Il faut beaucoup aimer les hommes

de Marie Darrieussecq
Roman - 300 pages
Editions POL - août 2013

Solange, actrice de cinéma, vit à Los Angeles et rencontre un jour Kouhouesso, un homme divinement beau, Noir jusqu'au bout de ses locks, ambitieux et fier. Entre aux une idylle pas si facile. Avare en démonstrations sentimentales, très souvent absent, absorbé par son projet cinématographique, il la laisse souvent seule en proie à l'attente, aux questionnements. Elle rêve d'être auprès de lui, d'être personnage de son film, elle rêve d'Afrique, continent inconnu, mystérieux comme son amant. 

Un roman sur l'attente et sur l'altérité.L'attente de l'être aimé, l'attente intense, charnelle, interminable, l'attente vide et remplie de toutes les interrogations.L'altérité qui nous donne à voir qui l'on est : une femme blanche qui ne connaît pas le Cameroun anglophone. C'est pas grave, c'est rien, ça fait un couple mixte, mais tous les gestes et les dires du quotidien peuvent être teintés de cette différence.

Extrait :
"Par un phénomène qui tenait au temps et à l'espace, à l'Histoire et aux lieux, à la violence, par un phénomène qui n'avait rien de magique mais qu'elle voyait distordre l'espace entre eux, les phrases dites par lui devenaient d'autres phrases dans sa bouche. Mot pour mot, les mêmes phrases prenaient un sens qu'elle ne voulait pas. Un sens affreux. Ce phénomène non magique la faisait attendre un homme dont ses ancêtres à elle avaient asservi et massacré les ancêtres. L'exploitation et le massacre se poursuivaient, apparemment, se poursuivaient, oui, avec l'assentiment de certains des siens, mais sans jamais que les siens ne lâchent leur position de dominants."

Mais c'est aussi le roman autour de la construction d'un film (comme la métaphore de la construction d'un couple mixte ?), de sa conception à sa réalisation. Une histoire qui entraîne notre couple mixte en France pour les fêtes de fin d'année, puis en Afrique équatoriale, pour un tournage dépaysant et complexe sur le fleuve Congo.Le propos du roman était la dualité identitaire, installée par l'Histoire et par la société, qu'il faut savoir appréhender lors d'une rencontre, lors d'une vie commune. Mais les rapports - ou non-rapports - entre Kouhouesso et Solange tiennent beaucoup à la personnalité de ces deux-là : une femme demandeuse d'amour, de complicité, et un homme indépendant, libre, s'attachant peu, secret, intransigeant aussi, culpabilisant même, si on aborde mal la question de sa couleur de peu, de ses origines, de son identité, de l'Afrique.L'écriture de Marie Darrieussecq sied bien à ce mystère, ces ambiances indécises, cette relation décousue, cette poésie sensuelle permanente. L'incursion en terre africaine est très documentée, très inspirée, et cela ajoute à l'envoûtement du lecteur comme du personnage de Solange.
Critique de Le bébé - ChezLo
Vu par l'auteur - Marie Darrieussecq