l'obligation pour certaines entreprises de fournir une couverture maladie aux salariés, l'élargissement du Medicaid. Cependant, cette réforme, surnommée « Obamacare », est actuellement au centre de la polémique outre-Atlantique. En effet, cette politique entraîne des discordes entre démocrates (qui soutiennent la réforme, dont le but est une politique de santé plus équitable), et républicains (opposant à cette réforme, car hostiles aux augmentations des impôts et à l'idée de mutualiser les risques entre citoyens concernant la santé). Et cette discorde entraîne actuellement des conséquences impressionnantes : en effet, le budget fédéral n'ayant pas été voté dans les temps (et ce sur la base de ce désaccord), des procédures de restrictions budgétaires temporaires ont conduit les services fédéraux à fermer temporairement leurs services, ou du moins à les restreindre au strict minimum, invitant 800 000 fonctionnaires fédéraux sur 2 millions au chômage technique. Il est ainsi nécessaire de se poser plusieurs questions : pourquoi de telles mesures ? Quelles perspectives envisager ? Que se passerait-il en France si le budget n'était pas voté dans les temps ?

« Shutdown »

C'est le mot employé pour désigner cet état de fait, qui signifie « fermeture ». Il faut d'abord avoir à l'esprit que si, en France, le premier jour de l'année budgétaire est le 1er Janvier, il s'agit aux États-Unis du 1er Octobre. Ce phénomène s'est déjà manifesté 17 fois depuis 1977, la dernière édition remontant à l'administration Clinton, en 1995 (pendant 28 jours !). L'origine du problème est donc, sur le fond, un désaccord politique entre républicains et démocrates. Mais surtout, il est le fruit d'un système politique présidentiel mouvant, de séparation stricte entre les institutions (le Président ne pouvant, par exemple, pas dissoudre la Ch ambre des représentants), et qui n'est actuellement pas des plus favorables au Président Obama (le Sénat étant certes à majorité démocrate, mais la Chambre des représentants étant à majorité républicaine). Ainsi, le budget a t-il finalement été rejeté par 54 voix contre 46 par le Sénat, du fait qu'il n'était pas en accord avec la version votée par la Chambre des représentants. Comme le disait Stefan Neuhaus (citoyen américain) dans le Parisien, et ce même si l'inconscient collectif voudrait croire que le système présidentiel est déséquilibré en faveur de l'exécutif, « Que le président d'un si grand pays n'ait même pas le contrôle de ce Parlement, c'est un très mauvais système ». Si nul système n'est parfait, cette réalité permet d'avoir conscience des subtilités du système politique américain. En premier lieu, le Président des États-Unis soumet, le premier Lundi de Février, un projet de budget détaillé au Congrès (il s'agit de la « Budget Request »). Sur la base de ce projet détaillé, le Sénat et la Chambre des Représentants pose des questions à l'administration du Président et établi son propre budget (une résolution) par le biais de leurs comités respectivement compétents. Ils résolvent leurs différences par le biais de conférence « House-Senate », l'équivalent des commissions mixtes paritaires en France. Cette résolution du Congrès doit être votée avant le 15 Avril. Ensuite, il est possible à un membre du Sénat ou de la Chambre d'utiliser la procédure de « point of order »: il s'agit d'empêcher à l'avenir le pouvoir législatif de prendre une autre Loi qui serait contraire aux dispositions prises par cette résolution budgétaire.Enfin, la résolution fait l'objet d'un vote final qui doit être conforme entre les deux assemblées et ce avant le commencement de la nouvelle année budgétaire.Si ce n'est pas le cas, la Loi américaine en matière de budget (le « Budget and Accounting Act of 1921 » et le « Congressionnal Budget and Impoundment Act of 1974 ») est très claire : le financement de l'action étatique n'étant pas assuré, celle-ci ne peut-être pérennisée, et ainsi donc la plupart des services les moins essentiels voient leur activité réduite au strict nécessaire à l'ordre public : ainsi, si la poste (US Postal Service), l'armée, la police, la justice et le service météorologique restent en service, ce n'est pas le cas des services fiscaux (Internal Revenue Service), de la protection environnementale, de la NASA, les aides sociales (entre autres). Les fonctionnaires affectés à ces tâches sont ainsi privés de traitement le temps que cette situation durera (bien que lors du dernier Shutdown ils avaient bénéficié de leur traitement après coup). Selon un fonctionnaire français en visite à New-York, (toujours par Le Parisien), « c'est d'autant plus fou qu'il y a de l'argent ». Précisément, il faut apporter une nuance à cette remarque : si l'argent existe bel et bien et circule dans l'économie, le budget d'un pays au système politique démocratique et libéral constitue, dans la théorie, un acte de consentement. Par le vote du budget, le parlement (pas seulement américain) autorise l'État, au nom des citoyens qu'il représente, à collecter l'impôt et à dépenser les recettes au nom des politiques votées et appliquées. Or, si ce budget n'a pas été voté avant que l'année budgétaire ne débute, alors ce principe fondamental de droit constitutionnel et de finances publiques que constitue le consentement à l'impôt n'est pas respecté, et ainsi l'État n'est, juridiquement et politiquement, pas autorisé à prélever les ressources fiscales dont il a besoin pour mener sa politique. L'argent n'est donc pas si présent, et l'État puise dans ses réserves, ce qui le contraint cependant à quelques sacrifices, temporaires heureusement jusqu'à l'avènement d'un consensus. Barack Obama a lui-même exprimé sa colère (« They actually did it » - « Ils l'ont vraiment fait »), mais le non-vote du budget (tout comme son vote), n'est que l'exercice d'un système dont il se veut (en tant que démocrate) le défenseur, et qui est la démocratie.

