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Un retour sur l'affaire Leonarda

Publié le 01 novembre 2013 par Vindex @BloggActualite

Depuis le début du mois d’Octobre, les médias nous font une longue polémique sur l’expulsion d’une fille, Leonarda Dibrani, et de sa famille, suite à l’interruption d’une sortie scolaire à laquelle la fille de 15 ans participait. Le cadre troublant de l’expulsion ne doit toutefois pas faire oublier les problèmes de fond auxquelles nous ramène cette affaire : l’immigration (notamment illégale) et l’intégration de la communauté Rom dans notre pays mais aussi ailleurs en Europe. Que peut-on penser de cette expulsion ? Doit-on automatiquement légaliser tout immigré ayant des enfants scolarisés ? Faut-il remettre en cause le droit du sol et notre politique migratoire ? Quels enseignements tirer des réactions de notre « classe politique » ?

L’expulsion d’une famille plus que d’une seule fille


A première vue, et selon les premiers échos médiatiques, l’expulsion de cette jeune fille pouvait paraître sévère. Tout d’abord, le contexte n’est pas idéal bien sûr, puisque la fille s’est faite emmener par la police en pleine sortie scolaire. Ce fut d’ailleurs, raconta t-elle, une épreuve gênante, certains camarades lui demandant même si elle avait volé quelque chose…Si cette intervention apparaît peu opportune, elle ne semble pas contraire aux Lois et règlements régissant l'entrée et le séjour des étrangers : si nombre de médias ont évoqué la « circulaire Sarkozy » de 2005 limitant l'intervention en milieu scolaire, peu ont cependant précisé clairement que ayant été abrogée par une circulaire de 2012, elle ne pouvait trouver application, et surtout que juridiquement une circulaire n'a pas forcément vocation à poser des règles juridiques strictement applicables, mais parfois à donner une simple interprétation, ou des consignes. Eu égard au caractère général et vague des termes de la circulaire de 2005, il apparaît plus probable qu'elle ne soit pas impérative.
Rien n’empêchait (semble t-il) d’agir après la journée d’école pour que la situation soit moins embarrassante et choquante. De même, bien qu’irrégulière, sa famille était en France depuis 5 ans et avait fait une demande d’asile pour échapper à une situation difficile au Kosovo. La scolarisation de Leonarda et ses frères et sœurs, d’une durée de trois ans, pouvait même permettre une régularisation sous peu.
Cependant, même si cela nous amène à jouer sur les mots, il faut bien préciser que ce n’est pas Leonarda en premier lieu qui est expulsée mais son père, qui était en centre de rétention depuis août dernier. Ce sont bien les parents de Leonarda qui sont expulsés à cause de leur situation irrégulière, et non directement la fille, puisqu’un mineur peut séjourner en France sans titre de séjour (ce qui fait que rien, juridiquement, n'obligeait l'expulsion de cette jeune fille, sauf à ce que celle-ci ai pénétré sur le territoire français sans visa).
Celle-ci a dû toutefois suivre sa famille au Kosovo, sa mère ne voulant pas en être séparée. La préfecture du Doubs, elle, déclare que la situation de la famille était irrégulière et que la demande d’asile n’avait pas abouti, amenant ainsi à une expulsion logique au regard de la loi ainsi que des décisions de justice qui avaient été rendues. Aussi, on ne peut blâmer l'État pour cette décision de ne pas régulariser la famille, d'autant plus que l'on sait que le père de Leonarda était connu par la justice pour des violences et vols. Il faut aussi dire que la situation de cette famille était plus que précaire, le père n’ayant pas trouvé de travail selon RTL. Il faut également rappeler que le père n’a pas été de toute bonne foi en faisant croire que tous ses enfants viennent du Kosovo alors que lui seul y est né (Leonarda est née en Italie). 
Alors c’est vrai que les conditions de cette expulsion ne sont pas idéales, mais peut-on réellement transiger sur l’immigration illégale ? Peut-on réellement assouplir les conditions de régularisation en tenant compte uniquement de la scolarisation d’éventuels enfants alors que cela aurait pour effet d’attirer plus encore d’immigration illégale ? Que la France ait été ouverte sur l’immigration par le passé ne signifie pas qu’il faille continuer une telle politique migratoire dans un contexte économique et social tendu : chômage croissant, difficultés pour notre modèle social… Il paraît en effet difficile d’accueillir toujours plus d’immigrés (pour beaucoup peu diplômés et fuyant la situation difficile de leur pays) sachant que notre économie stagne et que les emplois peu qualifiés se délocalisent toujours plus. Il est tout à fait possible d’adapter notre politique migratoire aux besoins économiques comme le font déjà des pays comme le Canada (qui n’en est pas moins attractif puisqu’il accueille plus d’immigrés par habitants que nous). La lutte contre l’immigration est déjà assez difficile pour qu’on en rajoute (« seulement »30 000 renvois par an environ alors qu’il y a entre 200 000 et 400 000 étrangers irréguliers en France).
Néanmoins, le contexte de l’expulsion, le fait que cela concerne une fille scolarisée, a attisé les protestations grandiloquentes de nombreuses associations et des mouvements lycéens qui ont bloqué plusieurs établissements afin de contester le renvoi.

