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Le plus bel endroit du monde

Publié le 10 novembre 2013 par Aude Mathey @Culturecomblog

Laissant ainsi l’histoire violente du XXe siècle, tâchons de poursuivre notre périple près de la mer intérieure de Seto (瀬戸内海, Seto Naikai) en nous dirigeant vers un endroit pouvant facilement être assimilé au plus bel endroit du monde. Au nord-ouest de la baie de Hiroshima, à seulement une heure en tramway du centre ville (si vous avez la chance d’avoir un passe JR, profitez-en, c’est plus court) se trouve l’île de Itsukushima (厳島) appelée habituellement, par tous, Miyajima (宮島, littéralement « île sanctuaire »).

Embarquons-nous, camarades, l’aventure nous attend ! © Laurent Mathey

Embarquons-nous, camarades, l’aventure nous attend ! © Laurent Mathey

Considérée comme l’une des plus célèbres (et donc belles) vues du Japon par Hayashi Razan(林 羅山) philosophe néo-confucéen du XVIIe siècle, Miyajima mérite, nous pouvons l’avouer sans rougir, son statut ainsi déposé il y a plus de quatre siècles.

L’île est particulièrement renommée pour ses érables, nombreux, qui viennent s’embraser en automne, faisant rougeoyer l’île sur son support aqueux, donnant des teintes cramoisies et garances d’une beauté éclatante. L’île étant un sanctuaire, un lieu sacré pour la religion shintoïste, il y est interdit d’y naître ou d’y mourir. Ainsi, depuis 1878, les femmes enceintes sur le point d’accoucher doivent se rendre sur le « continent » afin de pouvoir donner naissance. Il en va de même pour les personnes gravement malades ou particulièrement âgées et à l’orée de la mort. Cela peut sembler surprenant, mais ainsi, ni maternité ni cimetière ne se trouvent sur la surface de ce lieu. De manière similaire, il est interdit de couper quelque arbre qu’il soit, ce qui a laissé la place à une végétation pour le moins dense.

Le Grand Torii, à marée haute © Laurent Mathey

Le Grand Torii, à marée haute © Laurent Mathey

Dans nos yeux, Miyajima est certainement plus connue pour le sanctuaire d’Itsukushima (厳島神社, Itsukushima-Jinja), splendide sanctuaire shinto datant du VIe siècle (construit en 593, « faut l’faire » vous entends-je dire !) couplé du très fameux et splendide torii (porte) flottant (大鳥居, littéralement « grand torii ») datant de 1875 – quoiqu’un torii ait été présent depuis le XIIe siècle (1168, si l’on veut être précis, je vous entends siffler d’admiration un fois encore). Le torii n’a jamais été totalement rénové, les montants immergés étant changés – dit-on, tous les 100 ans. Les piliers additionnels devant et derrière chaque pilier du Torii sont caractéristiques du style de Ryōbu Shintō dont la croyance considère que les divinités shintô sont les émanations des divinités bouddhistes correspondantes. (en gros, pour plus d’informations, le lien ci-avant est plus intéressant).

Itsukushima © Laurent Mathey

Itsukushima © Laurent Mathey

Le temple est dédié aux trois filles de Susanoo (須佐之男), divinité Shintô de la mer et de l’orage, accessoirement le frère de la très célèbre Amateratsu (天照), déesse du Soleil. Tout au long de l’histoire, donc, le péquin moyen (ou vulgum pecus, au choix), n’avait pas le droit de poser pied sur l’île, afin d’en conserver la pureté. C’est ainsi que le temple fut construit sur pilotis, donnant l’impression de flotter,le séparant ainsi de la terre, obligeant tout un chacun désireux de s’y rendre de passer par le Torii en bateau, afin de se purifier avant de débarquer.

Scène de Nô © Laurent Mathey

Scène de Nô © Laurent Mathey

Le temple a bien évidemment été rénové tout au long de l’histoire, mais il reste une partie plus ancienne, une scène de Nô, encore debout.

Senjôkaku, hélas fermé © Laurent Mathey

Senjôkaku, hélas fermé © Laurent Mathey

Sur l’île se trouve encore le 千畳閣 (Senjôkaku, littéralement, le pavillon au mille tatamis), officiellement nommé Sanctuaire Hokoku, construit en 1587 par Toyotomi Hideyoshi entièrement en bois, juste à côté du sanctuaire d’Itsukushima. De manière étonnante, ce sanctuaire n’a ni entrée véritable, ni plafonds, ce qui est pour le moins surprenant, considérant les temples habituels. Situé sur une petite colline, ce sanctuaire jouxte la pagode à cinq étages, qui semble crever le ciel.

La pagode semble s’embraser sur la colline, perçant le ciel © Laurent Mathey

La pagode semble s’embraser sur la colline, perçant le ciel © Laurent Mathey

Enfin, le temple 大聖院 (Daishô-in, j’ignore la signification) fondé par Kûkai, un moine connu à titre posthume sous le nom de Kôbô-Daishi, en 806 est d’une beauté éclatante, entouré de statues, un escalier surplombé de cylindres métalliques sur lesquels sont écrits des sutras permet de monter en les faisant tourner en même temps, résultant en le même résultat que de les lire.

