Entretien inédit de Nisargadatta Maharaj par Alain Porte 3

19 octobre 2013

Voici un entretien entre Nisargadatta Maharaj et des visiteurs relaté par Alain Porte qui lui rendit visite en 1979.

L'entretien est paru dans la revue Être de Jean Klein.

Entretien 1

Entretien 2

Quelle est la différence entre le Tantra et l'Advaita ?

Méditez sur le Soi et vous comprendrez cette supercherie. Tantra veut dire « truc » (4). Le Tantra est une technique. Vous m'interrogez sur la discipline préconisée par les Tantras. Je n'y répondrai pas parce que c'est votre corps et vos sens qui posent la question. Je m'adresse à vous, non pas comme à un être incarné, logé dans un corps, mais comme au principe manifesté que vous êtes. Il n'y a pas de technique dans ce principe. Vous me posez des questions du point de vue d'une personne incarnée. Je ne puis vous répondre parce que je ne suis pas associé aux organes physiques des sens. Par conséquent, je vous réponds en considérant les organes sensoriels comme une illusion. Vous ne comprenez pas une chose très simple : votre corps et celui d'un animal sont de la nourriture. Quand vous mangez un animal, vous l'accommodez au mieux, avec sel, épices. Mais votre corps est aussi nourriture. Vous ne voulez pas voir que votre corps signifie nourriture et ainsi vous ne mettez pas en question votre point de vue. Quand ce corps est dévoré par un animal sauvage, sans condiments, vous êtes mangé tout cru ! Dois-je m'adresser à vous comme à un corps, c'est-à-dire à un tas de nourritures ?

Qu'est-ce qu'une recherche tantrique ?

Le Tantra est une technique, comme cette cassette qui enregistre ma voix et la transporte de l'autre côté du monde. Une technique, voilà ce qu'est le Tantra et rien d'autre. Tantra, Mantra, Yantra, ce sont des mots.

Cette ancienne tradition transmise par les Tantra-shâstras, les traités tantriques, est-elle utile ou non ?

S'il n'y avait pas de Tantra, seriez-vous ici ? Encore une fois le Tantra est technique. Les villes se construisent grâce au Tantra.

Ce n'est pas ce que je veux dire... Le Tantra est-il une voie de réalisation ? Je ne soulève pas le problème de l'industrialisation, mais celui de l'utilité spirituelle.

Je parle uniquement du spirituel mais vous, vous le nommez dans le monde du temps. Aussitôt que vous avez compris cette technique, vous comprenez que vous êtes une non entité. (Silence) Dès que l'énergie diminue, on entre en samâdhi par épuisement (Silence). Il y a aussi une technique du Mantra, on l'appelle mesmérisme. Vous avez à lire et, par la seule lecture, vous entrez en transe, mais ce n'est pas ce qui vous préoccupe. Vous voulez dire que toute personne signifie une intégration de l'aspect mâle et de l'aspect femelle. Cette femme, par exemple, représente l'unité des aspects mâle et femelle, n'est-ce pas ?

Oui.

Je suis profondément surpris. Qu'est-ce qui mijote au fond de vous-même ? Qu'est-ce qui vous aiguillonne ? Qu'est-ce qui bout en vous ? Vous êtes assis là et c'est cela qui m'intéresse.

La connaissance du Tantra, qui fut autrefois prédominante en Inde, peut-elle m'aider à me connaître ?

Tantra, Mantra... Ce sont des mots ! Le Tantra est ici, c'est une action ; il n'est pas nécessaire d'aller le chercher au bout du monde ! Je ne vous donne aucune voie. Un voleur détale, essaie de s'échapper : « Au voleur ! Au voleur ! Attrapez-le !» Et le voleur s'éloigne à toutes jambes. Si le vcteur tente de fuir, attrapez-le, ne vous contentez pas de crier « au voleur » Cramponnez-vous à la conscience (empirique) qui est le voleur. Empoignez le principe ultime par le cou. Je ne vous prescris aucune voie. Je vous demande simplement d'empoigner le Soi par le Soi et avec le Soi.

Est-ce qu'une technique pourrait s'avérer dangereuse en nous écartant de l'expérience de notre Soi ?

Si vous pensez que c'est dangereux, ce sera dangereux. Si vous pensez que ce n'est pas dangereux, ce ne sera pas dangereux.

Comment savoir qui est réalisé ? Qui est un jnânî ?

Comment reconnaissez-vous que vous vous réveillez ou glissez dans le sommeil ? Si vous vous comprenez vous-même, c'est aussi salutaire que de comprendre un jnânî. Quand deux sages se rencontrent, ils ne parlent pas, ils gardent une attitude de quiétude. Un sage reconnaît un autre sage.

Je ne parle pas d'un sage mais de nous-mêmes. Quand nous approchons d'un guru, d'un guide, comment reconnaître qu'il est un vrai guru ? C'est une question formelle que beaucoup de chercheurs se posent.

Comment reconnaître un guru si l'on n'est pas soi-même un guru ?

Ainsi, on ne peut avoir de guru ?

Vous l'appelez père parce qu'il a dix enfants. Si vous n'avez pas d'enfants, vous appellera-t-on : père sans enfants ?

Non, nous ne désirons pas être appelés père, mais nous voulons pouvoir appeler père quelqu'un. Comment savoir s'il l'est réellement ou pas ? Il est possible que ses enfants soient à la maison et non avec lui...

Vous ne comprendrez pas la paternité si vous ne devenez pas un père.

Si l'on est à la recherche d'un guru, on ne pourra le rencontrer à moins que l'on ne soit soi-même devenu un guru.

Vous pouvez rencontrer un guru, croiser sa route, mais non le reconnaître, ni le comprendre.

Mais, la Gîtâ donne les caractéristiques d'un guru, d'un homme établi dans la connaissance du Soi.

Krishna et Arjuna étaient établis en eux-mêmes. Cette parfaite connaissance de soi ne les abandonnait pas, même au milieu de la bataille. Jusqu'au plus épais de la bataille, cette connaissance totale, cette quiétude ne subissait aucun trouble