Séraphine fut le sujet d'un des premiers billets du blog, bien avant que le film ne remporte 7 César dont celui de meilleur film. J'avais chroniqué le suivant, Où va la vie (2011). Vous imaginez bien que j'étais impatiente de voir Violette bien avant sa sortie nationale le 6 novembre et que les affiches soient présentes dans les couloirs du métro.
J'ai pu assister à une projection le lendemain du jour où j'avais vu 9 mois ferme. La différence de jeu de Sandrine Kiberlain entre les deux rôles est prodigieuse et tout à fait représentative de ce dont sont capables les comédiens d'exception. On peut en dire autant d'Emmanuelle Devos, si différente de la femme qu'elle interprète dans la Vie domestique. Le casting est inattendu mais très réussi.
Le synopsis est vite résumé : Violette Leduc, née bâtarde au début du siècle dernier, rencontre Simone de Beauvoir dans les années d'après-guerre à St- Germain-des-Prés. Commence une relation intense entre les deux femmes qui va durer toute leur vie, relation basée sur la quête de la liberté par l'écriture pour Violette et la conviction pour Simone d'avoir entre les mains le destin d'un écrivain hors norme.
Le film va d'une part restituer une partie historique, à la fois dans le domaine de la littérature, mais aussi dans celui de l'évolution de la condition féminine, sans occulter aussi un certain aspect social. Si personne ne s'émeut aujourd'hui des naissances hors mariage, c'était encore très lourd à porter dans la France des années 40 à 60. D'où ce terme de bâtarde qui ne serait d'ailleurs plus employé aujourd'hui.
L'avortement était alors passible de prison. Et si l'égalité entre hommes et femmes est loin d'être achevée en 2013 elle venait à peine de commencer il y a soixante ans. Jusqu'en 1944 les femmes n'avaient pas le droit de vote en France et savez-vous qu'en Suisse cela ne date que de 1971 ?
Pourquoi va-t-on au cinéma, comment choisir parmi les nombreux films à l'affiche ... Personnellement le metteur en scène, et les comédiens, et même parfois certains noms de l'équipe technique influencent mon choix davantage que le sujet. Par contre, en sortant de la salle, c'est la manière dont le sujet aura été traité qui l'emporte et qui va faire que je vais avoir envie de recommander ou non le film.
Martin Provost et son équipe peuvent bien m'embarquer sur n'importe quelle voie. Je sais à l'avance que le chemin sera admirable, parfaitement maitrisé. Violette n'a pas fait pas exception.
Mais vous ne connaissez peut-être pas suffisamment le réalisateur pour lui accorder le même niveau de confiance. Le spectateur a besoin de preuve. Alors commençons par la bande-annonce avant que je vous livre mon avis. On gagnera du temps :
VIOLETTE BANDE-ANNONCE OFFICIELLE par diaphana
Violette Leduc avait écrit sur Séraphine un texte qui avait surpris Martin Provost par sa lucidité et sa beauté. Il l'avait lu avant de tourner son film. C'est à peu près à ce moment là qu'il décida de lui consacrer un long métrage, un peu comme si cela coulait de source. Il a travaillé pour cela avec René de Ceccatty qui connait parfaitement l’oeuvre de Violette Leduc depuis plusieurs dizaines d’années
On entend quelques extraits de dialogues qui permettent de se rendre compte de la langue de Violette. On comprend mieux alors sa capacité phénoménale à approfondir ce qu’il y a de secret en elle, de fragile et de blessé dans une écriture qu’on peut qualifier de baroque, à la force stylistique unique. Violette écrivait de manière organique avec ses sens, comme elle le disait elle-même.
Il nous montre, et les images ont valeur de témoignage, combien il fallu à Violette d’inconscience, mais aussi de courage, et de persévérance, pour suivre la voie qu’elle a tracée. Elle a été la première à écrire sur l’avortement (un livre censuré ... on devine pourquoi) qui a failli la faire sombrer dans la folie.
Emmanuelle Devos a accepté de porter une prothèse nasale pour mieux incarner cette femme hors normes qui avait conscience de sa laideur qu'elle vivait comme un péché mortel, ce qui ne l'empêchait pas de suivre la mode et d'être capable de raffinement, tout en restant modeste. Vers la fin de sa vie (elle meurt relativement jeune, à 65 ans) elle aura le coup de foudre pour la Provence où elle s'établira loin des tumultes parisiens, enfin réconciliée avec elle-même.
