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Les Damnés: La lignée des Petrova – Chapitre 30

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Noura s’arrêta à la lisière du bois, n’osant franchir les derniers mètres qui allaient la conduire vers une issue qu’elle connaissait déjà. Comment avait-elle pu être assez stupide pour imaginer que Noah soit venu à sa rencontre sans assurer ses arrières, lui, qui avait tout planifié et trompé tout le monde depuis des mois, même Viktor ? Elle ne put s’empêcher de maudire sa bêtise à voix haute entre ses dents serrées.

Devant elle, une brume persistante enveloppait la chapelle. Tout était silencieux comme si ce voile blanchâtre et cotonneux étouffait le moindre bruit. Elle s’avança en traînant les pieds dans la neige poudreuse qui se collait au bas de sa robe. Elle gravit les marches du parvis et il lui sembla alors que sa respiration saccadée, qui emplissait l’air de volutes épaisses, faisait un  boucan  infernal dans le silence. Lorsqu’elle enjamba les pierres des piliers effondrés qui avaient subi les foudres d’Elijah, elle ferma brièvement les yeux pour chasser le visage du vampire de son esprit. Elle devait garder les idées claires pour éviter de commettre d’autres erreurs qui ne feraient que confirmer ce que l’originel pensait surement : elle n’était qu’une irresponsable irréfléchie comme l’était sa sœur. Aveuglée par son désir de vengeance, elle venait peut-être de créer un être semblable à elle mais qui n’aurait certainement autant de scrupules à utiliser ses pouvoirs.

Elle n’eut pas besoin de franchir le seuil de l’entrée de la chapelle pour constater que ce qu’elle craignait s’était produit. Sur les blocs de pierre du sol apparaissaient, au centre d’une ombre macabre peinte par l’incendie, les contours clairs d’un corps qui n’était plus là. Noura s’adossa et se frappa l’arrière de la tête  contre l’un des pans de la large porte. Ces deux poings vinrent percuter le bois noirci de part et d’autre de son corps, faisant trembler les gonds déjà mis à mal par l’usure du temps. Furieuse, elle aurait volontiers hurlé sa colère, brisé ce silence oppressant mais une angoisse vint lui nouer soudainement la gorge. Elle se précipita vers la trappe qui conduisait à la crypte. En la voyant ouverte, elle se figea, le souffle court, avant de s’engouffrer dans les entrailles de la chapelle. Elle dévala l’étroit escalier si vite qu’elle manqua à plusieurs reprises de se prendre les pieds dans sa robe et dut se retenir aux parois, elles aussi, glissantes et recouvertes de salpêtre. Devant l’autel vide sur lequel le grimoire aurait dû se trouver, elle ne retint pas cette fois un cri de rage accompagné d’une avalanche d’injures à l’encontre du sorcier.

Toute à sa colère, elle ne le vit pas, dissimulé dans l’ombre au fond de la crypte. Il la regarda un instant s’acharner sur l’autel  qu’elle envoya se fracasser contre le mur. Le bruit de la pierre percutant la paroi résonna dans tout le sous sol, couvrant son déplacement rapide. Lorsqu’elle sentit sa présence derrière elle, il était trop tard. Il l’agrippa violemment par les cheveux pour l’obliger à lui faire face. Avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir à l’attaque, il avait saisi d’une main son menton, enfonçant à la meurtrir ses doigts dans ses joues. Elle laissa échapper un gémissement en découvrant le visage de son agresseur.

- Je t’interdis d’utiliser aucun de tes pouvoirs sur moi, tu m’entends ? ordonna-t-il.

Elle voulut échapper à cette injonction qui allait la condamner, mais il était trop tard. Le regard bleu acier de Viktor s’était irrémédiablement plongé dans le sien. Elle était à sa merci, contrainte de lui obéir.

- J’ai comme l’impression que notre ami commun s’est fait la malle, reprit-il en lâchant sa prise.

Chancelante, elle s’adossa contre la paroi dont la froideur sembla s’insinuer et tétaniser chaque parcelle de son corps. Les paupières plissées, il s’était reculé pour la considérer  à loisir avec un rictus narquois sur les lèvres.

- Vous avez bien changé depuis la première fois où je vous ai vue …..C’était le jour où Klaus a tué votre père dans la forêt, il me semble, non ?

