Un titre extrait de la très belle (mais pas très joyeuse, je le reconnais) chanson de Gérard Berliner, "Louise"... Une citation qui a le mérite de planter le décor de notre roman du jour, situé pendant la Première Guerre Mondiale, mais vous allez vite voir que le clin d'oeil va un peu plus loin que cette simple phrase... Le weekend dernier, j'étais dans le Gard, à Villeneuve-lez-Avignon, au Festival du Polar, dans une magnifique Chartreuse, restaurée merveilleusement pour devenir un lieu culturel. En déambulant dans la boulangerie qui accueillait les auteurs invités, j'ai aperçu des couvertures qui ont attiré mon attention : la maquette des livres publiés chez Folio policier et des photos évoquant la guerre de 14... Vous n'êtes pas sans savoir que le centenaire de cette boucherie interviendra l'an prochain, intéressant, donc, de voir comment ce cadre historique peut être utilisé dans un polar. En route pour "La cote 512", pour la première enquête d'une série mettant en scène un policier parisien devenu poilu, Célestin Louise (ah, vous le voyez, le clin d'oeil ?)...
Célestin Louise est un jeune policier parisien plutôt débrouillard et qui connaît bien le terrain. D'ailleurs, lorsqu'on le découvre, il est en planque, prêt à serrer la Guimauve, un cambrioleur qui oeuvre dans les résidences des beaux quartiers de Paname. Une arrestation (presque) en douceur pour un garçon qui a rapidement fait son trou dans son commissariat...
Mais, voilà que le postillon du fiacre que le policier a hélé pour conduire la Guimauve au Dépôt va changer bien des choses : en effet, celui-ci apprend aux deux hommes que la mobilisation générale vient d'être proclamée et doit être effective pour le 2 août 1914. Sitôt apprend-il la nouvelle que Célestin Louise prend sa décision : il partira au front !
Pourtant, sa position de policier pourrait lui permettre d'éviter la mobilisation générale, la police devant continuer sa mission même en temps de guerre. Mais, à la surprise de ses collègues (dont certains sont bien contents de rester là où ils sont) et de ses supérieurs, rien ne fait changer d'avis le jeune homme qui, après un passage chez sa soeur et une dernière nuit d'amour avec une inconnue, part pour Orléans où il doit faire ses classes...
C'est là qu'il va rencontrer les autres mobilisés avec qui il partira bientôt au combat. Surprise, parmi eux, une tête bien connu du policier, Germain Béraud, pickpocket bien connu de la police parisienne... Mais, c'est surtout avec son futur lieutenant que Célestin va nouer une sorte d'amitié, teintée de respect. Un respect né de la différence de grade, mais aussi de la différence d'origine sociale : le lieutenant s'appelle Paul de Mérange.
Entre le flic issu du peuple et l'aristocrate chef d'entreprise du côté du Mans, une certaine complicité va apparaître, née d'une rencontre impromptue à Orléans, chez une femme qui n'était manifestement pas l'épouse du lieutenant... Malgré ce côté volage, qu'ignorent les autres hommes du régiment, le lieutenant de Mérange est un bon meneur d'hommes qui sait gagner la confiance de ses hommes. Célestin et ses amis vont donc partir confiants au front, persuadés, comme bien d'autres, que la guerre sera finie avant Noël...
Mais, dès l'automne 14, alors que, de chaque côté, on a commencé à s'enterrer dans les fameuses tranchées, que les combats se résument à des charges suicidaires, surtout lorsqu'on se retrouve en première ligne, que la vie quotidienne se passe dans la poussière ou la boue, la saleté, les poux, la peur, dans l'attente des "marmitages", comprenez les bombardements...
Dans cet univers qui dépasse l'imagination de soldats à peine formés pour l'affronter, se créent des liens forts, qui transcendent les origines, géographiques ou sociales. Même les voleurs qu'il pourchassait hier encore deviennent des camarades de galère du policier... On fait l'union sacrée, on se bat et on survit ensemble. Les gars s'entraident, s'encouragent, à commencer par Célestin, qui a compris que le jeune Béraud est mort de peur, paralysé par elle...