Et en France ?

Cette situation pour le moins atypique nous donne l'occasion d'observer les règles applicables en France : si le budget n'était pas voté à temps, que se passerait-il ? Tout d'abord, il convient de préciser que ce type de phénomène a très peu de chance de se produire en France : en effet, les désaccords budgétaires ont moins de chance de se manifester, car la pratique de la constitution nous montre que l'assemblée nationale est toujours politiquement du même bord que le gouvernement, et que le Sénat n'a été que de manière occasionnelle à l'opposé politique de l'Assemblée Nationale (pendant les présidences de François Mitterrand, et le gouvernement Jospin). En l'état actuel des institutions, le gouvernement, l'assemblée nationale et le Sénat étant de majorité socialiste, il y a très peu de chance de voir des désaccords budgétaires naître, sauf à ce que la majorité implose littéralement, alors qu'elle est, dans notre système, toujours bien téléguidée par l'esprit partisan et le gouvernement. D'ailleurs, l'histoire politique et institutionnelle française nous démontre que, à l'inverse des États-Unis, seuls quelques cas de non respect d'une échéance budgétaire sont à répertorier, et encore il ne s'agit pas d'un non-vote du budget à temps. C'était arrivé en 1962, lorsque le gouvernement Pompidou avait été renversé, empêchant le dépôt du projet de Loi de finance avant le 1er mardi d'octobre, d'où l'application de la procédure de loi partielle.Ce fut également le cas en 1980, lorsque la Loi de finances avait été déclarée non-conforme à la Constitution, le gouvernement a été obligé de mettre en œuvre la procédure de loi spéciale pour continuer à percevoir des recettes fiscales. Mais dans chaque cas, le budget avait pu être voté à temps pour permettre le prélèvement de l'impôt et donc la pérennité de l'action de l'État, contrairement à ce qui se passe actuellement aux États-Unis. La Loi en matière budgétaire (Loi Organique sur les Lois de Finance de 2001), prévoit que le budget doit-être voté au plus tard le 31 Décembre de l'année N-1 pour l'année N, avec entrée en vigueur le 1er Janvier de l'année N.Il existe plusieurs grandes étapes dans l'élaboration du budget.Le cadrage : Fin Janvier de l'année N-1, un séminaire gouvernemental est organisé pour présenter les stratégies budgétaires envisagées, suite auquel une lettre de cadrage est attribuée à chaque ministre, donnant le cadre utile à l'élaboration par chaque ministre de son budget.Les conférences budgétaires : en Février-Mars de l'année N-1, sont organisées les conférences d'économie structurelle, permettant au ministre du budget d'examiner avec chaque ministre les pistes de réforme permettant de bénéficier d'économies dans l'organisation des ministères.Ensuite, interviennent les réunions de budgétisation servant à examiner les demandes de crédits des ministères. La restitution : à partir d'avril de l'année N-1, le premier ministre rencontre chaque ministre et les niveaux de crédits et d'effectifs sont arrêtés. Les conférences de performances : elles réunissent la direction du budget et les services financiers de chaque ministère. Leur but est de préparer des indicateurs de performance et le projet annuel de performance, et ce dans une optique de rationalité budgétaire.La précision : chaque ministre répartissent leurs crédits entre les différents programme de leurs missions.Le projet définitif : il est arrêté en Septembre par la direction du budget, et est soumis pour avis au Conseil d'État. Suite à cela, il est débattu et