Daishô-In © Laurent Mathey

Daishô-In © Laurent Mathey

Les statues sont d’ailleurs assez intéressantes, car nombreuses sont celles qui attireront l’œil de l’étranger inculte, comme votre dévoué. En effet, de petites statues, nombreuses, sont coiffées d’un petit bonnet rouge et habillées d’un tablier, rouge lui aussi. Il faut savoir que le rouge est une couleur protégeant du mal (si mes sources sont correctes).

Les statues de Jizô, bien habillées © Laurent Mathey

Les statues de Jizô, bien habillées © Laurent Mathey

Cette statue représente Jizô, aussi appelé en keigo Ôjizô-sama, le gardien des enfants, et plus précisément de ceux morts avant leurs parents. Ces derniers, en effet, ne peuvent, selon la croyance Shinto, traverser la rivière Sanzu, n’ayant pas accompli suffisamment de bonnes actions et ayant fait souffrir leurs parents en décédant avant eux. Ôjizô-sama les protègerait alors de leur punition qui serait d’empiler des pierres sur les bords de la rivière en les cachant sous ses robes et en leur faisant entendre des mantras. Il n’est donc pas rare de voir nombre de ces statues habillées de la sorte près des temples, Jizô étant une des divinités les plus célébrées.

Vue dégagée sur la baie, offrant un panorama superbe sur le sanctuaire © Laurent Mathey

Vue dégagée sur la baie, offrant un panorama superbe sur le sanctuaire © Laurent Mathey

Ensuite, enfin, l’excursion sur l’île se poursuit, poussant le voyageur s’élever alors physiquement, gravissant le mont Misen. Au bout d’environ une heure et demie de grimpe, la vue sur la baie d’Hiroshima s’offre alors à vous, prenante et évidemment grandiose. Entrecoupée de temples multiples, cette randonnée donne un peu l’occasion d’élever et son corps et son esprit de concert.

Ceci étant, il serait faux de croire que Miyajima n’est que nourriture spirituelle. Sachons reconnaître la réalité. Et celle-ci a développé un théorème simple : « Personne, au Japon, ne peut mourir de faim. » (l’on peut discuter cette assertion si l’on est triste sire, mais je laisse à ce lectorat délicieux le soin d’apprécier l’humour) A savoir, il y a toujours partout quelque endroit pour manger. Et Miyajima a une spécialité, les huîtres. Grillées, de préférence, ce qui surprendra, je n’en doute guère, les Européens qui liront ces lignes, plus habitués, ce me semble, au gobage de ce petit mollusque.

Oui, outre les huîtres, il y a aussi du monde… © Laurent Mathey

Oui, outre les huîtres, il y a aussi du monde… © Laurent Mathey

Si vous avez la chance, comme votre dévoué et éternel, de vous y rendre en hiver – le deuxième week-end de février, si ma mémoire est bonne – votre débarquement se verra accueilli par un magnifique 牡蠣祭り (kaki matsuri, festival des huîtres) où vos glandes salivaires effectueront un travail acharné, et vos papilles pourront goûter ces coquillages cuits dans du miso, du curry, grillées, avec des épices, sans, frites, en tempura… il doit y avoir plus d’une cinquantaine de stands, chacun préparant les huîtres selon leur spécialité. Une chose à dire ? Un régal.

Mais ne nous arrêtons pas là ! Après le salé, après le plat de résistance, passons aux choses sérieuses, que diantre ! Il est impossible de profiter du spectacle du sanctuaire d’Itsukushima sans avoir un gentil goût sucré dans la bouche. Le hasard fait bien les choses, une autre spécialité de l’île est le もみじ饅頭 (Momiji Manju, des pâtisseries remples d’ankô, la pâte de haricots rouges, de crème à la vanille, de chocolat…). Ces derniers peuvent se consommer de la manière la plus calorique qui soit : frits.

Et c’est un régal.

Franchement, en plus, le daim est jobard. Pourquoi résister ? © Laurent Mathey

Franchement, en plus, le daim est jobard. Pourquoi résister ? © Laurent Mathey

Attendez-vous à voir, de surcroît, dans la rue commerçante menant au sanctuaire, la plus grosse cuillère à riz au monde, dont je me suis demandé si elle n’avait pu servir à quelque cousin éloigné de notre Pantagruel national. Mais j’en doute.

Cuillère à riz. Ca fait de sacrés portions, ça © Laurent Mathey

Cuillère à riz. Ca fait de sacrés portions, ça © Laurent Mathey

Enfin, prenez garde aux daims. Ces petits animaux qui nous rappellent les dessins animés de notre enfant sont, en réalité, et excusez mon langage, d’une connerie affligeante (quoique sacrés, sur l’île) et se mettront à mâchouiller tout ce qui leur tombera sous la quenotte : papiers, sacs plastiques, jusqu’aux cartes que vous pourrez tenir entre vos mains afin de vous repérer. Attention aux poches et manteaux, ces quadrupèdes sont voraces…


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