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Les Damnés: La lignée des Petrova – Chapitre 23

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

La silhouette d’Elijah se détachait à peine au travers des vitres givrées de la chambre qu’il occupait. Pourtant lorsque Noura longea le muret d’enceinte de la propriété, ce fut la première chose qu’elle vit. Elle resta plantée sur le bord de la route, hésitant à  pénétrer dans la cour de la ferme. Il l’avait vue sans nul doute, mais elle craignait par avance la confrontation avec  l’originel qui n’allait pas manquer de condamner fermement ce qu’elle venait de faire. D’autant plus qu’elle s’était précipitée sans attendre chez Noah à peine était-il sorti de la maison, ce point n’avait pas dû être au goût du vampire non plus.

Klaus ne fut pas long à la rejoindre. En la trouvant immobile et hésitante, il suivit son regard en direction de la fenêtre.

- Tu penses qu’il est encore en colère ? demanda-t-elle en espérant que Klaus aurait au moins le tact de lui mentir pour la rassurer.

- Ça ne fait aucun doute, répondit-il impitoyable.

- Je pourrais lui dire que tout est de ta faute…. Ce n’est pas entièrement faux après tout, rétorqua-t-elle en lui jetant un regard en coin qu’il lui rendit.

- Tu ne manques pas de culot ! s’étrangla-t-il .Fais donc cela et, moi, je lui dirais que tu as utilisé la magie de manière irréfléchie.

Dépitée, Noura fronça le nez et marmonna quelques mots intelligibles à l’adresse du vampire avant de se décider enfin à se diriger vers la maison. La perspective de devoir affronter la colère de l’originel après cette soirée l’accablait au plus au point. Pourtant cela semblait inévitable et Klaus ne lui serait incontestablement d’aucune aide. Pourquoi le ferait-il après tout? Lui, qui voyait sa relation avec son frère d’un mauvais œil, n’allait certainement pas intercéder en sa faveur.

Même s’il était passablement irrité par toute cette histoire, Elijah n’avait pu retenir un soupir de soulagement en les voyant revenir apparemment sains et saufs. Pourtant lorsqu’ils entrèrent dans la maison et qu’ils furent accueillis par des exclamations de soulagement de la part de Milan, il se refusa à les rejoindre. Que ce soit par fierté ou par  principe, toujours est-il qu’il n’admettait  pas d’être tenu à l’écart de leurs projets de cette manière, surtout de la part de deux êtres qui n’avaient jamais pu se supporter et qui semblaient aujourd’hui se liguer contre lui. De la part de son frère, cela ne l’étonnait qu’à moitié mais venant d’elle, la trahison  ne passait décidément pas.

Ils étaient tous réunis au rez de chaussée pour écouter Klaus relater les derniers évènements. Ce qu’il entendait au sujet de l’ultimatum de Noah ne faisait que  conforter Elijah dans l’idée que tout leur fabuleux plan n’était qu’une monumentale erreur. Mais que pouvait-il attendre d’autre de ces deux entêtés ? Une chose, malgré tout, le dérangeait : elle était étrangement muette. Ce n’était pas bon signe. Après plusieurs minutes, il l’entendit monter les escaliers, sentit l’hésitation dans ses pas, la devina faire demi-tour à plusieurs reprises.  Lorsqu’elle entra dans la chambre après de longues secondes passées derrière la porte, il ne bougea pas et la laissa venir à lui. Il avait anticipé la conversation, se doutait de ses réactions. Il se dit qu’elle allait certainement s’emmêler dans de piètres excuses avant de s’emporter comme elle le faisait d’habitude en voyant que ses explications étaient sans effet. Même s’il ne voulait pas lui simplifier la tâche, il savait aussi qu’il finirait par céder inévitablement. Ils avaient beau se connaître très peu finalement, les règles de ce jeu-là, ils les pratiquaient depuis leur rencontre avec une régularité déconcertante.

  Il avait effectivement tout prévu. Tout sauf, cette odeur si familière qui émanait encore d’elle lorsqu’elle s’approcha. Il fit volte face si rapidement, elle en sursauta. Devant le front et les yeux plissés du vampire qui scrutaient le moindre centimètre de son visage, elle baissa vivement la tête, mal à l’aise, presque honteuse.