Il fit mine d’y réfléchir sérieusement et s’amusa du brusque désarroi qui crispa son visage et qu’elle tentait désespérément de masquer. Il s’approcha à nouveau de la jeune femme qui se plaqua un peu plus contre le mur comme si elle espérait pouvoir être avalée par celui-ci pour échapper à ce regard froid qui ne la quittait pas.

- Vous allez m’aider, Noura. Quand j’aurai mis la main sur cet immonde petit salopard de Noah et récupéré le livre, je veux que vous jetiez le sort sur Klaus, décréta-t-il.  En attendant nous allons devoir collaborer pour le dénicher… Enfin quand je dis « collaborer », je veux plutôt dire « j’ordonne et vous obéissez ».

Il avait déjà tendu une main vers elle. Horrifiée à l’idée qu’il puisse  à nouveau la contraindre, elle tenta une fuite désespérée avant qu’il n’ait pu l’agripper. Elle se dégagea brusquement et s’engouffra dans les escaliers aussi vite que lui permettaient ses pouvoirs. Mais l’originel était plus rapide et alors qu’elle s’apprêtait à franchir le seuil de la chapelle, sa haute silhouette se dressa devant elle. Elle recula si précipitamment qu’elle trébucha brutalement sur les débris des bancs, pour la plupart calcinés, qui devaient être alignés de part et d’autre de l’allée centrale et auxquels s’étaient mêlés ceux tombés de la toiture éventrée.

  – Tâchez d’être un peu plus coopérative, ma chère, ou notre collaboration risque d’être douloureuse, menaça-t-il.

Il s’avançait lentement dans l’allée alors qu’elle se traînait sur le sol poussiéreux en tentant vainement de se relever avant qu’il ne soit à sa hauteur. Elle le vit alors se baisser pour se saisir de ce qui semblait être les restes d’un accoudoir. Brisé à l’une de ses extrémités, Viktor examina l’objet et en estima ironiquement son efficacité en tapotant un doigt sur la pointe avec une satisfaction exagérée.

Elle se retrouva sur pieds plus vite qu’elle ne l’aurait espéré. Acculée contre le mur de la chapelle, les doigts de l’originel lui meurtrissant le cou, elle sentit la pointe du pieu s’enfoncer lentement dans l’abdomen. La douleur cuisante lui arracha un gémissement. Mais comme il y a des moments où certaines choses doivent être dites, elle accompagna sa plainte d’une flopée de qualificatifs l’encontre du vampire qui en resta bouche bée de surprise. Etre injurié de la sorte par cette frêle créature qu’il dominait de toute sa taille et dont il aurait pu arracher la tête rien d’en serrant les doigts, c’était un comble. Le rire tonitruant qu’il lâcha, contre toute attente, la fit sursauter  autant qu’il l’horripila.

- Et moi qui pensais connaître mes fils par cœur…, commença-t-il avec amusement. Jamais je n’aurais cru qu’Elijah s’enticherait d’une effrontée qui jure comme un charretier. C’est assez inattendu, je dois avouer.

Il accentua la pression de ses doigts et enfonça brutalement le pieu. Elle étouffa un cri de douleur derrière ses lèvres sèches et pincées et sentit ses jambes se dérober sous elle. Les efforts démesurés qu’elle faisait pour ne pas céder à la faiblesse de ses membres firent apparaître un rictus narquois sur les lèvres de l’originel. Pourtant son sourire s’effaça presque aussitôt. Son visage soudain redevenu grave et inquiet se tourna vers l’entrée de la chapelle.

 - Nous avons de la visite, lâcha –t-il contrarié en la saisissant par la nuque pour l’attirer à lui pour s’en servir comme d’un bouclier.

C’était, certes, une mince et insignifiante protection en taille par rapport à son imposante stature, mais elle fut suffisamment dissuasive pour qu’Elijah, arrivé le premier, ne se fige d’effroi dès qu’il franchit le seuil. Viktor avait plaqué si fermement son avant-bras contre la gorge de la jeune femme qu’elle se débattait pour pouvoir reprendre son souffle. Lorsqu’elle sentit la pointe du pieu s’enfoncer dans son dos, elle ne put réprimer, cette fois, un cri de panique qui reçut pour écho celui d’Elijah.

- Ne faites pas ça ! le supplia-t-il en avançant prudemment.

- Cela va dépendre de toi, Elijah. Où est Klaus ?