Alors, on fait ce qu'on peut, sur le front, bientôt, on n'a plus qu'une obsession, sauver sa vie, pour reprendre une phrase prémonitoire du lieutenant de Mérange, prononcée avant d'avoir connu l'épreuve du feu... Et ça se confirme, la mort est là, partout, violente, sauvage, soudaine, surprenante... Elle frappe aussi bien lorsqu'on la redoute, au cours des sorties, que lorsqu'on s'y attend le moins, dans les tranchées même, quand un obus ennemi fait mouche...
Comme il était un bon flic, Louise montre vite des aptitudes au combat. Sans doute a-t-il peur, comme tous les autres, mais il sait se battre, éviter les coups durs, agir avec sang-froid et stratégie... Lors d'une charge, près de Soissons, au lieu correspondant sur les cartes d'Etat major à la cote 512, il se retrouve en première ligne, face à la mitraille, s'abritant dans les trous d'obus, cherchant à gagner du terrain sans se mettre trop à découvert... Il avance, progresse difficilement, mais il avance vers la tranchée allemande...
Quand, soudain, à côté de lui, le lieutenant de Mérange s'affale. Célestin croit dans un premier temps, que le lieutenant s'est jeté dans le trou d'obus pour se protéger, puis il réalise qu'il a sans doute été touché... Vérification faite, c'est encore pire, le lieutenant est mort... L'affolement pourrait alors gagner le soldat, privé de celui qui commandait, donnait les ordres, cimentait son régiment...
Pourtant, c'est le flic en Louise qui va prendre alors les commandes. Alors que ça bastonne sévèrement autour de lui, il prend le temps d'examiner le corps et constate, stupéfait, que le lieutenant a été atteint dans le dos, par une balle tirée de la tranchée française. Faut-il croire à un accident ? Non, Célestin écarte vite cette hypothèse, le tir paraît trop bien ajusté. Il en est sûr : on a assassiné Paul de Mérange, en pleine bataille, espérant que cette mort passera inaperçue au milieu du carnage...
Alors, bien que sans aucune légitimité pour cela, Célestin Louise décide de mener l'enquête pour découvrir qui a tué son lieutenant. Que sait-il de lui ? Qu'il dirige une prospère entreprise, une briqueterie, laissée aux bons soins de son frère, qui n'a pas été mobilisée. Il est marié, mais son couple bat de l'aile et le lieutenant a tout l'air d'être un coureur... Peu de choses, finalement, et pourtant, déjà plusieurs mobiles pour un meurtre aussi lâche...
Le policier parisien va se démener, risquant parfois la sanction, accusé de désertion par le successeur du lieutenant, bousculant aussi bien les services médicaux, que ceux qu'on appelle, "les territoriaux", en charge du ramassage des corps des morts et des blessés. Sa volonté farouche de résoudre un meurtre qui n'en sera jamais un va lui permettre de soulever des montagnes et de même réussir à obtenir un soutien discret de sa hiérarchie.
Mais, cette enquête est aussi bien périlleuse... Poilu il est, poilu, il reste... Lui aussi pourrait tomber au champ d'honneur, victime de cet indescriptible chaos. Et puis, il est bien placé pour le savoir, celui qui a tué le lieutenant pourrait lui régler son compte dans des circonstances identiques, et personne n'ira enquêter sur la mort de Célestin Louise, mort pour la France...
Alors, il va devoir redoubler de vigilance et exploiter comme il peut les maigres pistes qu'il a pu découvrir. Et il va aussi devoir aller à l'arrière, dans cette France en guerre qui vit loin du front. Pas tout à fait comme si de rien était, mais dans un confort enviable quand on a passé quelques mois dans les tranchées. Et une France qui, par la force des choses, change, les femmes prenant la place laissée vacante par les hommes, par exemple...