- Qu’est-ce que tu as fait ? demanda-t-il avec un ton si consterné que la gorge de la jeune femme se noua encore un peu plus.

- J’ai fait ce qu’il fallait pour vous sauver tous, murmura-t-elle d’une voix à peine audible.

- Si tu m’avais attendu au lieu d’aller te jeter tête baissée dans ce plan stupide, tu n’aurais eu pas besoin de faire ça ! accusa-t-il avec véhémence.

- S’il te plait : pas de reproches, pas de disputes …pas ce soir, supplia-t-elle en luttant pour ne pas fondre à nouveau en larmes.

Elle avait eu largement son compte d’humiliations et de remarques désagréables pour la soirée. Elle n’aspirait à ce moment-là qu’à une chose : c’était d’être réconfortée, d’être enlacée et surement pas vilipender par l’homme qu’elle aimait. Et même s’il ne semblait pas être dans cet état d’esprit, elle prit malgré tout les devants et vint se blottir contre lui au risque d’être repoussée. C’était ce qu’Elijah aurait voulu faire pour lui faire comprendre la leçon même de manière un peu brusque, mais  ces belles résolutions s’envolèrent rapidement en la sentant tremblante et si désemparée.

- Raconte-moi, chuchota-t-il au bout d’un moment à son oreille en l’enlaçant à son tour.

Il ne lui fallut pas insister davantage. Comme si elle attendait cette invitation depuis qu’elle avait pénétré dans la chambre, elle raconta. Elle raconta tout, dans les moindres détails : la haine qu’elle avait ressentie pour Noah, ses pouvoirs qu’elle avait délibérément laissés lui échapper et puis le meurtre de ce garçon. Le fait de ne pas pouvoir ressentir le moindre remord la terrorisait autant que cela l’exaltait.

Elijah, en revanche, était horrifié et aurait bien aimé stopper ce flot de paroles qu’il avait encouragé. Il la dévisagea comme si elle était devenue soudain une étrangère. Il se remémora soudain les paroles de Klaus avant que ce dernier ne parte la rejoindre. Etait-il possible qu’il n’ait effectivement jamais voulu affronter cette partie d’elle qui, il devait bien l’admettre, le dérangeait au plus au point ? Il se souvint brusquement du jour où il avait vu son doux visage aux expressions juvéniles se métamorphoser pour la première fois. Il en avait ressenti un malaise inexplicable.

Allongés l’un contre l’autre, elle avait continué à parler encore un long moment, la tête appuyée contre son torse. Il l’avait écoutée patiemment sans jamais l’interrompre jusqu’à ce que l’épuisement la gagne et qu’elle finisse par s’endormir au milieu d’une phrase. Le nez plongé dans ses boucles brunes indisciplinées, Elijah se laissa enivrer de son parfum encore un long moment avant de se détacher à regret ce corps blotti contre le sien. Elle bougea dans son sommeil mais ne se réveilla pas lorsqu’il quitta la chambre. Même s’il ne pouvait nier ce qu’elle était, il était hors de question qu’il laisse Noah, son frère ou quiconque la transformer en un être dépourvu du moindre affecte, froid et cruel. Elle devait rester cette femme attachante et sensible, gaffeuse et rebelle qui l’avait séduit dès leur première rencontre. Et il ferait tout pour qu’elle le reste.

****

Elle s’éveilla en sursaut quelques heures plus tard, assaillie par les images monstrueuses qui hantaient ses cauchemars  depuis des années. Ce soir-là, elles prenaient l’apparence d’un visage séduisant mais qui subitement  se transformait en une face hideuse et répugnante et qui tentait de l’entraîner à sa suite. Assise dans le lit vide, le souffle haletant,  elle éprouva soudain une réelle angoisse en se découvrant seule dans cette chambre froide et sombre. Elle sauta prestement au sol et sortit tout aussi rapidement dans le couloir. Elle n’avait pas la moindre idée de l’heure qu’il pouvait être. La maison était plongée  dans le silence et l’obscurité la plus totale. Elle descendit au rez de chaussée et aperçut la lueur de bougies filtrant sous la porte de la cuisine. Lorsqu’elle l’ouvrit dans l’espoir d’y retrouver Elijah, elle n’essaya même pas de cacher sa  déception et surtout sa surprise en voyant Klaus et Ivan attablés face à face devant les notes de Goran.

