Sans mari, sans enfants, sans amis, certes on ne pouvait être plus seule au monde; mais qu'était cette solitude, au prix de cet autre isolement dont la plus tendre famille ne l'eût pas délivrée: celui que nous éprouvons à reconnaître en nous les signes d'une espèce singulière, d'une race presque perdue et dont nous interprétons les instincts, les exigences, les buts mystérieux? Ah! ne plus s'épuiser dans cette recherche! Si le ciel était encore pâle d'un reste de jour et de lune naissante, les ténèbres s'amassaient sous les feuilles tranquilles. Le corps penché dans la nuit, attiré, comma aspiré par la tristesse végétale, Maria Cross cédait moins au désir de boire à ce fleuve d'air encombré de branches qu'à la tentation de se perdre en lui, de se dissoudre, pour qu'enfin son désert intérieur se confondit avec celui de l'espace, pour que ce silence en elle ne fût plus différent du silence des sphères.
François Mauriac, Le désert de l'amour / extrait, dans : Oeuvres romanesques (coll. Pochothèque/LGF, 1992)
image: Marcel Feguide, La jeune fille sous l'arbre (feguide.free.fr)