08/11/2013
La potion magique que j’ai fait bouillir dans une théière d’un autre temps est prête à brûler mes entrailles. Je me suis souvenu d’avoir gardé quelques sachets de thé vert d’une étape précédente. Cette boisson chaude tombe à point nommé car la maison dans laquelle je vais dormir ce soir n’est pas chauffé. Et pour cause, il s’agît de l’ancien bar du village de Vicq sur Breuil, aujourd’hui presque à l’abandon.
La secrétaire de mairie m’a donné les coordonnés de Mr le premier adjoint au maire pour lui faire part de ma recherche d’un toit pour la nuit. « Je vois ce que je peux faire et je vous rappelle ! On va trouver quelque chose, ne vous en faîte pas ! » Merveilleux. Plus tard, ce vieux monsieur qui ploie sous des années de bonté, 76, me rejoint dans le nouveau bar du village et me donne les clés de l’ancien. Ensemble, on fait les 23 mètres qui nous séparent de mon « chez moi » pour la nuit. Tout en faisant le tour du propriétaire, il m’explique que la commune a racheté le bâtiment et s’en sert pour fournir des salles aux différentes associations du coin et que les gars qui bossent sur la rénovation du presbytère s’y abritent pour se préparer un déjeuner chaud en ces jours humides d’automne. C’est la pièce réservé au club de philatéliste que je choisis pour en faire mon camp de base pour les prochaines heures.
Après le thé, le dîner. Je sors ce qui constitue les trois quarts de mes repas depuis bientôt deux mois : du pain, du fromage et du saucisson. Viennent s’ajouter a ce menu de base quelques fruits secs ou frais, des noix et autres graines et arachides. Le matin, mon petit déjeuner est assuré par un paquet de Figolu, dont je fais ici une publicité dont il n’ont vraiment pas besoin tant il use et abuse de leur « archi-giga-terrifiant » monopôle sur les biscuits. Les rayons biscuits des grandes surfaces exhibent leur logo jusqu’à la nausée. Je mange ces galettes fourrées de figue depuis que j’ai des dents. Le paquet n’est pas chère et les biscuits sont bons, copieux et énergétiques. Rendons à César ce qui lui appartient.
La question de l’alimentation est cruciale chez le pèlerin. Je me remémore mes soirées dans les auberges espagnoles qui nous ont accueillis mon frère et moi, au printemps dernier. Nombre de pèlerin font du repas du soir un moment sacré où le réconfort doit coûte que coûte couler à flot, sous peine de rater son dîner et de se coucher le cœur lourd. Je comprends le besoin de bien manger et la sensation de satisfaction éprouvée quand la peau du ventre est bien tendue. J’ai longtemps couru après. Aujourd’hui, comme du reste, je prends du recul et m’amuse à jouer avec le curseur. Tout est question de contentement. Quand on découvre, comme je l’ai découvert, que nous mangeons de trop et que nous avons surtout peur de manquer plutôt qu’un réel besoin d’apport énergétique, on se prend à jouer et à chercher où se trouve la limite entre la vraie faim et l’habitude gourmande et rassurante. Je découvre et expérimente que les aliments les plus efficaces et dont la source est intarissable sont l’amour, la joie et la paix qui se trouvent dans l’air que nous respirons et dans la force illimitée de notre esprit. J’ai en tête le résultat d’une expérience médicale très riche d’enseignement. Deux groupes de cobayes humains. Un médicament est présenté aux deux groupes. Il est expliqué aux cobayes que ce médicament a comme désagréable effet secondaire de faire chuter les cheveux. Seul un groupe ingurgite ce médicament, l’autre groupe avale un comprimé neutre. Le pourcentage de personnes souffrant de cet effet secondaire est, à quelques points près, le même dans les deux groupes ! C’est ce que l’on nomme l’effet nocebo, moins connu que son contraire, l’effet placebo. L’effet placebo, c’est, pour aller vite, la guérison par l’esprit et l’effet nocebo, la maladie par l’esprit. Dans cette expérience, les gens étaient à ce point persuadés qu’ils allaient perdre leurs cheveux que c’est arrivé à bon nombre d’entre eux. N’est-ce pas merveilleux ce pouvoir de l’esprit ! Dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs.
Voilà pourquoi, d’après moi, ce qui compte plus que de manger, c’est ce que l’on pense de ce que l’on mange. Si l’on prête à ce que l’on mange, même en petites quantités, de nombreuses vertues nutritives et qualitatives, on se nourrit fort bien. Au contraire, si on pense manger de la merde ou si notre état d’esprit est morose ou pire, anxiogène, au sujet de ce que l’on mange, on se détruit.
C’est pourquoi je mange peu et que je suis en pleine forme et victime d’aucune carence. J’en suis absolument certain, comme je suis absolument certain de ma bonne santé générale. Un cousin de l’effet placebo ? Quand je mange une poire, je bénis la poire. Quand je me désaltère, je bénis le ciel. Je vois la lumière dont j’inonde ces aliments inonder à leur tour chacune des cellules de mon organisme. Et quand j’ai fini de manger, mon organisme me dit merci. Ainsi, peut-il vieillir et mourir de la meilleur des manières, normalement. Aujourd’hui, je suis sûr que je mourrais d’usure mais en bonne santé !
J’ai décidé, il y a quelques jours, pour jouer, de n’acheter à manger, pendant le reste de mon pèlerinage, qu’à partir du moment où la faim se fera sentir. Plus question de porter un tas de bouffe des kilomètres durant. Toujours cette peur tenace de manquer. Il est possible, voir fort probable, qu’il me faille, à un moment ou à un autre, attendre plusieurs heures avant de subvenir à ce besoin.
N’aller pas croire que je fais là l’apologie de l’anorexie, terrible maladie, mais néanmoins, je vous souhaite de découvrir la satisfaction et la joie spirituelle que procure cette attente sereine de la nourriture, la domination de l’esprit sur la matière. C’est bien pour ça d’ailleurs que notre corps fait des réserves, pour pouvoir faire face à ces, parfois, longues attentes avant la, très justement, restauration, du corps.
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