- Tu as perdu quelque chose ? railla Klaus.

- Où est Elijah ?

- Il est parti Dieu sait où. J’ai comme l’impression qu’on a un sérieux problème de communication lui et moi depuis hier, continua-t-il d’un air exagérément désolé en  frottant sa mâchoire comme s’il éprouvait encore une quelconque douleur.

- C’est le moins que  l’on puisse dire, ricana Ivan qui avait vu son géniteur se faire étaler par son oncle  deux fois dans la même soirée.

 La dernière ne remontait qu’à deux heures à peine lorsqu’Elijah était venu demander des comptes sur ce qui s’était passé après leur « visite » à Noah. Ivan n’avait pas vraiment compris de quoi il s’agissait mais, en tout cas, c’était suffisamment grave aux yeux d’Elijah pour s’en prendre à nouveau à son frère.

- Tais-toi et cherche, toi ! ordonna Klaus à l’adresse du jeune homme en pointant un doigt autoritaire sur les documents étalés sous ses yeux.

Noura se joignit à eux en prenant place en bout de table et ne put s’empêcher de sourire devant la désinvolture de son neveu qui avait repris sa lecture d’un air goguenard. Mais son visage se rembrunit aussitôt en voyant toutes les notes étalées  et qui recouvraient toute la surface de la table. La tâche qui leur incombait en un délai aussi court était colossale. Surtout qu’aucun d’eux ne savait réellement ce qu’ils devaient chercher.  Comme tous les membres du conseil, Goran était un homme méticuleux. Chaque document avait été soigneusement numéroté et chacun correspondait à l’un des sorts du grimoire. Ses notes constituaient une sorte d’inventaire mais également un historique de chacune des formules. Le grimoire  était une accumulation de toutes les connaissances de la famille en matière de magie. La plupart des formules qu’il contenait étaient inoffensives. Elles étaient pour beaucoup destinées à la guérison des maux en tous genres et témoignaient ainsi du rôle de la famille dans la communauté depuis des décennies.

Mais tout avait basculé avec Zoya et le meurtre de son petit-fils.  Les documents de Goran concernant cette période étaient beaucoup plus nombreux. On devinait à l’écriture de plus en plus irrégulière du vieil homme une certaine fébrilité devant le contenu des sorts répertoriés par son ancêtre. Il ne s’agissait plus de simples recettes mises au point pour guérir. La nature n’avait plus sa place dans les formules de Zoya, elles avaient été conçues pour punir et détruire et s’approprier toujours plus de pouvoirs. Noura se fit soudain la réflexion que Viktor et Zoya auraient probablement fait un couple formidable si celle-ci était parvenue à achever sa transformation.

- Elle était complètement cinglée, lâcha soudain Klaus comme s’il répondait encore une fois aux réflexions silencieuses de  Noura.

- Dit celui qui ferait n’importe quoi pour devenir le premier de son espèce, quitte à torturer et à tuer quiconque se mettrait sur sa route, persifla-t-elle.

- Ça n’a rien à voir, riposta-t-il. Je n’ai pas demandé à être celui que je suis alors qu’elle, elle l’a fait sciemment en sachant ce qu’elle allait devenir.

Noura haussa les épaules pour mettre fin à la discussion. Elle n’allait pas commencer à jouer à «  quel membre de nos deux  familles est le plus dérangé » avec lui. Elle lui jeta un regard en biais et ne put s’empêcher de sourire malicieusement avant de lancer :

- Tu te rends compte que si je parviens à briser le lien qui vous unit, je pourrais tout à fait  par mégarde te tuer aussi.

- Tu te rends compte que si tu continues à me chercher, tu  pourrais ne pas voir la fin de cette histoire, répliqua-t-il sans lever le nez de ses feuilles.

Il garda le silence quelques instants et tacha en vain d’ignorer les regards de connivences qu’elle s’échangeait avec Ivan. Vexé de cette complicité qui s’exerçait à ses dépends, il releva la tête et lâcha de manière inconsidérée:

- Tu es sans doute la première et la plus détestable de toutes mes créations.

