Chose rare qui mérite d’être signalée, à cette exposition du musée Jacquemart-André les photos sont autorisées ce qui me permet de bien illustrer cet article. Historiquement ce que l'on appelle « l'ère victorienne » correspond au règne de Victoria reine de Grande-Bretagne et d’Irlande, puis impératrice des Indes entre 1837 et 1901. Ce règne exceptionnellement long (soixante-trois ans), a marqué la Grande-Bretagne alors à l’apogée de sa puissance. Le pays est alors régi par une morale rigoureuse empreinte de puritanisme et de conformisme social. Si la reine Victoria en tant que monarque constitutionnel n'a pas de réel pouvoir, par sa droiture morale, sa dignité et l’austérité de sa cour, elle incarne et influence les vertus et les préjugés de cette nouvelle bourgeoisie britannique.
En réaction à ce puritanisme étouffant et à la laideur de l'industrialisation naissante, tout un courant artistique se lance dans une quête de la beauté qui s'exprime par un retour à l'antique, de somptueuses peintures décoratives et le nu féminin. C'est « l'Aesthetic movement » qui avait déjà fait l'objet de l'exposition « Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde » en 2011 au musée d'Orsay.
Les artistes déclinent le « désir d'antique » car la bourgeoisie anglaise nourrie de culture classique se passionne pour les fouilles archéologiques de Grèce et d'Italie. Le peintre Lawrence Alma-Tadema « surfe » avec succès sur cette tendance. Son tableau « Les roses d'Hiélogabale » retrace l'histoire de ce banquet au cours duquel l'empereur romain Héliogabale aurait fait déverser sur les convives une telle pluie de pétales de roses que certains d'entre-deux en furent étouffés. On le voit ainsi sur une estrade avec ses proches se réjouir avec cruauté de l'agonie des convives.
Le « Moïse sauvé des eaux » de eaux de Frederic Goodall allie la redécouverte de l'Egypte antique, le thème de la Bible auquel s'ajoute les nus féminins de la fille de Pharaon et de ses suivantes.
Dans le tableau daté de 1868, est intitulé "Le Quatuor, hommage du peintre à l’art de la musique" le peintre Albert Joseph Moore s'inspire des fresques du Parthénon tout en étant volontairement anachronique, car les musiciens jouent avec des instruments du XIXe siècle. L'artiste y ajoute en plus une touche discrètement érotique, les draperies laissant entrevoir les formes des femmes debout de dos.
«Les Remparts de la maison de Dieu » de John M. Strudwick est une illustration de la tendance « préraphaélite », s’opposant au matérialisme victorien et aux conventions néoclassiques de l’art académique, les préraphaélites réunis autour de Dante Gabriel Rossetti réagissent contre la peinture officielle, et prônent un retour à la nature prenant comme modèles les primitifs italiens antérieurs à Raphaël. Ce tableau représente deux âmes accueillies au paradis par des anges.
A cette époque le nu devient un genre à part entière dans la peinture anglaise. Le prétexte mythologique permet aux peintres de présenter des œuvres sensuelles. Frédéric Leighton s'inspire des compositions d'Ingres qu'il a rencontré à Paris. Avec « Crenaia, la nymphe de la rivière Dargle » (vers 1880), il reprend le thème d’un nu féminin placé sur un fond de paysage.
Si la femme de l'époque victorienne est cantonnée à son rôle d'épouse et de maîtresse de maison juridiquement inférieure à son mari, elle est magnifiée par les artistes. Mais ces derniers projettent leur idéal masculin sur une femme idéale d'une beauté évanescente et intemporelle. John W. Goodward peint ainsi « L'absence fait grandir l'amour », une jeune fille à la beauté classique dont les vêtements, d’un coloris chaud alliant le rose et l’orange, se marient à merveille avec son teint hâlé et ses cheveux noirs de méditerranéenne.
Ce même type de composition se retrouve dans « La joueuse de Saz » de William C. Wontner. Il y a ici un contraste entre la jeune fille indubitablement britannique et ses vêtements et l'instrument de musique de style oriental.
Ce mouvement artistique ne survécu pas à la première guerre mondiale et les artistes tombèrent dans l'oubli. Il connaît ensuite un regain d'intérêt depuis les années 1960, les musées de Grande-Bretagne l'ayant remis au goût du jour. Quand aux œuvres présentées dans cette exposition, elles proviennent de la collection de l'homme d'affaire mexicain Juan Antonio Pérez Simon.
Désirs et volupté à l’époque victorienne au musée Jacquemart-André jusqu’au 20 janvier 2014.