Le désordre de la majorité


Cette affaire a semé le désordre dans le gouvernement et sa majorité, si bien qu’il devient de plus en plus évident que le gouvernement a du mal à tenir sa majorité plurielle, notamment sa collaboration avec les Verts. Dans les rangs mêmes du Parti Socialiste, les critiques sont virulentes à l’égard de Manuel Valls, ministre de l’intérieur, accusé de poursuivre les Roms. Il faut dire que cette affaire résonne en écho aux déclarations du ministre sur le manque d’intégration de la communauté Rom.La gène de la majorité est pour autant tout à fait compréhensible : le parti socialiste et la majorité de gauche n’ont en effet pas fondé leurs campagnes électorales de 2012 sur la lutte contre l’immigration clandestine. La gauche a même plutôt critiqué les relents frontistes que pouvait avoir Nicolas Sarkozy, notamment à propos de Schengen et sa permissivité sur l’immigration et la libre circulation des personnes. Ce sont aussi les hommes politiques de gauche qui sont les plus investis dans les associations pro-immigrations ou antiracistes (Harlem Désir fut le président de SOS Racisme). Et quand on sait que la famille Dibrani a largement soutenu le PS et même milité pour lui en 2012 (sans doute dans l’espoir d’obtenir une régularisation), on comprend d’autant plus le désarroi de certains à gauche qui se retrouvent face à une sorte de promesse non tenue.
Pour ne rien arranger, en plus d’être extrêmement critique, certains compagnons de route tel le sénateur Jean-Vincent Placé (membre d’EELV) appellent les lycéens à poursuivre le mouvement de soutien à Leonarda. Déjà en tant qu’élève, je réprouvais de telles pratiques qui selon moi n’avaient pas leur place à l’école. Mais cela m’insupporte encore plus étant passé de l’autre côté que l’on puisse donner ordre aux lycéens d’aller dans la rue à des fins politiciennes. C’est d’autant plus une drôle conception de l’école que d’inciter les élèves à ne pas respecter ni l’obligation d’instruction qui remonte à Jules Ferry  ni l’assiduité qui leur est imposée par leur inscription. En ce sens, la réaction mesurée de Jean Pierre Chevènement sur la mobilisation lycéenne ne peut être que satisfaisante… mais montre bien la division des soutiens de François Hollande.
Le gagnant à gauche dans cette affaire reste malgré tout Manuel Valls, qui dans son rôle de ministre de l’intérieur ferme plaît aux français par rapport aux autres ministres. La décision de renvoi semble être soutenue par la majorité des français et on pourrait croire que le portefeuille de l’intérieur est une rampe de lancement confirmée pour une éventuelle candidature en 2017… Cela nous rappelle un autre ministre de l’intérieur qui a fini président de la République…  


