De la fin du monde ? (fantastique avec un sens)

A propos de Snowpiercer, Le transperceneige de Bong Joon-Ho :

Chris Evans

2031. Le Monde est entré dans une nouvelle ère glaciaire après une tentative ratée et catastrophique de réchauffement climatique, dix-sept ans plus tôt. En fonction de leur classe sociale, les derniers survivants de l’Humanité ont été soit entassés à l’arrière d’un immense train condamné à faire ad vitam aeternam le tour de la Terre, soit regroupés à l’avant de luxueuses locomotives. Mais dans les derniers wagons crasseux, la révolte gronde, menée par le charismatique Curtis (Chris Evans) et son jeune acolyte Edgar (Jamie Bell)…

Ko Asung

Adaptation d’une bande-dessinée éponyme française datant des années 1980, créée par Jean-Marc Rochette et Jacques Lob (décédé en 1990 puis remplacé par Benjamin Legrand en 1999), Snowpiercer, Le transperceneige est une œuvre profonde, à la fois politique, philosophique et sociale.

Teinté de fantastique, le nouveau film de Bong Joon Ho (l’auteur du superbe Mother, 2009 ou de The Host, 2006) est une très grosse production qui n’empêche pas l’inspiration ni l’imagination du réalisateur coréen d’être au rendez-vous. Au contraire, Snowpiercer, Le transperceneige peut autant s’enorgueillir de ces différents niveaux de sens, d’interprétation et de lecture que d’une richesse visuelle et plastique intarissables.

John Hurt

Derrière la science-fiction propre à la bande-dessinée originale, c’est autant la profusion visuelle que le pouvoir d’évocation du film qui séduisent. Excellemment interprété par ses acteurs principaux (Evans, Bell mais aussi Song Kang-Ho), bien épaulés par de prestigieux seconds rôles (d’Ed Harris à Tilda Swinton en passant par John Hurt), Snowpiercer, Le transperceneige peut se regarder à la fois comme une fable prophétique et un conte allégorique, social et politique dans lequel les critiques sur le travail des enfants, les allusions aux désastres écologiques contemporains sont légion. Le cinéaste coréen n’a pourtant pas besoin de faire de grands détours ni de grandes métaphores pour que son appel à la lutte (ou plutôt à la résistance) voire au renversement des classes trouve ici son sens et son expression les plus littérales. On pense à la révolte des troisièmes classes du Titanic lors de son naufrage. Marxiste, Bong Joon-Ho ? N’exagérons rien. Son style en tout cas sec et limpide, brut(al) et direct n’empêche pas sa mise en scène d’être brillante et ambitieuse, derrière l’apparent spectaculaire du projet.

Tilda Swinton

A la tête de cette poignée d’hommes épuisés, vivant dans l’obscurité, la faim et la crasse depuis des années, un homme, Curtis, bonnet vissé sur la tête et barbe noire de rigueur, prépare en secret une fronde qui n’attend qu’une étincelle pour exploser.

Le film comme la montée de cette révolte mettent d’ailleurs un peu de temps à se mettre à place avant que la mise en scène ne trouve son rythme de croisière, si l’on peut s’exprimer concernant un train. Ayant du s’adonner au cannibalisme en 2014 pour survivre, la troisième classe de ce train, vestige de l’Humanité, vit donc dans l’attente d’un renversement de classe légitime au regard de l’injustice et des conditions de vie ignominieuses dans lesquelles ils ont du survivre pendant dix-sept ans. La faute à un seul homme, le grand manitou et dictateur Wilford (Ed Harris, parfait comme à son habitude), inventeur génial mais démoniaque de cette arche ferrée, longue de plusieurs centaines de mètres.

Jamie Bell, le couteau sous la gorge

Au foisonnement des décors, à la diversité des univers visuels des différents wagons où progressent Curtis et sa bande, répond le souffle d’un scénario riche en rebondissements et d’une mise en scène enlevée qui, si elle n’hésite pas à verser dans les effusions de sang et une violence parfois très crue (difficile en même temps d’imaginer une révolution avec des fleurs), s’octroie néanmoins volontiers des traits d’humour grotesque et décalé qui contrastent avec la barbarie de l’immonde et repoussante physiquement Mason (Tilda Swinton, qui force un peu les traits de son personnage) par exemple.

Seul reproche dans ce Snowpiercer, Le transperceneige aux effets spéciaux très réussis (tout en évitant la surenchère) et rondement mené (le film est finalement plutôt optimiste et pas si noir ni apocalyptique que cela), c’est un petit manque au niveau de l’écriture du personnage de Curtis, qui aurait pu être davantage étoffé et approfondi. On aurait aimé en effet connaitre plus de choses sur lui, sur son parcours, sur son histoire personnelle et sur son passé. Imaginer par exemple qu’il aurait eu une femme, aujourd’hui décédée, à cause de la grande famine orchestrée par le diabolique et démiurgique Wilford en 2014. On précise bien que c’est un exemple.

Mais rien à redire dans l’ensemble, sinon que le film mérite largement sa mention très bien…

http://www.youtube.com/watch?v=dTYz-jXdhJs

Film coréen de Bong Joon-ho avec Chris Evans, Song Kang-ho, Ed Harris, John Hurt, Tilda Swinton, Jamie Bell, Octavia Spencer, Ewen Bremner, Ko Asung (02 h 05)

Scénario de Bong Joon-Ho d’après la B.D. de Jacques Lob, Benjamin Legrand et Jean-Marc Rochette :