On suit bien entendu la relation qu'elle a entretenue avec Simone de Beauvoir qui fut à la fois une mère symbolique et un mentor. Que Violette doute et elle la rassure : le livre est beau, puissant, intrépide. Que Violette s'effondre quand s'annonce l'échec et elle continue à voir le positif : le livre est là, il est bon, il vivra. Que Violette se décourage et elle lui serine : Pensez à l'écriture, travaillez ! Elle la défendra bec et ongles : Violette Leduc a du talent !
Elle fera plus que l'encourager à écrire en devenant son mécène à son insu. Elle se substituera à Gallimard pour lui verser une pension. Je ne connais pas de meilleure agent de relations publiques !
Le film n’est pas pour autant un « biopic ». Il est construit sur un registre subjectif. Ainsi on ne la voit pas vraiment vieillir. Martin Provost reconnait qu'il y a beaucoup de lui dans ses films où il ne faudrait donc pas chercher une vérité historique absolue : j’ai fait des choix qui me ressemblent. Le film est une évocation, une interprétation. Il se trouve que j’écris aussi, j’ai longtemps peint. (...) Violette était un poète. Elle a été la première femme à pratiquer l’autofiction, oui, mais avec quelle langue ! Elle a ouvert la voie à tant de femmes. Il ne faut pas l’oublier. En cela, le film lui rend hommage.
Les 2 heures 19 passent très vite. La relative pénombre de certains plans, les décors en camaïeu de gris, la lenteur de nombreuses scènes, la longueur des plans séquences dans la campagne limousine ou provençale ... renforcent l'isolement du personnage en installant son émotivité. Le contraste est explosif avec sa vitalité et sa force de caractère exceptionnelle.
Tout est juste. Aussi bien dans les décors que dans les costumes. Thierry François, le décorateur, et Madeline Fontaine, la costumière, appartiennent à l'équipe gagnante de Séraphine.
Martin Provost a réussi un film choc, ponctué d'hommages discrets comme l'évocation du Dormeur du Val ou la voix si particulière de Louis Jouvet. C'est aussi une chanson interprétée par Jeanne Moreau, ou encore un clin d'oeil à l'ambition de Violette Leduc d'aller plus loin que Colette, dans la scène de dédicaces à la fin du film où cette fois elle ne se contente plus d'écrire "hommage de l'auteur" sur la page de garde mais quelques mots personnalisés ... à une certaine Colette.
Son film a un aspect quasi militant. Il ne pouvait en être autrement, rappelant que le mariage était alors une fausse promesse d'émancipation. Le mariage est une imposture : Il n'y aura jamais de liberté sans liberté économique.
Enfin, et ce n'est pas la moindre des qualités de son travail, le film n'est jamais complaisant à l'égard de cette femme à la personnalité éclatante, provocante, au tempérament de feu mais insupportable au quotidien.
Nous pouvons partager l'opinion qui clôture le film : je ne connais pas de plus beau salut par la littérature que celui de Violette Leduc.
VIOLETTE, un film de Martin Provost avec Emmanuelle Devos (Violette), Sandrine Kiberlain (Simone de Beauvoir ), Olivier Gourmet (Jacques Guérin), et des acteurs issus du vivier théâtral, comme Catherine Hiegel (Berthe, la mère), Jacques Bonnaffé (Jean Genet), Olivier Py (Maurice Sachs), Nathalie Richard (Hermine) et Stanley Weber (René).
Scénario : Martin Provost, Marc Abdelnour et René de CeccattyChef décorateur : Thierry FrançoisChef costumière : Madeline Fontaine AFCCA-EFA remarquable boulotles deux cesar
A l’occasion de la sortie du film, seront réédités en octobre des livres de l’auteur et des bibliographies sur l’auteurAux Éditions Gallimard : L’Affamée (Folio n°643), Ravages (Folio n°691), Thérèse et Isabelle (Folio n°5657) et La Bâtarde (L’Imaginaire n°351) Aux Éditions Stock : Violette Leduc Éloge de la Bâtarde de René de Ceccatty.Aux Éditions Grasset : Violette Leduc de Carlo Jansiti.
© TS Productions (Photographe : Michael Crotto) 2013 pour les photos de Violette
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Par ailleurs Martin Provost a écrit notamment Bifteck en 2019