Elijah n’eut pas le temps de répondre. La silhouette de son frère apparut à son tour dans l’encadrement de la porte provoquant immédiatement sur le visage de Viktor une expression de dégoût et de colère que Klaus lui rendit au centuple.

- Jamais loin l’un de l’autre, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais réussi à comprendre ton attachement pour cet égoïste irresponsable, cracha-t-il avec mépris à l’adresse d’Elijah qui ne détachait pas ses yeux de ceux à la fois bouleversés et désolés de Noura.

Viktor suivit le regard de son fils et pencha légèrement la tête pour contempler le profil de la jeune femme.

- Tout comme je m’explique mal  ton béguin pour cette pimbêche…. Mais trêve de discussions  inutiles. Finalement, c’est une bonne chose que vous soyez là tous les deux. Je suppose que tu ne serais pas venu jusqu’ici sans la dague que tu as retiré du cœur de Vlad, n’est-ce pas Elijah ? Donne-la moi ou tu peux lui dire adieu, menaça-t-il d’une voix froide en enfonçant encore un peu plus la pointe entre les cotes de la jeune femme qui inspira bruyamment sous l’effet de la douleur avant de retenir sa respiration.

Les deux frères s’échangèrent un bref regard, flairant le piège. Cela avait toujours été l’arme favorite de Viktor depuis qu’ils étaient enfants : s’ingénier à trouver ce qui pouvait bien diviser ses fils pour mieux s’assurer de sa main mise sur sa nombreuse progéniture. Ce stratagème n’avait que trop bien fonctionné depuis leur transformation.

- Dépêche-toi ! s’emporta-t-il devant l’hésitation de son fils.

Elijah se mordit la lèvre de dépit et plongea la main dans le revers de son pourpoint pour en retirer le poignard qu’il présenta à son père sans avancer d’un pas.

- Bien, voilà qui est mieux. Tu as la cendre ?

Elijah opina du chef et sortit une fiole au contenu grisâtre de l’une de ses poches.

- Très bien….Mais comme tu le vois, là, j’ai les mains un peu prises. Je vais te proposer un marché, mon fils.  Occupe-toi de lui et je te la rends saine et sauve, proposa-t-il avec un sourire satisfait en voyant la consternation sur le visage des deux frères.

- Espèce de fumier! lâcha Klaus dans un ricanement dépité. Faire faire les basses besognes à d’autres comme c’est courageux….

Viktor se raidit sous l’insulte mais ne se laissa pas décontenancer. Il tâcha d’ignorer la provocation et concentra à nouveau son attention sur Elijah.

- Tue-le et je te donne ma parole que je la laisserai partir et que sa famille n’aura plus rien à craindre de moi, proposa-t-il. Réfléchis bien Elijah. Il est la cause de tout ce désastre : sans lui nous serions tous réunis et tu ne serais pas obligé de faire un choix entre elle et lui. Alors choisis mais choisis vite et bien.

Un silence de plomb s’abattit dans la chapelle où chacun, entre consternation et impatience, était suspendu aux gestes d’Elijah qui regardait d’un air sidéré l’arme qu’il tenait dans la main. Lorsqu’il fit sauter d’un geste du pouce le minuscule bouchon de liège de la fiole, Viktor tâcha de masquer sa surprise devant la facilité avec laquelle son fils avait capitulé. Il détourna un bref instant son attention de la dague et de la fiole et lança à Klaus un regard plein de suffisance savourant par avance cette victoire qu’il était sur le point de remporter.

- Donnez-moi votre parole que vous disparaîtrez et que vous les laisserez tous en paix, demanda une dernière fois Elijah d’une voix éteinte.

- Je te la donne, promit-il à nouveau.

- Tu n’es pas sérieux Elijah ? s’offusqua Klaus.

- Je suis désolé. Tu n’en mourras pas vraiment ; elle oui.

- Ne sois pas stupide : il va la tuer quoique tu fasses !

Elijha ne répondit pas. Les deux frères, face à face, se dévisagèrent un temps qui parut une éternité aux deux spectateurs. Leurs visages ne laissaient rien paraître des sentiments qui les animaient à ce moment-là. Tous deux attendaient que l’autre fasse le premier pas et provoque le conflit que Viktor attendait fébrilement. Ce fut Klaus qui fondit le premier sur son frère. Il lui asséna un coup de poing en plein visage qui le projeta violemment contre le mur. Elijah fut plus rapide à se remettre de l’attaque que Noura de sa surprise devant la scène qui se jouait devant ses yeux. Elle ne devait pas être la seule à être sidérée par ce qu’elle voyait car elle sentit, au moment où Elijah se releva pour se jeter sur son frère, la prise de Viktor autour de son cou se relâcher.