C'est d'ailleurs ce que j'ai le plus aimé dans ce roman, à l'intrigue malgré tout assez classique. Mais Thierry Bourcy intègre parfaitement le contexte historique à son histoire. De la mobilisation générale aux classes puis à l'arrivée sur le front alors que la guerre de tranchées s'est déjà installée. On croise aussi un aviateur, on assiste à la fraternisation de Noël 1914 ou aux premières attaques de gaz.
Parfois, ces événements sont anodins et ne font que nourrir la chronique de la vie quotidienne des combattants, à d'autres reprises, ils jouent des rôles importants dans l'intrigue. Et, en cela, c'est très réussi. La description de la guerre aussi m'a impressionné et m'a donné l'impression d'y être. On sent la violence du souffle des explosions, on entend le bruit des balles qui sifflent à nos oreilles, on vit l'inconfort, la précarité, la promiscuité, la peur qui suinte partout, on voit la mort frapper à deux pas de nous, etc.
Mais on voit aussi Paris vidé de ses forces vides, les déserteurs, déjà, qui font tout pour échapper à la mobilisation, les régions éloignées des combats qui essayent de vivre tant bien que mal, tout en se tenant au courant difficilement des avancées du conflit, car les moyens de communication ne sont pas les mêmes et la censure fait rage. On voit aussi ce qu'on appelle "la Zone", ces faubourgs de Paris, sortes de bidonvilles, changer peu à peu et les femmes servir l'effort de guerre...
Quant à Célestin Louis, on sent le gars débrouillard, taillé pour le boulot de policier. Un vrai limier de roman qui aurait pu être le héros d'une série de polars dans n'importe quelle circonstance, je pense... Il me fait penser au fils spirituel du commissaire Valentin et des autres membres des Brigades du Tigre. Il en aurait l'étoffe, je trouve, la sagacité, l'efficacité et la détermination.
Il ne paye pas de mine, Célestin Louise, en tout cas, dans l'image que je me fais de lui. Grand, mince, cheveux châtains coupés courts, un visage glabre aux pommettes saillantes et les yeux bleu pâle, voilà la description qu'on a de lui à la première page. Pas vraiment le genre super-héros, mais une teigne qui ne lâche rien tant qu'il n'a pas solution, tant qu'il n'a pas mis un coupable hors de nuire...
Il est en tout cas un parfait policier de roman populaire, comme on en lisait beaucoup à l'époque. Je suis curieux de le voir évoluer dans les prochaines enquêtes, chacune ayant pour cadre une année de guerre, mais aussi 1919 pour le dernier sorti. Histoire de voir comment Bourcy va renouveler ses intrigues et y entremêler les faits historiques marquants de cette époque.
Vous aurez noté que j'ai un peu insisté sur l'arrière et ce qui s'y passait. J'ai lu certains avis qui regrettaient cela, attendant sans doute que le roman ne quitte pas le front. Je ne suis pas d'accord, cela apporte quelque chose à l'histoire dans un conflit encore jeune, pas encore complètement enlisé dans les terres fertiles du nord de la France. Et, en particulier, la difficulté pour Célestin à enquêter loin de son régiment.
J'imagine également le rôle des camarades de régiment de Célestin, dont j'ai peu parlé à part Béraud, mais qui commencent à former un groupe assez soudé, solidaire, grandira dans les prochains tomes. Entre mutations sur d'autres parties du front, possibles avancements, nouvelles stratégies, nouvelles technologies, histoires personnelles, stress poussé au paroxysme, envie de quitter cet enfer, etc. Il existe bien des possibilités pour pouvoir créer le cadre propice à de nouvelles intrigues...
Sans doute la physionomie des tomes suivants changera-t-elle, sans doute d'autres aspects du conflit vont-ils pouvoir intervenir. Je ne manquerai pas de vous en parler et je crois que ce ne sera pas le seul roman sur cette période dont je vous parlerai sur le blog dans les mois qui viennent. Car, j'imagine que ce triste centenaire devrait inspirer beaucoup de romanciers (et d'éditeurs)...
J'en vois même un se profiler très prochainement, un roman dont on parle énormément depuis cette rentrée littéraire et qui sera une de mes toutes prochaines lectures. A bon entendeur...