Genre : Aventure
Année : 1956
Durée : 1H58
L’histoire : Ishmaël un jeune marin arrive au port de Nantucket et s’engage sur le Pequod, un baleinier. Commence alors un long voyage de chasse à la baleine. Mais des choses étranges se déroulent sur le Pequod, bien vite Ishmaël comprend que la fin du voyage est entre les mains du redoutable capitaine Achab. Avide de vengeance, celui-ci a bien l’intention de pourchasser la démoniaque baleine blanche qui se fait appeler Moby Dick et qui lui a arraché sa jambe bien des années plus tôt.
La Critique de Vince12 :
S’attaquer à l’adaptation cinématographique de Moby Dick, chef d’œuvre de la littérature écrit par Hermann Melville, est un pari pour le moins osé. C’est pourtant un pari déjà tenté en 1930 par Lloyd Bacon. Pour autant seul John Huston semble être à même de réaliser cette adaptation il est l’homme idéal. Ce monstre sacré du vieil Hollywood a toujours eu tendance à pouvoir donner dans un cinéma pur et dur. il l’avait surtout montré à travers le Trésor de La Sierra Madre
Avec cette adaptation, Huston a bien l’intention de porter à l’écran la force philosophique du livre. Pourtant Moby Dick est un film (trop) peu souvent cité dans la filmographie du réal.
Pour info l’histoire de Moby Dick s’inspire d’un fait réel concernant un cachalot albinos du nom de Mocha Dick qui causa la perte de plusieurs navires. Melville s’est aussi beaucoup inspiré du naufrage de l’Essex suite à l’attaque d’un cachalot noir.
Attention SPOILERS
Ishmaël un jeune marin arrive dans le port de Nantucket et se lie à l’équipage d’un baleinier nommé le Pequod. Il fait la connaissance de Queequeg, un Indien redoutable harponneur, originaire de tribus cannibales qui est aussi son compagnon de couche.
Ishmaël s’embarque alors dans un long et périlleux voyage. A bord il rencontre les autres membres de l’équipage. Tashtego et Dagoo les deux autres harponneurs. Stubb, Flask et Starbuck les seconds. Mais la personnalité la plus troublante est celle du capitaine Achab. Homme énigmatique, magnétique à la jambe d’ivoire et à moitié fou qui est obsédé par l’idée de tuer la baleine blanche Moby Dick qui lui a arraché sa jambe lors d’un duel bien des années plus tôt.
Bien vite Achab qui entraîne l’équipage dans sa quête de vengeance se heurte à son second Starbuck qui craint de le voir détourner le Pequod de sa véritable mission à savoir tuer le plus de baleine possible afin de ramener une grande quantité d’huile au port.
Pourtant plus la traversée avance, plus Achab envoûte l’équipage et l’entraîne dans un voyage dont la fin tragique sera inévitable.
Pour l’histoire Huston reprend donc logiquement les grandes lignes du livre d’Hermann Melville. Certains passages sont forcément enlevés pour des raisons de durée. Entre autres le personnage de Fedallah n’apparaît donc jamais. Quant à la folie de Pip elle est juste sous entendue.
Peut-on dire que le film atteint la puissance et le pouvoir philosophique du livre. Non clairement pas, en même temps, quiconque a lu le livre de Melville confirmera que c’est mission impossible à moins de faire un film de 20 heures. Pour autant le film reproduit la force métaphysique du livre et garde l’aspect essentiel de sa philosophie. Huston pense également à se démarquer quelque peu du bouquin pour s’approprier un peu plus l’histoire.
Une fois encore c’est clairement à tort si Moby Dick n‘est pas plus cité dans la filmo de Huston. Tout d’abord sur le plan technique le réalisateur signe une de ses plus grandes performances. Jouant beaucoup sur les couleurs, il utilise ici un procédé très original qui consiste à combiner noir et blanc et technicolor pour obtenir la teinte remarquable de la sépia des gravures marines.
Ensuite Huston entretient sans cesse par sa façon de filmer, l’ambiance métaphysique qui ressortait du livre. Il crée aussi cette sensation totale d’isolement en mer qui se trouve être de plus en plus pesante à mesure de l’avancement du film. Au niveau des détails techniques on peut aussi aborder le réalisme. Honnêtement l’animation des baleines est bluffante surtout pour l’époque, on a parfois l’impression de voir de vrais cachalots. Alors les mauvaises langues diront que par moments on voit qu’il s’agit de fausses baleines ou que Huston filme les Léviathans sans trop les détailler pour ne pas montrer leurs défauts. C’est vrai et alors ? C’est ce que Spielberg fera avec Les Dents de la mer
Ce réalisme sert au film à remplir l’un de ses objectifs qui était déjà l’un des objectifs du livre de Melville, à savoir livrer une reconstitution crédible et détaillée de la chasse à la baleine telle qu’elle se pratiquait à l’époque. Et en ce sens le film est très intéressant et très bien foutu.
L’un des points forts du film est aussi son rythme. Là ou le livre contient de très nombreux temps mort dans sa narration, le film garde un rythme plutôt soutenue et remarquablement bien dosé.