Les deux hommes se rendaient coup pour coup. Déséquilibrés par leur violence, ils finirent par chuter dans un même mouvement et roulèrent sur les dalles poussiéreuses. Un éclat de bois qui jonchait le sol vint se planter dans la jambe de Klaus qui émit un gémissement tant de contrariété que de douleur. Ce fut le moment que choisit Elijah pour l’immobiliser sous son poids et l’acculer au sol.  Klaus agrippa le poignet de son frère qui brandissait au-dessus de lui l’arme. Il voyait, malgré des efforts apparents,  la pointe se rapprocher inexorablement de sa poitrine.  Ils s’échangèrent un dernier regard avant qu’Elijah ne le frappe à nouveau au visage de sa main libre et n’abaisse brusquement son bras armé vers la poitrine de son frère.

Le geste arracha un hoquet de stupéfaction à Noura, qui soudainement libérée de l’étreinte de Viktor, plaqua ses deux mains sur la bouche. Elle ne comprenait rien à ce qui venait de se passer. C’était sidérant et impossible. Elle resta abasourdie et immobile alors que Viktor s’approchait le sourire aux lèvres de son fils pour poser une main sur son épaule d’un geste de fierté. Hors d’haleine et le visage fermé, Elijah se dégagea brusquement.

- Allez-vous en maintenant. Emmenez-le et disparaissez !

Viktor jeta un dernier regard satisfait en direction de Noura :

- Quand j’aurai retrouvé Noah et surtout le livre, je reviendrai pour que vous m’en débarrassiez définitivement. On n’est jamais trop prudent après tout : quelqu’un pourrait avoir dans l’idée de lui ôter cette dague et dans ce cas notre accord serait caduc et votre famille condamnée.

Sur ces mots, il s’agenouilla au dessus du corps grisâtre de Klaus, s’assura que la dague était suffisamment enfoncée et le souleva de terre avant de disparaître brusquement.

Un silence pesant s’installa entre les deux jeunes gens, restés seuls au milieu des ruines.

- Est-ce que tu peux m’expliquer ce qui vient de se passer !? explosa-t-elle en voyant qu’il ne se décidait pas à parler et s’obstinait à fuir son regard.

En réalité, il n’en était rien. Les sens aux aguets, il s’assurait que Viktor se soit suffisamment éloigné et que tout se déroulait comme Klaus et lui l’avaient prévu.

- Elijah ! insista-t-elle en se plantant devant lui. Il y a à peine quelques heures, tu étais prêt à te sacrifier pour lui et là tu lui plantes cette dague dans le cœur sans la moindre hésitation. J’exige des explications !

Un léger sourire sur les lèvres encore ensanglantées du vampire.

- Viktor se targue de tous bien nous connaître mais il oublie que, nous aussi, nous le connaissons bien. Il n’ira pas loin, je n’ai pas plongé la lame dans les cendres, sans cela elle n’est pas plus efficace qu’un pieu : Klaus ne va pas tarder à se réveiller. Et puis, nous allons avoir une aide imprévue. Mon père voulait que l’on soit tous réunis, on va exhausser son vœu plus vite qu’il ne le croit.

- Ce n’était qu’une sinistre mascarade : tout cela était prévu si je comprends bien ? demanda Noura avec une déception à peine dissimulée. Je me doutais bien que ta décision était trop judicieuse pour être vraie.

Sa moue boudeuse arracha un sourire à l’originel et lui fit oublier l’espace d’un bref instant leur altercation. Il esquissa un mouvement vers elle et tendit une main vers son visage baissé. Mais ce geste fut vite avorté par le regard froid qu’elle lui adressa en percevant ses intentions.

- Tu devrais aller  rejoindre tes frères, reprit-elle sèchement.

Elijah scruta un moment le visage buté de la jeune femme. Il préféra ne pas insister sur le moment et quitta précipitamment la chapelle. Restée seule pour la première fois depuis leur dispute, Noura s’effondra à genoux et laissa libre cours à son chagrin.


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