L’amnésie de l’UMP


Face à ces évènements, l’UMP jubile : une fois de plus, la majorité est face à ses contradictions et face aux difficultés. L’opposition en profite pour réagir en proposant d’emblée des mesures draconiennes concernant l’immigration et même le droit du sol. Il s’agit de profiter du désordre dans la majorité et du soutien global des français à l’égard de cette décision. Ainsi entend t-on Jean-François Copé arborer fièrement sa remise en cause partielle du droit du sol pour que celui-ci ne permette plus une naturalisation systématique des enfants nés en France. Même si cela rejoint le sujet de l’immigration et de l’identité, cela n’est toutefois pas en lien direct avec l’affaire puisqu’il s’agit là d’immigrés clandestins mais pas d’enfants nés sur le sol français. Mais qu’importe, il s’agit de montrer une réaction suffisamment ferme pour « draguer » l’électorat frontiste sans aller jusqu’à proposer une suppression du droit du sol, ce qui constitue la position frontiste, la limite à ne pas atteindre.
Mais cette posture de l’UMP montre soit que la droite est hypocrite, soit qu’elle est amnésique. En effet, elle sort d’une décennie de pouvoir pendant laquelle elle a fait semblant de mener une politique migratoire restrictive : en effet, c’est bien sous Nicolas Sarkozy que la « double peine » pour les immigrés clandestins fut supprimée (à savoir plus précisément l'automaticité de l'interdiction de séjour en France pour les étrangers condamnés pour un crime à l'issue de l'exécution de leur peine). C’est aussi sous Nicolas Sarkozy, en 2009, que la famille de Leonarda est arrivée en France. Enfin, ce n’est pas sous Nicolas Sarkozy que les conditions d’acquisition de la nationalité française ont été durcies, malgré le stérile et démagogique débat sur l’identité nationale.
Le Front National, lui, reste sur ces positions: il n’a pas grand-chose à faire ni à dire puisque toute l’affaire joue en sa faveur. Florian Philippot souhaite l’application de la loi pour cette famille. Il dénonce l’intervention de François Hollande sur cette affaire et en profite pour rappeler sa volonté de moins régulariser les clandestins et de redonner des frontières à la France. Il rappelle aussi à l’UMP son inactivité durant la décennie précédente et fustige les deux pôles de la vie politique française quant à leur manque d’attention sur les vrais problèmes des français.

La France n’est pas la seule coupable de cette situation



Cette affaire, en plus de son lien avec la politique d’immigration, nous amène aussi à réfléchir sur la place de la communauté Rom en France. Il s’agit en effet, d’une communauté peu intégrée et relativement stigmatisée. Elle connaît parfois une situation économique et sociale difficile. Leur mode de vie qui, souvent (mais probablement pas exclusivement), est nomade, attise parfois une certaine incompréhension des concitoyens, voire de la haine lorsque certains faits divers sont exposés par les médias (ce qui est récurrent, et peut-être illustré par des campements illégaux, par exemple à Lille).Toutefois, la France n’est pas responsable de la situation illégale de cette famille : elle ne l’a certes pas régularisée, mais c’est logiquement que la France impose des conditions d’entrée sur son sol, comme dans tout État de droit. Elle donne même à la population Rom plus de droits que les pays d’où ils viennent, où ils sont parfois beaucoup plus ouvertement discriminés que chez nous.
Au Kosovo comme dans d’autres pays, il semble en effet que les Roms ne soient pas scolarisés, ce qui pousse logiquement de nombreuses familles à tenter l’aventure de l’immigration (légale ou non). Cette immigration pourra encore augmenter à partir de l’année prochaine, date d’intégration complète et sans restriction à l’espace Schengen pour la Bulgarie et la Roumanie. La responsabilité de cette situation incombe donc en grande partie à ces pays qui ne respectent pas les droits des minorités pourtant importants pour l’Union Européenne. En laissant arriver trop d’immigrés Roms sur notre sol, nous prenons en charge ce que d’autres pays doivent faire et nous normalisons la situation peu enviable des Roms dans ces pays. Pourtant, le Kosovo semble recevoir des aides pour scolariser ses minorités, mais les engagements ne semblent pas respectés.
Bien évidemment, le renvoi de cette famille ne suffit pas : il faut aussi dialoguer avec ces pays, faire pression sur eux pour qu’ils respectent plus cette minorité en l’intégrant mieux.

Conclusion


Pour conclure, l’affaire Leonarda est révélatrice à plusieurs titres : la majorité est de plus en plus divisée et a de plus en plus de mal face aux difficultés. Son opposition quant à elle, profite de ces coups médiatiques pour affirmer sa position ferme et pour être en embuscade en prévision des élections à venir en 2014. Mais elle oublie trop vite qu’elle fut au pouvoir pendant 10 ans avant et ne peut être exempte de tout reproche. La polémique autour de cette affaire naît surtout du contexte particulier du renvoi de la jeune fille puisqu’il y a eu une intervention en milieu scolaire. Cela a donné lieu à un non évènement puisque d’une part le renvoi de cette famille n’est pas si litigieux et d’autres part parce que les accusations à l’égard de Manuel Valls furent parfois à la limite du reductio ad hitlerium. Mais surtout, cet évènement nous montre encore que la classe politique est surtout un vaste théâtre, que d’autres problèmes devraient être évoqués au lieu de nourrir les français de polémiques stériles. Il serait grand temps que tout ceci soit balayé. 
Sources :
Le PointLe PointLe FigaroLe FigaroLe Figaro20minutesMetronewsINAUNICEFMinistère de l'intérieurWikipediaWikipediaWikipedia
Vin DEX et Rémi Decombe.

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