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Les Damnés: La lignée des Petrova – Chapitre 24

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

- Je croyais que tu ne voulais pas qu’on y touche pour le moment, protesta Neklan qui tentait tant bien que mal de suivre le rythme de son aîné qui parcourait d’un pas rapide et déterminé les allées du cimetière.

- C’était avant de savoir à qui j’avais à faire, répondit Elijah sans ralentir et en s’écartant des allées pour s’engouffrer entre les tombes pour gagner du temps.

- Je n’arrive pas à croire que ce salopard nous ait tous bernés sans que l’on s’en rende compte, grommela le jeune originel en passant sa mauvaise humeur sur une pierre tombale dans laquelle il envoya un coup de pied au passage.

Elijah stoppa net sa progression et lui jeta un coup d’œil courroucé par-dessus son épaule. Penaud, Neklan redressa la pierre renversée au sol avec des gestes maladroits et entreprit de dévier la conversation sur le sujet qui les préoccupait. Son frère avait l’air suffisamment de mauvaise humeur pour qu’il n’ait pas envie d’en faire les frais en se rebellant inutilement pour des futilités.

- Pourquoi veux-tu réveiller Vlad maintenant ? S’ils s’en rendent compte, c’est sur moi que ça va retomber.

- Premièrement, j’ai besoin de la dague pour pouvoir mettre Viktor hors d’état de nuire, expliqua Elijah en reprenant sa route. Deuxièmement, ça ne retombera pas sur toi parce que tu ne seras plus là. Tu vas partir avec Vlad pour trouver le plus rapidement possible Stan et Finn.

- Pourquoi faire ? s’étonna Neklan qui ne voyait pas du tout l’intérêt d’aller se mettre à porter de poings de deux frères qui ne le portaient pas dans leur cœur.

Elijah ne répondit pas immédiatement. Ils étaient parvenus à l’entrée de la crypte dans laquelle le corps de Vlad était dissimulé. Il poussa la grille rouillée qui grinça lugubrement sur ses gonds et pénétra dans le lieu sombre et humide. Le bruit sourd du couvercle de pierre de la tombe qu’Elijah fit pourtant glisser lentement sembla se répercuter dans tout le cimetière et arracha une grimace à l’originel. Ce n’était pas vraiment le moment d’attirer l’attention sur eux, surtout que Neklan n’avait absolument aucune idée de l’endroit où son père et Noah s’étaient volatilisés. Les deux hommes avaient manifestement pris des libertés chacun de leur côté et avaient soigneusement laissé Neklan en dehors de leurs projets respectifs. Cela ne lui disait vraiment rien qui vaille.

Elijah contempla un instant le visage grisâtre de son frère avant de tirer la dague d’un coup sec. Pour la première fois depuis leur transformation, ils allaient devoir tous s’allier contre leur père et contre les obscures projets d’un sorcier qui, il le savait, finiraient tôt ou tard par les mettre en danger.  Malgré tout, il ne put s’empêcher d’éprouver une certaine appréhension. Seraient-ils tous capables de faire table rase du passé, de mettre entre parenthèse la rancœur accumulée au cours de toutes ces années pour faire front ensemble? Rien n’était moins sûr. Pourtant il le fallait. Elijah inspira profondément l’air vicié de la crypte et reprit ses explications :

- Je doute sincèrement que Noah, une fois en possession du grimoire, consente à nous remettre les fioles contenant votre sang à tous. On va donc prendre les devants. Klaus et moi, nous nous occupons de Viktor et Vlad et toi vous vous chargez de ramener Stan et Finn au plus vite pour que l’on puisse briser le lien qui nous unit. Sans ses deux moyens de pression, Noah sera beaucoup plus vulnérable et je pourrais alors lui arracher les yeux… entre autres choses.

- Si nous sommes tous réunis, Noura pourra briser ce lien donc. Mais dis-moi, une fois que ce sera fait, qu’est-ce qui l’empêchera de tous nous tuer…. à part toi ?  Après tout ce qui c’est passé, je n’hésiterais pas à sa place, s’inquiéta soudain Neklan qui se remémorait avec anxiété ses différentes rencontres avec la sorcière et le rôle peu glorieux qu’il avait joué dans cette histoire.

Effectivement, Elijah devait bien admettre que c’était sans doute le point faible de son plan : empêcher Noura de se servir du grimoire contre Klaus et ses frères et, dans la mesure du possible, d’utiliser la magie. Et cela, c’était loin d’être gagné d’avance. Il avait bien envisagé une éventualité mais pour le moment il n’était pas encore prêt à affronter les conséquences et les sacrifices qui allaient en découler. Et pourtant, cela semblait la seule solution. Elijah secoua la tête pour chasser ces sombres perspectives avant de reprendre.

