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Les Damnés: La lignée des Petrova – Chapitre 27

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Lorsqu’il arriva en bas de l’escalier de pierre, Noah trouva la jeune femme assise sur les deux marches qui menaient à l’autel, la tête baissée entre ses mains. Il se méprit sur cette attitude apparemment abattue et inoffensive, et s’en approcha sans crainte avec son arrogance habituelle. Elle le laissa approcher et attendit d’en voir le bout de ses bottes pour murmurer d’une voix étouffée et plaintive :

- Tu m’avais donné trois jours…

Il détacha son regard du grimoire, resté ouvert derrière elle sur l’autel, et contempla la frêle silhouette recroquevillée avec dédain sans prendre la peine de lui répondre. Comment pouvait-elle se laisser abattre de cette manière malgré ce qu’elle était capable de faire ? Cela le dépassait complètement. Cette faiblesse le répugnait au plus au point même si elle lui était on ne peut plus utile.

Pourtant il faisait fausse route. Ce qu’il prit pour de l’accablement n’était que stupéfaction, ce qu’il prit pour de l’impuissance allait lui coûter la vie. Noura n’aurait su dire si c’était le sang de sa victime qui coulait encore dans ses veines, l’influence du livre dont elle avait ressenti l’énergie ou la présence de Zoya, et d’autres êtres chers également qu’elle sentait flotter autour d’elle, mais elle venait de parvenir sans la moindre difficulté à chasser tout ce qui la rendait aussi faible et vulnérable depuis sa transformation. Après des années à lutter en vain pour ne pas se laisser submerger par ses émotions, elle venait de les museler sans mal avec une facilité déconcertante. Elle en ressentait une paix indescriptible qui avait balayé d’un coup tous ses doutes et réticences. Elles avaient laissé place à une force nouvelle, un sentiment d’impunité grisant qui lui permettait de contrôler enfin ses pouvoirs indisciplinés et rebelles. Cette bête contre laquelle elle s’était battue venait de se faire docile, attentive et n’attendait que le moment propice pour s’abattre sur cette proie arrogante et imprudente qui se tenait devant elle. Sans même relever la tête, Noura devina sur les lèvres du sorcier ce rictus sournois et dédaigneux dont il s’était paré lorsqu’il l’avait humiliée.

- Ça, c’était avant qu’Elijah n’embrigade Neklan et ne manigance je ne sais quoi derrière mon dos, répondit-il finalement en la saisissant par le bras pour la relever avec fermeté.

Elle ne riposta pas et cacha sa surprise face ces propos. Elle se doutait bien que l’originel ne resterait pas sans agir mais, qu’il ne lui ait fait nullement part de ses projets, la blessait et la vexait. Il ne lui faisait décidément aucune confiance, continuait de se conduire avec elle comme si elle était une pauvre chose qu’il fallait qu’il protège à tout prix d’elle-même, une irresponsable qui allait inévitablement tout faire échouer par ses actes irréfléchis. Elle soupira et secoua la tête en la baissant pour chasser ces pensées importunes et qui la détournaient pour l’instant de son principal but.

- Laisse-moi plus de temps, demanda-t-elle en sachant pertinemment quelle serait sa réponse.

- Non. Je le veux maintenant, trancha-t-il froidement. Et s’il te venait à l’idée de faire quoi que ce soit de stupide pour m’en empêcher, sache que Viktor m’attend et que s’il ne me revoit pas revenir avec le livre….

Il laissa sa phrase en suspend mais la menace était suffisamment éloquente. Les images des corps sans vie de Milan et d’Ivan ressurgirent brutalement à son esprit et lui firent détourner le regard de celui perçant et impassible du sorcier. Ce mouvement le fit sourire.

- Dis-moi pourquoi tu veux le livre ?

Ses lèvres se fendirent un peu plus pour laisser paraître un sourire carnassier qui horripila la jeune femme qui serra imperceptiblement la mâchoire et les poings d’exaspération.

- Je veux ce que tu as….en mieux…, répondit-il énigmatique.

Noura lui lança un regard plein d’incompréhension qui amusa d’autant plus le sorcier.

- Si ce sont les pouvoirs de ma famille dont tu veux t’emparer, ils te tueront comme ils ont tué Zoya et Anya, lui rappela-t-elle les sourcils froncés.