Devant le regard perplexe qu’elle lui lança alors, Klaus baissa vivement le nez en espérant  qu’elle n’est pas saisie la portée de ce qu’il venait de dire. Mais ce fut peine perdue.

- Je suis…. ta première ? …. Tu veux dire qu’en sept ans, tu n’avais jamais….. Mais comment c’est possible ?, s’exclama-t-elle totalement abasourdie.

Furieux contre sa bêtise et de devoir se justifier, Klaus referma brutalement le carnet qu’il tenait entre les mains.

- Eh bien oui ! Figure-toi qu’Anya n’a pas laissé le mode d’emploi en partant. Il a fallu comprendre comment ça fonctionnait et faire des essais… pas toujours concluants. Et puis j’ai pris mon temps, tu devrais être flattée que ce soit tombée sur toi, lâcha-t-il avec mauvaise foi.

- Flattée ? …Je devrais me sentir flattée ? Tu te moques de moi ! Tu m’as fait passer la pire nuit de mon existence et tu voudrais que je t’en remercie en plus ? Tu as détruit ma vie, je te rappelle ! s’emporta Noura en frappant si violemment du plat de la main sur la table qu’Ivan dut rattraper de justesse les feuilles qui semblaient vouloir se carapater devant cette dispute incongrue.

- «  Détruit ma vie » tout de suite les grands mots, reprit-il en levant les yeux au ciel. Premièrement, je ne t’ai pas forcée : tu as eu le choix. Et deuxièmement, tout à l’heure dans la ruelle, tu n’avais pas l’air de trouver ça si horrible que cela.

Noura ouvrit la bouche pour répliquer lorsqu’une lamentation d’Ivan qui  tenait sa tête baissée entre les mains, attira leur attention à tous deux.

- Seigneur….heureusement que je sais de quoi vous parler…. Enfin… j’espère que je sais de quoi vous parlez …

Différentes expressions passèrent alors sur les visages de Klaus et de Noura : d’abord une  totale incompréhension puis la lumière se fit des deux côtés pour enfin déboucher sur une expression sincère de dégoût.

- Va dans ta chambre !

- Va te coucher !, lui hurlèrent-ils en cœur.

Ivan obtempéra non pas parce qu’il venait subitement et par miracle de comprendre ce que le mot « obéissance » voulait dire mais essentiellement parce qu’il ne parvenait plus à retenir son hilarité. L’éclat de rire que le jeune homme lâcha à peine sorti de la cuisine exaspéra les deux vampires qui s’échangèrent un dernier regard dans lequel chacun put lire «  C’est de ta faute ! » avant de replonger le nez dans les documents pour ne plus le relever.

Plusieurs heures s’écoulèrent dans cette ambiance studieuse. Les premières heures de l’aube pénétraient déjà dans la maison, lorsque Noura se releva de son siège toute engourdie.

- Il n’est toujours pas rentré. Tu n’as vraiment aucune idée de l’endroit où il a pu aller, demanda-t-elle de plus en plus anxieuse.

Absorbé par sa lecture, Klaus se contenta de secouer la tête. Son front soudain soucieux intrigua Noura :

- Tu as trouvé quelque chose ? s’enquit-elle.

- J’ai l’impression d’avoir déjà vu ça quelque part….

Il lui présenta le carnet qu’il épluchait depuis des heures maintenant et lui désigna parmi les lignes serrées écrites par Goran un étrange symbole qui  manifestement avait suffisamment intrigué le sorcier pour qu’il le reproduise à l’identique dans ses notes. Aucune explication ne lui était accolée, simplement les interrogations de Goran sur sa signification. Noura regarda un long moment cette curieuse arabesque et se remémorant soudain où elle l’avait vue se releva d’un bond à la surprise de Klaus qui lui emboita malgré tout le pas.

Elle gravit les marches quatre à quatre et entra en trombe dans la chambre d’Ivan qui réveillé en sursaut s’était vivement redressé.

- Ivan où est le pendentif de ta mère ? demanda-t-elle vivement….


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