Les États-Unis battent en retraite sur le front de la liberté d'expression
Publié le 11/10/2013
Matt Welch, de Reason, revenait en novembre 2012 sur les attaques de Benghazi et montrait la perte conséquente de liberté d'expression aux États-Unis.
Par Matt Welch, depuis les États-Unis ; Un article publié initialement par Reason.
Lors du 11ème anniversaire des attaques du 11 septembre, des dizaines d’hommes armés de lances-roquettes, de grenades et de fusils automatiques assaillent, durant plus de quatre heures, deux immeubles différents de la représentation diplomatique américaine à Benghazi (Libye), assassinant l’ambassadeur Christopher Stevens ainsi que trois autres citoyens américains. Malgré l’évidente planification et la symbolique du 11 septembre, les représentants officiels de l’administration de la Maison-Blanche sous Barack Obama ont passé la semaine suivante à faire endosser la responsabilité de ces attaques à une simple et grossière vidéo de YouTube, bande annonce d’un film anti islam « L’innocence des musulmans », réalisé par un ex-détenu habitant à Cerritos en Californie.
« L'élément déclencheur de la récente violence est la mise en ligne sur internet d’une très haineuse, très offensante vidéo qui a heurté énormément de gens dans le monde entier » avait déclaré le 16 septembre Mme Susan Rice, ambassadrice des États-Unis à l’ONU, sur Fox News Sundays. « Elle a commencé spontanément à Benghazi, en réaction à ce qui a été rendu public quelques heures plus tôt au Caire » affirmait Mme Rice, le même jour, sur le plateau de ABC’s This Week « où, bien sûr, comme vous le savez, a pris place devant notre ambassade, une violente protestation déclenchée par cette haineuse vidéo. »
La plupart des déclarations de Mme Rice furent rapidement mises à mal. CBS News rapportait le 20 septembre qu’aucune manifestation spontanée n’avait eu lieu devant le consulat de Benghazi. Reuters, le Daily Beast ainsi que d’autres médias poursuivirent en rapportant que, dès le jour suivant l’attaque, l’administration possédait déjà de bons renseignements, indiquant qu’il était question d’un assaut planifié, prévu à l’avance par des militants reliés à Al Qaïda.
Plus dommageable encore que l’interversion des accusations manœuvrée par la Maison-Blanche a été la notion, renforcée par Barack Obama, qu’une simple pièce de mauvais art californien pouvait « déclencher » de la violence dans plus de 20 pays. C’est une métaphore inadaptée, donnant la fausse impression que l’incendiaire n’est pas celui qui allume l’allumette mais celui qui aurait prétendument irrité le pyromane. Une telle confusion de responsabilités amenuise substantiellement notre aptitude à parler librement, en encourageant ceux qui voudraient nous reclure dans le silence.
Tandis que des foules de musulmans en colère se dirigeaient, ce 11 septembre, vers les délégations diplomatiques du Caire et d’ailleurs, la toute première réponse du Département d’État des USA a été de condamner à plusieurs reprises « l’innocence des Musulmans », la vidéo ayant été tirée la semaine précédente par une personnalité de la télévision égyptienne d’une obscurité longue de plusieurs mois sur internet. L’ambassade des États-Unis au Caire a fait une déclaration accusant le film de « provocation à la haine religieuse », ajoutant : « Nous récusons les agissements de ceux qui abusent du droit universel à la liberté d’expression pour heurter les convictions religieuses d’autrui. »
Cette autodéfense, consistant à lancer des critiques préventives du film, ne fut pas efficace. En quelques heures l’ambassade fut mise à sac par des émeutiers clamant « Obama ! Obama ! Nous sommes tous Oussama ! » et jetant à terre le drapeau américain, pour le remplacer par une bannière noire portant comme inscription « Il n’y a de Dieu qu’Allah et Mohamed est son prophète. » L’organisateur de la manifestation, Mohammed al-Zawahiri, le frère du leader d’Al Qaïda Ayman al Zawahiri, proclama que rien moins que la traduction en justice des réalisateurs du film ne pourrait être acceptable.
Il est intéressant de noter qu’Al Zawahiri a été exhaussé. L’auteur de « L’innocence des Musulmans » Nakoula Basseley Nakoula, une personnalité obscure dotée d’un casier judiciaire fourni et d’une histoire concernant les noms d’emprunt (comme « Sam Becile » pour le besoin de ce film) fut placé en détention le 15 septembre, par les agents fédéraux de probation et les représentants du shérif local, en une démonstration de force très médiatisée, puis fut inculpé le 27 septembre de huit chefs d’accusation de violation de probation. À présent, Nakoula, qui risque une sentence maximale de deux ans, est placé en détention préventive sans caution. Même si le dossier fédéral contre Nakoula est complètement légitime et conforme aux situations de violations de probation qui ne provoquent pas d’émeutes mondiales, l’administration Obama alla encore plus loin pour étouffer sa liberté d’expression en sollicitant YouTube le 11 septembre de vérifier si cette vidéo ne violait pas les règles de la société interdisant le « discours haineux ».