Par ailleurs le tournage sera extrêmement difficile, Huston déclarera à ce sujet « Le film comme le livre, est donc un blasphème, et on peut admettre que Dieu se soit défendu en déchaînant contre nous ces ouragans et ces vagues énormes ».
Ensuite outre l’aspect technique et la réalisation, Huston peut s’appuyer sur un bon casting. Friedrich Von Ledebur inoubliable dans le rôle de Queequeg. Leo Genn très bon dans celui se Starbuck. On note aussi une apparition très remarquée d’Orson Welles dans le rôle de Mapple le prêtre racontant l’histoire de Jonas et de la Baleine.
Mais le rôle principal c’est bien évidemment celui du capitaine Achab. Huston choisit de le confier à Gregory Peck. Le choix a de quoi faire peur. Non pas que Peck soit un mauvais acteur bien sur, c’est même l’un des meilleurs de sa génération. Mais il est accoutumé à jouer les jeunes héros braves et ayant le sens de l’honneur. Difficile de l’imaginer sous les traits d’Achab. D’ailleurs à l’époque les studios prendront également peur. Faut t’il alors surmaquiller Peck pour lui donner l’apparence du vieillard mythique du bouquin ? C’est là où Huston est audacieux il tient à conserver l’image de Peck, rompant totalement avec l’aspect physique du livre qui décrivait un vieillard aux allures de mort vivant. Huston s’éloigne des clichés en donnant à Achab une apparence humaine. Ceci dit on en est toujours à la même question, Peck peut il faire l’affaire ? Et bien autant dire que l’acteur fait un pied de nez à tout le monde en interprétant ce contre emploi total de façon hallucinante et avec beaucoup de puissance.
L’acteur n‘hésite pas à casser son image. Son Achab reprend bien évidemment beaucoup celui du livre mais le rend moins impulsif et plus glacial. Il faut le voir délivrer des tirades du genre « Ne parlez pas ainsi de blasphémer mon garçon ! J’attaquerai aussi le soleil si un jour il s’en prenait à moi ! ». Ou encore « L’avait vous vu matelots ? Son dos est comme une colline de neige !». Huston et Peck ne sont donc pas toujours très fidèles au Achab du livre dans certains petits détails, ils se l’approprient plus, mais en grande généralité il reste dans la lignée du personnage crée par Melville.
Peck est phénoménal. Son Achab est d’abord véritablement froid avant de gagner en hystérie et en folie tout le long du film. L’acteur se défigure littéralement tout au long de l’histoire.
Personnellement je considère ce rôle comme l’une des meilleures prestations de Peck avec celle Des Clés du Royaume. Car l’acteur se démarque totalement des ses rôles habituels. Huston a d’ailleurs le chic pour pousser ses acteurs à agir ainsi. On se souvient qu’Humphrey Bogart se démarquait totalement des ses rôles précédents dans le Trésor de la Sierra Madre. Bref le pari était osé mais totalement réussi.
On retient également la performance de Richard Basehart dans le rôle d’Ishmaël le narrateur. Sans transcender l’écran l’acteur livre une performance honnête. Son personnage diffère d’ailleurs beaucoup de celui du bouquin. Les Studios insisteront sans doute pour le rendre moins cynique et plus héroïque. A noter que dans le livre à partir du départ du Pequod Ishmaël se contente de raconter en tant qu’observateur et d’analyser les faits sans avoir vraiment de rapport avec le reste de l’équipage. Le film le voit donc plus interagir avec les différents personnages.
Moby Dick contient aussi son lot de scènes spectaculaires. Que ce soit les séquences de chasses à la baleine, la scène de la tempête avec l’apparition du feu Saint-Elme ou encore la bataille finale. L’aspect spectaculaire tient autant à la réalisation de Huston qu’à l’interprétation de Gregory Peck. Il n’est jamais gratuit et sert toujours le cheminement métaphysique de l’histoire.
Pour ce qui est du fond le film reste fidèle à la vision de Melville. Moby Dick est une métaphore, un voyage initiatique. On est dans l’exemple parfait du voyage physique représentant le voyage effectué à l’intérieur. Moby Dick est un voyage au fond des ténèbres de l’âme humaine. On l’a souvent caricaturé à une réflexion blasphématoire sur la religion mais Moby Dick est une vraie réflexion sur l’homme et le monde en général. Sur ce point là une fois encore le film ne peut pas aller aussi loin que le livre qui est assez épais. Mais l’essentiel est là. On retient notamment l’une des phrases d’Achab « Où sont passés les meurtriers ? Qui les condamnera ? Alors que le juge suprême lui-même devrait passer en jugement ! »
Certes le film aurait été meilleur sans les directives des studios de l’époque qui tenait avant tout à livrer un grand film d’aventures. Et c’est ce qu’est Moby Dick tout en se doublant d’une réflexion et d’une dimension à la fois symbolique et métaphysique.
Des films de John Huston, Moby Dick est le plus injustement oublié. A mes yeux il fait partie de son top 5. Un film ambitieux et la meilleure adaptation du chef d‘œuvre littéraire de Melville. Un chef d’œuvre.
Note : 18/20