- Ils ont tué ta sœur parce qu’elle était stupide et ils ont tué Zoya parce qu’elle n’a pas eu le temps d’aller jusqu’au bout de son projet.

La jeune femme se raidit, estomaquée par ce qu’elle venait de comprendre.

- Tu veux nos pouvoirs et ceux des originaux ? articula-t-elle avec difficulté. Est-ce que tu te rends compte de ce que ça implique ? Le conseil te poursuivra.

Il la gratifia pour toute réponse d’un éclat de rire si soudain qu’elle en sursauta.

- Et que pourront-ils faire ? Même toi tu serais capable d’exterminer tous ces imbéciles sclérosés dans leurs principes si tu ne passais pas ton temps à te lamenter et à te raccrocher à tout ce qui te rattache à ton humanité perdue. Et c’est précisément ce que je vais faire : les tuer tous les uns après les autres.

Il s’interrompit et abolit lentement la faible distance qui les séparait. Noura fit un effort pour ne pas se détourner de ses yeux bleus qui scrutaient son visage avec une insistance gênante et complètement déplacée. Le sorcier contempla un moment ses grands bruns d’habitude si expressifs mais qui, à ce moment précis, ne laissaient rien paraître de ce qu’elle pensait. La perspective de se débarrasser à jamais du conseil devait, malgré tout, la séduire suffisamment pour qu’elle ne rebelle pas à nouveau contre lui. Ce fut, en tout cas, de cette manière qu’il interpréta son absence de réaction et son silence à l’annonce de ses projets à l’encontre de cette organisation abhorrée. Après tout, s’ils avaient quelque chose en commun c’était bien cela : cette haine pour ces sorciers qui n’avaient eu de cesse de les poursuivre, pour des raisons différentes, certes, mais à cause desquels ils n’avaient jamais pu, ni l’un ni l’autre, rester très longtemps au même endroit.

Dès la mort de ce père tyrannique et froid, dont il avait vécu la disparition comme une bénédiction, il s’était, alors qu’il avait à peine 16 ans, enfui de ce carcan oppressant et  rigoureux en emportant avec lui tous les journaux paternels. Une mine d’informations que le conseil entendait bien récupérer pour éviter qu’elles ne tombent pas entre de mauvaises mains. Ce qui était le cas, à n’en pas douter. Mais après 15 ans de fuites incessantes, il comptait bien éradiquer définitivement le problème.

- On pourrait faire une sacrée équipe tous les deux si tu le voulais. Imagine : plus de conseil, plus de fuites, plus de règles à suivre, plus d’originaux qui menaceraient les tiens ou te dicterait ta conduite.

Il s’étonna lui-même de cette proposition complètement improvisée et imprévue. Mais finalement, même s’il n’éprouvait rien pour elle, ce qu’il avait sous les yeux était loin de lui déplaire. Il approcha une main de ce visage aux traits fins, aux expressions tour à tour enfantines et implacables. Il savait parfaitement qu’il ne devait pas se fier à cet air angélique et inoffensif, qu’elle pouvait se faire impitoyable mais aussi fougueuse et sensuelle. Finalement s’il pouvait détourner sa hargne sur quelque d’autre que lui et conserver pour lui ces deux derniers aspects de sa personnalité, cela lui convenait parfaitement.  Il sourit au souvenir de leur unique nuit passée ensemble. Elle devina aussitôt ses pensées et se raidit imperceptiblement.

 Du bout des doigts, il dégagea une mèche rebelle qui lui barrait le front et planta son regard dans le sien. Il s’attendait à ce qu’elle se dérobe, qu’elle le repousse mais elle n’en fit rien. Encouragé par cet accord passif, il approcha de ses lèvres boudeuses et tentantes, et s’en empara d’abord avec méfiance. Mais lorsqu’elle se mit à jouer, elle-aussi avec les siennes, il baissa sa garde et se laissa aller à cette étreinte, sûr de son emprise totale sur cette femme qui venait langoureusement d’enlacer son cou et avait enfoui ses doigts dans sa chevelure sombre. Après tout, il ne pouvait en être autrement : il était toujours parvenu à lire en elle comme dans un livre ouvert. Il n’y avait aucune raison pour que les choses aient changé en si peu de temps. Il ne voyait aucune réticence dans ce corps qui se laissait enlacer, aucune menace dans ce baiser qu’elle lui rendait avec sa fougue habituelle.