délibéré en conseil des ministres. La phase parlementaire : le projet de Loi de finance doit être déposé au bureau de l'assemblée nationale au plus tard le 1er mardi d'octobre de l'année N-1, pour renvoi en commission des finances. Si cette première échéance n'est pas respectée, des procédures dérogatoires existent déjà.La procédure de projet de Loi partielle (article 45-1 de la Loi Organique sur les Lois de Finances) permet au gouvernement de demander au Parlement de voter avant le 11 Décembre de l'année N-1 la première partie du projet de Loi afin d'autoriser au moins (par sécurité) la perception des impôts conformément au projet de Loi. La procédure de projet de Loi spéciale (article 45-2 de la Loi Organique sur les Lois de Finances) permet, dans le cas où la première procédure aurait échoué, au gouvernement de demander au Parlement le vote, avant le 19 Décembre de l'année N-1, d'une Loi lui permettant de toujours percevoir les impôts existants (interdisant alors la création de nouveaux impôts).En ce qui concerne les discussions parlementaires, elles ne peuvent dépasser 70 jours (40 pour l'Assemblée Nationale, et 15 à 20 jours pour le Sénat puis 10 jours de navette en cas de désaccord).En cas de désaccord entre les deux chambres (et nous sommes dans le cas le plus grave, car le plus urgent, qui est à l'origine du Shutdownaux États-Unis), une commission mixte paritaire est mise en place (7 députés et 7 sénateurs) pour établir un texte de compromis concernant les désaccords. Si un compromis est trouvé, la Loi de finance est votée, mais si aucun compromis n'est trouvé, chaque chambre a de nouveau une discussion et l'assemblée nationale statue définitivement sur le projet pour le voter : elle a donc, comme pour toute Loi classique, le dernier mot. Si le délai de 70 jours est dépassé (ce qui nous amène aux alentours du 15-22 Décembre de l'année N-1), les dispositions du projet de Loi de finance peuvent être prises par le biais d'une ordonnance de l'article 47 (et non 38) de la constitution. Cependant cette norme n'a pas valeur légale, et peut ainsi faire l'objet de recours contentieux devant le Conseil d'État. Pour conclure, l'on peut constater que le pouvoir parlementaire en matière de budget en France est fortement limité au profit de l'exécutif, ce qui rend le processus plus stable mais moins démocratique qu'il ne l'est aux États-Unis.Aux dernières nouvelles, une issue rapide au blocage ne semble pas encore au programme puisque cela fait déjà une semaine que le shutdownest en œuvre, et ce même si des négociations entre démocrates et républicains sont à l'œuvre. Cela étant, une nouvelle polémique d'ordre budgétaire fait surface : les deux partis au Congrès devront s'entendre avant le 17 Octobre prochain pour voter la Loi permettant l'augmentation du plafond d'endettement de l'État fédéral (c'est-à-dire la dette maximale autorisée), ce qui pourrait être source de tension et, en cas de nouveau dépassement de l'échéance, entraîner le défaut de paiement de la première puissance économique mondiale.

Sources

Patient Protection and Affordable Care Act - WikipediaObamacare : pourquoi ils n'en veulent pas ? - Le nouvel observateurUn éventuel défaut sur la dette inquiète plus que le Shutdown - L'expansionShutdown : chaque camp avance ses pions - L'expressLe Sénat rejette le budget de la Chambre - L'expansionFederal Budget Process - WashingtonpostIntroduction to the federal budget process - Policy BasicsLe Parisien du 2 Octobre 2013

Rémi Decombe.

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