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Les Dibrani ; affreux, sales et méchants

Par Juval @valerieCG

J'ai vu la semaine dernière le film d'Ettore Scola Affreux, sales et méchants qui retrace le quotidien d'une famille dans un bidonville romain dans les années 70. Un affreux bonhomme, Giacinto Mazatella, alcoolique et violent  règne sur sa famille ; composé d'une vingatine de personnes. Après un grave accident du travail qui l'a laissé défiguré, il est obsédé par l'idée de protéger ses indemnités que sa famille convoite.

A la sortie du film en 1976, qui fut accusé d'être anti-pauvres, voici ce qu'en dit l'Humanité : "On croit qu'il est de mauvais goût de rire de la misère, de la crasse, de la violence qu'engendre cette plaieMais c'est un raisonnement de ventre-plein à mauvaise conscience. Devant l'étalage des bidonvilles, il y a une double attitude. L'une est charitable, chrétienne : il faut avoir pitié et donner aux pauvres gens. L'autre est quelque peu gauchiste, mais pas forcément éloignée de la première : il faut donner une conscience à ces victimes et les pousser à la révolte. Il y a pourtant une pensée intermédiaire et c'est celle qu'utilise Scola : aussi triste que soit leur situation, aussi douloureuse que puisse être leur angoisse, les ‘pauvres’ n'ont aucune raison de ne pas savoir rire, de ne pas être roublards, méchants, sadiques, sans scrupules, exactement comme le sont les riches !."

Le message envoyé par Scola me semble le suivant ; s'ils sont affreux, s'ils sont sales, s'ils sont méchants, c'est notre faute. S'ils ne nous plaisent pas, si nous les regardons avec suspicion, avec dégoût, si nous leur prêtons des comportements particuliers, intrinsèques à leur classe, c'est notre faute.

Je n'ai pu m'empêcher d'établir un parallèle avec le traitement réservé à la famille Dibrani et avec la vision que nous en avons, tant au niveau administratif que médiatique.

Très rapidement Dibrani a été présenté comme un homme violent. Il y a eu plusieurs plaintes déposées contre lui et ses filles sont parties vivre en foyer. Il est également accusé de déscolariser ses enfants, d'avoir marié tôt une de ses filles et d'avoir proféré de graves menaces s'il n'était pas régularisé. Si vraiment cet homme est tel que décrit, avec tout ce que  nous savons de la violence machiste  (et on parle ici de 3 plaintes contre lui pour violences), avec tout ce que nous savons des statistiques autour des crimes sexo-spécifiques, comment avons nous pu laisser ses filles avec lui ?
Il n'y a pas de demie-mesure. Soit Dibrani n'est pas un danger pour ses filles et rester avec lui n'est pas un souci. Soit il en est un et ses filles ne devaient à aucun prix demeurer avec lui, ce que nous avons pourtant laissé faire.
L'accusation de violence ("méchant") chez le migrant ne recouvre pas la même réalité qu'elle a pour un français blanc. Elle sert à stigmatiser la communauté toute entière, y compris ceux qui ne sont coupables de rien, justifie l'expulsion de toute une famille, y compris des victimes de cette violence. La victime est coupable au même titre que celui qui a frappé. La violence devient un élément constitutif de la personnalité du migrant voire de son être. Il est rom DONC il est violent c'est dans sa nature de rom. Elles sont rom DONC il n'est pas étonnant qu'elles soient frappés ; c'est dans leur nature. On ne plaint plus la victime de violences comme on ne plaint plus la femme Mazatella dans le film de Scola ; avec sa sale trogne, pas étonnant.

La famille Dibrani a également été accusée d'avoir laissé le logement dans un état épouvantable ("sales") ; cette accusation ne me gêne pas en tant que telle mais pour ce qu'elle recouvre. La saleté physique dont on accuse en permanence les roms semble sans cesse liée à une saleté morale. "Ils sont sales mais pas que de dehors". "Il y a l'odeur mais aussi le bruit" a-t-on entendu à une époque. Cette pensée très dix-neuvièmiste a concerné de nombreuses groupes de populations et bien évidemment les pauvres, les "classes dangereuses".

Enfin Leonarda Dibrani dont l'image a été amplement exploitée dans les media (est-ce totalement légal ? y-a-t-il un consentement éclairé des parents ?) ; et depuis trois semaines je lis en boucle des remarques atroces sur le physique d'une jeune fille de 15 ans qui n'a même pas la décence d'avoir un prénom normal. "Affreux". Il n'est pas anodin de se ficher du physique d'une ado de 15 ans qu'on vient d'expulser. Même si plein de gens sont pour l'expulsion de cette famille, je pense qu'il est difficile pour eux d'ignorer les conséquences. Nous pouvons bien tourner autour du pot tant qu'on voudra, dire ce qu'on voudra mais renvoyer des gens chez eux à l'heure actuelle les conduit sinon à la mort du moins à une extrême pauvreté (et mon article sur Frontex vous montrera qu'on a renvoyé des gens à une mort certaine). Nous avons donc renvoyé une famille dans un pays où 45% des gens vivent en dessous du seuil de pauvreté, où leur ethnie est discriminée avec un père violent qui ne veut pas que ses filles aillent à l'école. Un taux de mortalité infantile dix fois supérieur à celui de la France, 45 % de chômage. Rappelons au passage qu'il a été démontré que le taux de scolarisation d'un pays est directement lié au taux de mortalité, de mort en couches, de mariage forcé etc. Plus on va à l'école, plus on a confiance en soi, plus on ose réclamer quand on a un problème (c'est pour cela que le taux de mortalité en couches diminue par exemple). L'école n'est pas un luxe mais une nécessité vitale. Mais malgré tout cela nous arrivons à dire que Léonarda n'a pas le bon goût d'être jolie. Je lisais la dernière fois un article parlant de la discrimination à l'embauche des pauvres, ceux que la misère a trop marqué. L'article oubliait une chose ; de croiser la race et le genre. Etre une femme et pauvre et marquée par la misère et rom n'augure pas du plus merveilleux des départs dans la vie qu'il convient d'aider à combler à tout prix. Au lieu de cela nous préférons nous moquer ; sans doute parce qu'il est plus facile d'admettre ainsi l'expulsion ; elle ne méritait pas notre aide. Elle était affreuse, elle était sale et elle était méchante.

Il ne s'agit pas, évidemment, de parer les migrants de toutes les qualités ; on s'émeut du fait que Dibrani ait menti comme l'avait fait Nafissatou Diallo. Frontex est en train de prétendre que les syriens qui migrent sont en fait des marocains qui mentent (comme c'est pratique). Et alors ? Le pauvre, cet être pur ? Qui ne mentirait pas pour quitter un pays pauvre, un pays en guerre, un pays sans aucune perspective économique ?
Nos études sociales menées au XIXeme siècle auraient pourtant du nous servir de leçons ; nous avons passé notre temps à justifier nos comportements coloniaux, nos comportements esclavagistes, nos comportements racistes, nos comportements génocidaires, nos comportements antisémites par des écrits tendant à expliquer combien ces gens là méritaient ce qui leur arrivait. Ils ne pensent pas, ils sont proches de la bête ; pensez, regardez avec son gros visage loin de la finesse de la femme française. Et là nous reproduisons exactement le même attitude ; vous voulez dire que vous ne voulez pas héberger tout le monde ? Soit, faites le. Mais ne faites pas porter à une population, à une famille, à une gamine de 15 ans la responsabilité de cette expulsion.


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