Tout à ces arrogantes certitudes, il ne perçut donc pas cette répulsion qui s’était emparée d’elle en le voyant approcher, ni le dégoût qu’elle éprouvait à lui rendre son baiser. Lorsqu’elle rompit ce contact pour aller nicher son nez au creux de son cou, tout près de sa jugulaire, elle dût lutter pour ne pas que ses instincts de prédateur ne prennent le dessus et ne pas lui planter ses crocs dans la gorge. C’était extrêmement tentant pourtant. Elle sentait le sang affluer sous sa peau, elle percevait son pouls trop régulier et calme pour qu’elle se laisse berner par cette subite marque d’affection qu’elle n’avait, à vrai dire, pas vu venir.

« Rends-lui la monnaie de sa pièce » avait suggéré Zoya. C’était précisément ce qu’elle entendait faire. Rendre coup pour coup.

- Aide-moi pour les sorts et je t’aiderai à te débarrasser de Viktor, de Klaus et des autres, lui chuchota-t-il au creux de l’oreille.

Elle acquiesça de la tête à la grande satisfaction de Noah qui réprima son sourire lorsqu’elle se détacha de ses bras. Elle recula légèrement sans pour autant avoir l’air de fuir.

- Je ne peux pas lancer le sort qu’Anya a utilisé pour transformer les originaux comme ça. Je n’ai pas ce qu’il faut. Mais tu peux t’approprier nos pouvoirs dès maintenant si tu le souhaites.

Elle se détourna de lui et gravit les deux marches qui la séparaient du grimoire. Elle sentait le regard du sorcier posé sur chacun de ses gestes alors qu’elle tournait les pages à la recherche de la formule. Lorsqu’elle la trouva enfin, la présence de Zoya à ses côtés se fit plus pressante. Elle se laissa guider par ces mains invisibles qui venaient de se poser sur les siennes. Elle effleura la page rugueuse, suivi du bout des doigts chaque ligne de la formule dont chaque mot à ce contact léger se modifiait imperceptiblement. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres en comprenant quelles conséquences la formule allait avoir sur le sorcier. Ce dernier n’y tenant plus la rejoignit, passa une main familière autour de sa taille et en profita pour se pencher sur le grimoire. Sa confiance avait quelques limites. Il s’assura que la jeune femme ne s’apprêtait pas à le berner d’une quelconque manière. Son regard balaya la page mais il ne put percevoir les infimes changements que les sorcières avaient pris soin de lui dissimuler.

Elle l’invita à prendre place face à elle et lui présenta la paume de ses mains. Son impatience lui fit prendre toute méfiance, il s’empara des doigts fins sans hésitation et se laissa porter par les sons mélodieux de cette langue qu’il ne connaissait pas. D’ailleurs il avait toujours été persuadé qu’elle non plus ne l’avait jamais apprise. Cette brève lueur de lucidité s’accompagna d’une soudaine faiblesse qui lui fit rouvrir brusquement les yeux. Il tenta de dégager ses mains de celles qui l’emprisonnaient mais la sorcière resserra son étreinte et continua, d’une voix monocorde, à psalmodier la formule. Lorsqu’elle relâcha son étreinte, il s’effondra à genoux sur le sol de pierre et leva vers elle un visage où l’on lisait autant d’incompréhension que de colère.

- Espèce de garce ! Qu’est-ce que tu m’as fait ? , cracha-t-il entre ses dents serrées, incapable de se relever.

- Tu voulais tout. Je t’ai tout pris, énonça-t-elle calmement en s’agenouillant à sa hauteur.

Il tenta d’utiliser ses pouvoirs contre elle, espérant que ses paroles n’étaient pas fondées. Mais en vain. Il ne parvenait pas même pas à se remettre sur ses pieds. De colère, il esquissa un geste malheureux à son encontre mais celui-ci fut brutalement stoppé. Il sentit les doigts de la vampire enserrer douloureusement son cou.