- Il nous reste très peu de temps. Dès qu’il sera réveillé, explique-lui tout et vous partirez au plus vite. Donne-moi la cendre du chêne, je dois repartir là-bas avant qu’elle ne commette une autre ânerie dont elle a le secret,  ordonna-t-il.

***

Emmitouflée dans d’épaisses couvertures, Maïa luttait contre une irrépressible envie de se lever pour aller voir pourquoi les éclats de voix de Klaus et Noura, qui s’étaient invectivés pendant près d’une heure, avait subitement cessé. Son père était parti les rejoindre aux premières lueurs du jour lorsqu’il les avait entendus pénétrer avec la discrétion d’un troupeau de vache dans la chambre d’Ivan. Mais cela remontait à plusieurs heures maintenant et aucun d’eux n’avait pris la peine de venir la voir pour l’avertir de ce qui se passait. Elle commençait sérieusement à trouver cette position de « pauvre petite fille qu’il faut protéger et ménager» franchement horripilante. Elle rejeta les couvertures d’un geste d’exaspération et commençait à se lever  péniblement quand la porte s’entrouvrit pour laisser passer la tête d’Ivan.

- Ah tu es réveillée ! Bien….Ça te dérange si je te tiens compagnie ? demanda-t-il pour la forme en pénétrant rapidement dans la chambre et en refermant la porte derrière lui sans attendre la réponse.

Maïa fronça les sourcils et le dévisagea d’un air soupçonneux.

- Qu’est-ce que tu as fait ?

-Moi ? Mais rien du tout ! s’empressa-t-il de répondre en se calant dans le fauteuil près du lit de sa sœur.

Maïa ne fut pas le moins du monde convaincu par le ton faussement innocent de son frère mais sachant très bien qu’il ne lui dirait rien de cette manière, elle n’insista pas et s’allongea de nouveau en grimaçant.

- Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi se sont-ils encore hurlés dessus ? Et surtout pourquoi on ne les entend plus ?

Ivan jeta un rapide coup d’œil vers la porte close comme s’il craignait qu’elle ne s’ouvre brusquement. Puis reportant à nouveau son attention vers sa sœur qui l’interrogeait du regard, il allongea négligemment ses jambes sur le lit avant de répondre sur un ton le plus détaché possible.

- Ils ont découvert ce matin dans les carnets de Goran des dessins de symboles que l’on retrouve également sur tout le contour du pendentif. Sur les sept qui sont gravés sur le bijou, on en a trouvé quatre identiques dans les notes. A défaut d’avoir un quelconque rapport avec ce que l’on cherche, ce n’est surement pas une coïncidence.

- Tu crois que le pendentif a appartenu à Zoya et qu’elle a un rapport avec la formule que l’on cherche?

Ivan haussa les épaules en signe d’ignorance :

- En tout cas, elle est dans la famille depuis longtemps. C’est possible.

- Mais pourquoi se sont-ils énervés comme cela ?

- Ça nous a pris des heures pour trouver les quatre. Noura a décrété que ce n’était pas assez rapide et qu’elle voulait aller vérifier directement dans le livre pour gagner du temps. Ce à quoi Klaus a répondu qu’il était hors de question qu’elle mette un pied dehors sans lui. Ce à quoi elle lui a répondu qu’il était hors de question qu’il sache où elle avait planqué le livre. Il l’a traité de « bécasse sans cervelle » qu’il allait ligoter si elle s’avisait de lui désobéir, ce qui tu t’en doutes n’a pas du tout convaincu notre tante, qui l’a alors menacé  de mettre le feu à une certaine partie de son anatomie s’il l’approchait, résuma-t-il avec une désinvolture qui consterna littéralement Maïa.

- Ivan ! Tu as l’air de prendre tout cela à la légère, ce n’est pas un jeu, le réprimanda-t-elle.

Le jeune homme accusa le coup et se redressa soudain sérieux :

- Je le sais très bien qu’est-ce que tu crois ! J’ai retenu la leçon ! Mais à part faire des commentaires stupides sur la situation et planquer tout objet pointu qui se trouverait à portée de main de ma tante et de mon père pour ne pas qu’ils s’entretuent, je ne vois pas ce que je peux faire d’autre.

- De ton « père » ? répéta doucement Maïa avec un sourire bienveillant.

Agacé d’avoir lâché le mot de manière inconsidérée et encore plus que sa sœur saute immanquablement sur l’occasion, Ivan se releva brusquement pour ne pas avoir à soutenir le regard de Maïa et commença à arpenter la pièce.

- Même s’il s’avère que l’on ait beaucoup de point commun, je n’arrive pas à lui faire confiance malgré tout ce qu’il a fait ou dit ces derniers jours. Je suis plus rassuré lorsqu’Elijah est là.

- Il n’est toujours pas rentré ? demanda la jeune femme avec une pointe d’inquiétude.

