Catherine Harding, avec qui je me trouve, a toujours avec elle un livre de Douglas et un autre du poète Jacques Goorma : Le séjour.
Le séjour est le nom que Goorma donne à notre vraie nature, à ce lieu sans lieu de la conscience où jaillit le monde.
En voici des extraits, déjà signalés sur ce blog :
"Le séjour de l'éveil est dans la clarté de l'esprit, dans cette lumière irradiant toute chose de sa présence. Toute chose n'a lieu qu'en son séjour. Partout circule l'énergie, aucune chose ne serait sans elle; mais la pierre, la fleur, la terre ne se prennent pas pour autre chose qu'une manifestation de cette énergie. Seul l'homme pense être quelqu'un, se détache de sa source jusqu'à l'oublier."
p.12 "Le séjour n'a lieu qu'en mon absence. Personne n'est là pour en jouir. Il n'est pourtant que jouissance. Le séjour n'a lieu qu'en mon absence et pourtant je suis ce séjour et non ce personnage en costume qui tient salon. Le costume est utile pour apparaître, mais il est inutile de se limiter à ses coutures. Le séjour est derrière. La lumière silencieuse de la conscience. Nos corps sont l'expression de ce silence et n'ont lieu nulle part ailleurs que dans sa lumière."
p.13 "Ce séjour est celui de la présence miraculeuse de la conscience. Le point exact du surgissement du monde".
p.29 "On ne peut sortir du séjour, mais on peut l'oublier, l'ignorer, être dans la confusion. Personne ne peut l'obtenir, car il réside où il n'y a personne, mais on peut disparaître et naître dans sa lumière. On ne peut qu'être le séjour."
p.31 "Les choses et le monde sont au séjour ce que les mots et la parole sont au silence. Le silence est le séjour des mots. Le séjour est le silence du monde. Il est ce qui entend derrière l'oreille, ce qui voit derrière les yeux, ce qui sent à travers la peau."
Goorma explique ensuite comment opérer un retour au séjour...
p.32 "Le retour [...] propose un mouvement inverse, une conversion du regard, un virage à cent-quatre-vingts degrés, une nage à contre-courant vers l'abîme d'où surgit la naissance, une soif irrésistible de la source originelle qui déjà augure des retrouvailles. Inlassablement revenir, revenir à la maison. Le récit du retour est celui de l'enfant prodigue."
p. 34 "Le sans visage est dans chaque visage. Il n'est pas un mot, mais le silence de tous les mots."
p. 43 "Il faudrait, dans la longue et irrésistible marche, faire une halte et, le coude sur le genou, tendre la main vers la source jubilante."
p.53 "La maison sort de moi, le mur s'éloigne de mon dos, le jardin fait quelques pas dans ma direction et soudain, le ciel plonge dans mes yeux."
p.61 "Ce n'est pas à travers les trous oculaires que je vois. C'est à travers un oeil qui est derrière et au-dessus. Un oeil qui est chez moi et fait comme chez lui. Comme chez toi. C'est un regard impersonnel. Ce qu'il voit au dehors, est personnel. Ce qui est dehors, apparaît et disparaît. Mais cet oeil qui voit tout n'est jamais apparu, c'est simplement une ouverture qui laisse sa place au monde."
p.69 "Je vais aller là où je ne suis jamais allé, là d'où je ne suis jamais parti. Revenir au séjour que je n'ai jamais quitté. Ce lieu abstrait, comparable au ciel immense, vide, lumineux, sans limite ni contour. Il n'est que de se retourner vers lui, vers ce que fondamentalement nous sommes. Retourner le regard vers sa source. Plonger dans la fontaine obscure d'où surgit le regard. Devenir ce qu'il n'a jamais cessé d'être. Une lampe allumée dans la nuit des tempes. Car le ciel n'est rien d'autre qu'un regard."
p.74 "Nous regardons à partir d'un oeil immense, plus vaste que le monde. Je suis un espace pour le monde. Et l'espace sans le monde, se connaîtrait-il ? Disparaître à la faveur du monde. Voilà la vraie courtoisie. Céder sa place à la beauté. Elle chante derrière la porte."
p.82 "Quitte le séjour, il se réfugie en toi. Le seul malheur est d'oublier que nous sommes l'immensité du ciel : uniques et incalculables. De rogner nos ailes aux ruelles du mensonge. De renier la grâce qui nous est, à tout jamais, accordée. Alors que déjà la joie monte et nous gagne comme un matin. Nous sommes un ciel, un espace ouvert, une vacuité sans fond qui contient le monde tout entier. Sans fin, le sans visage nous dévisage."