- Où as-tu caché les fioles contenant le sang des originaux ? demanda-t-elle sur un ton glacial en plantant son regard noir dans le sien.

Noah agrippa ces doigts qui s’enfonçaient dans sa chair pour espérer pouvoir reprendre quelque peu son souffle. Elle lui accorda ce privilège l’espace d’une seconde afin qu’il réponde à sa question :

- Tu ne peux pas me contraindre, tu sais très bien que je prends de la verveine, s’obstina-t-il au risque de faire perdre définitivement patience à la jeune femme qui resserra davantage sa prise.

- Ce n’est pas de cette manière que je vais te contraindre, crétin ! lâcha-t-elle en joignant le geste à la parole et en le projetant violemment à travers la crypte.

Le sorcier retomba lourdement quelques mètres plus loin dans un bruit sourd. Une plainte lui échappa lorsqu’il tenta péniblement de se relever. Dans sa chute, son épaule avait percuté violement le sol et émit un craquement lugubre. D’une main, il prit appui sur la paroi humide et poudreuse, et se redressa au prix d’indicibles efforts sans lâcher la jeune femme du regard. Elle le regardait faire, les bras croisés sur la poitrine comme si elle s’impatientait presque de le voir prendre autant de temps à se remettre sur pieds. Il avait désormais peu de chance de lui échapper, ne pouvait plus l’arrêter, si tant est qu’il en ait eu un jour le pouvoir. Il avait toujours misé, pour la manipuler à loisir, sur son dégoût pour cette magie dont elle avait héritée et pour ces pouvoirs de vampires qui lui avaient été imposés. Il avait parié : aujourd’hui il venait de perdre toute sa mise. En dehors de l’escalier qui remontait à la chapelle, aucune autre échappatoire ne se présentait à lui. En désespoir de cause et parce qu’il refusait jusqu’à l’idée de s’avouer vaincu devant elle, il se précipita sur les marches, trébuchant sur les pierres irrégulières.

Noura le regarda faire non sans une pointe d’amusement et de satisfaction. Elle ne craignait pas qu’il lui échappe puisqu’il ne pourrait même pas franchir le seuil de la porte de chapelle. Elle s’en était assurée. C’était donc posément et calmement qu’elle lui emboita le pas lorsqu’il eût disparu par l’ouverture de la trappe. Elle le retrouva comme prévu, bloqué et impuissant devant la porte à double battant pourtant largement ouverte.

- Tu ne sortiras pas d’ici avant d’avoir répondu à ma question.

- Va au diable ! Tu ne me laisseras pas en vie de toute manière. Alors si tu veux tuer Viktor et Klaus, tu devras aussi tuer les autres, Elijah y compris, parce que je ne te dirai rien, souffla-t-il en se tenant fermement l’épaule de sa main valide.

Mais il fut rapidement contraint de la lâcher. Une douleur fulgurante venait de lui broyer la jambe. Il vacilla en hurlant et s’effondra sur le sol poussiéreux et noir de suie. Haletant, allongé sur la pierre froide, il vit bientôt apparaître au dessus de lui le visage très contrarié de la jeune femme.

- Je te laisse une dernière chance, menaça-t-elle.

Il détourna la tête pour toute réponse, les lèvres si pincées par la douleur qu’elles en étaient blêmes. Elle inspira profondément d’agacement. Sans les fioles, elle ne pourrait pas lancer le sort sans qu’Elijah ne soit touché également. L’originel lui avait, certes, confié à plusieurs reprises regretter sa condition humaine, mais elle n’était pas vraiment certaine qu’il apprécierait d’avoir été pris en traître de cette manière. Et en imaginant que par le plus grand des miracles, il ne lui en tienne pas rigueur pour le sort, une fois sa famille redevenue humaine,  elle se ferait un malin plaisir de régler définitivement le compte son frère adoré.  Et cela, il y avait peu de chance qu’il lui pardonne.

Quoi qu’il en soit un choix allait s’imposer rapidement et comme le sorcier qui se tordait à ses pieds pour s’éloigner d’elle n’avait pas vraiment l’air de vouloir être coopératif, elle choisit. Entre la sécurité de sa famille et ses sentiments pour Elijah, elle choisit de faire ce que ce dernier avait fait 15 ans auparavant.


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