YouTube décida de laisser la vidéo en ligne, même si elle la retira de ses sites en Égypte et en Libye, une évolution que Associated Press annonça sous le titre tendancieux : « YouTube bloque la vidéo incitatrice de violence »
Il existe une distinction légale cruciale entre « incitation » – terme utilisé par Associated press, l’ambassade des États-Unis au Caire ainsi que d’une foule d’autres commentateurs dans l’accusation portée à Nakoula – et « provocation ». Cette dernière désigne une tentative d’insulte des personnes, protégée par la Constitution, alors que la première n’est illégale que dans certaines situations. D’après une jurisprudence de l’affaire Brandeburg versus Ohio, traitée par la Cour suprême en 1969, le gouvernement ne peut condamner la « promotion de la violence » que si celle-ci a pour but d’entraîner des « actes illégaux imminents » en ayant de plus des chances d’y parvenir.
Bien que « L’innocence des Musulmans » ne fasse pas la promotion de la violence, ni imminente ni autre, cela n’a pas empêché certaines personnes de considérer le discours de Nakoula comme un acte potentiellement criminel. Sarah Chayes de la ‘Fondation Carnegie pour la paix internationale’ – ex-assistante spéciale du chef d'état-major des armées des États-Unis, soutenait, dans une tribune libre du Los Angeles Times du 18 septembre, que le film pourrait relever de l’esprit d’« imminence » de l’affaire Brandenburg car il « avait été publié délibérément juste avant la date sensible du 11 septembre, et pouvait s’attendre à déclencher de la violence en cette date d’anniversaire. »
Ce ne fut pas un cas isolé d’attaque académique contre la liberté d’expression faisant suite aux émeutes contre les ambassades. Le professeur d’études religieuses de l’université de Pennsylvanie Anthea Butker écrivait dans le USA TODAY du 12 septembre que Nakoula devait être interpellé car sa vidéo « dénigrait » l’islam « en ridiculisant le fondateur de la foi dans plusieurs scènes historiquement inexactes afin d’inciter et d’exciter les spectateurs. (Le commentateur de radio Bill Press alla même plus loin en déclarant que les réalisateurs du film « étaient aussi coupables que les terroristes responsables des attaques contre nos ambassades en Libye »). Le professeur de droit de l’université de Chicago, Eric Posner, écrivit dans Slate que « l’ignoble vidéo antimusulmane démontre que les États-Unis surévaluent la liberté d’expression ».
En fin de compte, la réaction officielle des États-Unis a dopé la valeur des attaques contre la libre expression américaine. Le 16 septembre Hassan Sanei, chef de l’institut gouvernemental iranien ‘15Khordad’ augmentait la prime sur la tête de l’écrivain Salman Rushdie de 500 000 US$ à 3,3 millions US$. Au Pakistan, pays qui reçoit 1 milliard d’US$ d’aide annuelle, un ministre du gouvernement offrait 100 000US$ de prime pour la « noble cause » d’assassiner les personnes responsables de « L’innocence des Musulmans ».
De quelle façon la Maison-Blanche a-t-elle réagi à ce sanguinaire affront ? « M. le président et le secrétaire d’État ont tous deux exprimé que la vidéo est dans son essence offensante, dégoutante et répréhensible » a déclaré le département d’État « toutefois ceci ne saurait justifier la violence et il est important que les leaders responsables se lèvent et fassent entendre leur voix contre la violence. »
Les émeutiers, tout en étant affairés à tenter de tuer des Américains, réclament du gouvernement américain qu’il rattrape les réalisateurs d’une vidéo minable afin d’en faire la critique et éventuellement de les poursuivre en justice. Étonnamment, Washington s’est pliée à chaque occasion, au lieu d’expliquer clairement la valeur constitutionnelle de notre liberté d’expression.
Le président Obama a tenté tardivement de corriger cette erreur dans un discours aux Nations unies du 25 septembre. « L’arme la plus puissante contre les propos haineux n’est pas la répression, mais plus d’expression » déclara-t-il. Il ajouta « aucune vidéo ne justifie une attaque contre une ambassade. »
Mais le président limita ces points importants en indiquant au monde de quelle façon il doit répondre aux discours blessants. « Je pense que le message véhiculé par cette vidéo doit être rejeté par tous ceux qui respectent notre humanité commune » dit-il. « Le futur ne doit pas appartenir à ceux qui calomnient le prophète de l’Islam. Toutefois, pour rester crédibles, ceux qui condamnent cette calomnie sont tenus de condamner également la haine dont nous sommes témoins lorsque des représentations de Jésus sont profanées, que des églises sont détruites, ou que la Shoah est niée. »
Ce mandat de s’offenser est l’assurance non seulement d’une forme d’autocensure américaine déjà à l’œuvre quand il est question de débattre du personnage historique de Mahomet ; mais aussi d’une sorte de censure active que les critiques des États-Unis, mais aussi trop de personnalités académiques, recommandent déjà. Si en fin de compte, Obama ne sert qu’un seul mandat présidentiel, son traitement des attaques en Libye et du Premier amendement (interdisant d'adopter des lois limitant la liberté de religion et d'expression, la liberté de la presse ou le droit à s'« assembler pacifiquement ») sera la coda d’une présidence défaillante.
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Article publié initialement le 12 novembre 2012 par Reason. Traduit par Michel Layani pour Contrepoints.
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