- Non et je sens qu’on n’a pas fini d’entendre hurler lorsqu’il va arriver….reprit-il sur un ton évasif qui déplut immédiatement à Maïa.

-Ivan… ?  insista-t-elle pour l’inciter à parler.

Ivan n’eut pas le temps de commencer sa confession. La porte de la chambre s’ouvrit brusquement sur un Klaus furibond qui les fusilla tous les deux du regard :

- Où est-elle ? demanda-t-il froidement en détachant sciemment chacun des termes.

- Faire ce que vous lui avez interdit de faire, quelle question ! lâcha Ivan comme une évidence.

***

Il était près de midi lorsque Noura arriva à destination. Le jour était clair, pourtant les arbres de la forêt qui l’entouraient semblaient enveloppés d’une pâleur intangible, d’une obscurité subtile qui rendait l’endroit irréel, comme si le soleil se refusait à éclairer le lieu. Noura s’était arrêtée à l’orée de la forêt pour contempler la clairière qui s’étendait devant elle. C’était un spectacle toujours inattendu d’autant plus en cette journée froide d’hiver. Au milieu d’un écrin de blancheur, dans cet espace dégagé  où le moindre buisson, le moindre brin d’herbe, revêtus de givre, avaient les reflets purs et irréels du diamant, s’élevait la carcasse sombre d’une chapelle aux parois noircies. Elle se dressait menaçante et inquiétante, troublant par sa présence la quiétude du lieu. Noura déchira de ses pas la neige maculée qui s’était amassée autour de la ruine et gravit les quelques marches qui menaient à une lourde porte aux ferrures imposantes dont l’un des pans était à moitié sorti de ses gonds.

Cette cachette s’était imposée à elle comme une évidence dès qu’elle en avait appris l’histoire. Aucun villageois ne se risquait jusqu’à ce lieu que tous considéraient comme maudit. Elle était parvenue à grande peine à connaître le passé de cette chapelle qui, malgré les décennies, continuait à alimenter les superstitions et les craintes des habitants. Quel meilleur endroit pour cacher un grimoire maudit qu’un lieu où une supposée sorcière avait péri brûlée vive pour s’y être adonnée à d’obscures cérémonies pour corrompre l’âme des jeunes gens du village? Cette ironie du sort avait arraché sourire amer à Noura lorsqu’elle y avait dissimulé le livre des mois plus tôt.

Elle pénétra dans le lieu qu’elle était la seule à violer depuis des années. Son irruption inopinée effraya quelques corneilles réfugiées dans cet endroit désolé. Elles s’envolèrent par la charpente éventrée dans un cri lugubre qui fit frissonner la jeune femme. Son regard se promena sur les murs de pierre noirs de suie. Au sol gisaient encore les débris calcinés du mobilier entre lesquels elle s’avança pour atteindre ce qu’il restait de l’autel. Elle s’accroupit derrière celui-ci et dégagea la terre mêlée de neige qui masquait la lourde trappe de pierre qui scellait l’entrée de la crypte. Elle se saisit de l’imposante poignée et la souleva sans mal. Une forte odeur de moisissure et de poussière la saisirent brusquement à la gorge et la firent reculer, le dos de la main posé sur sa bouche.  Elle inspira profondément l’air frais avant de s’engouffrer dans les entrailles sombres.

Ses pas raisonnèrent sur les marches de pierres et semblaient se répercuter à l’infini dans les profondeurs de la crypte.  Elle s’arrêta au milieu des marches et se saisit d’une torche, dont elle n’avait nul besoin, fixée au mur. Elle ne devait pas, elle le savait mais ne put résister cette envie qui ne la quittait plus depuis qu’elle avait laissé ses pouvoirs reprendre le dessus la veille. Une flamme vive à  l’odeur âcre s’échappa soudain de la torche, illuminant le sourire satisfait de la jeune femme. Elle fendit l’obscurité et se dirigea vers une alcôve dans laquelle un autel de pierre avait été taillé à même la roche. Noura en fit glisser le socle sur sol de pierre. Là reposant dans son propre tombeau, le grimoire s’offrit pour la première fois depuis  presque de deux ans aux yeux de la jeune femme.

Elle n’éprouva curieusement  aucune crainte, aucune répulsion devant ce livre maudit, mais simplement une envie d’en finir au plus vite avec tous ceux qui constituaient une menace pour les siens. Elle s’en saisit, le débarrassa du linge poussiéreux qui le recouvrait et l’ouvrit méticuleusement. Les pages craquèrent légèrement comme si les doigts fins qui les feuilletaient les réveillaient une à une. Elle savait ce qu’elle cherchait. Elle n’avait plus le temps de faire des hypothèses sans fin. Il fallait en finir et pour cela elle  devait aller chercher les informations qui lui manquaient à la source, les demander à celle à cause de qui tout avait commencé.


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