Poezibao
entreprend aujourd’hui la publication d’un nouveau feuilleton, en neuf
épisodes, consacré par Jean-René Lassalle à un genre bien particulier, le poème
carré.
Introduction : forme, figure, symbole
Dans la vie cachée des formes, pourquoi s‘intéresser au carré. Pour son modèle
de clarté et simplicité. Ou parce que l’informe (inquiétude) est contrecarré
par ses quatre côtés.
Parmi les figures géométriques universelles (cercle, triangle...) ou les
symboles fondamentaux (centre, croix...), le carré avec ses angles égaux, sa
base, s’oppose à un mouvement circulaire et symbolise « l’arrêt ou
l’instant prélevé (…) une idée de stagnation ou de solidification dans la
perfection » (Jean Chevalier, Dictionnaire des Symboles, 1982). Il
est alors terre plutôt que ciel, anti-transcendance, bien que son union au
cercle dans le mandala le complète vers une métaphysique, ou du moins vers une
méditation élargie.
De l’architecture (temple) à l’art pictural (Malevitch) ou au design, cherchant
l’équilibre plus que l’enfermement, il a sa propre tradition, qui dans l’art du
langage est celle, minoritaire et peu visible, du poème carré.
Le Sator
Le premier poème carré célèbre est ici le Sator latin. L’histoire de la
poésie visuelle antique révèle surtout des textes en forme d’œuf, aile, hache,
autel, mais un de ses spécialistes (Ulrich Ernst) a reproduit une stèle
égyptienne en carré du 14e siècle avant JC dont les hiéroglyphes, répartis
comme en une grille de mots croisés, peuvent se lire de manière horizontale et
verticale, comme un ancêtre des poèmes à permutations.
Le carré anonyme palindromique (lisible aussi à l’envers) qui porte les
mots : « sator arepo tenet opera rotas » pourrait être un
talisman des premiers Chrétiens et se retrouve en divers lieux de l’empire
romain et plus tard, le premier à Pompéi (50-99 apr. JC). Il a connu de
multiples interprétations, traductions et digressions, obscures ou ludiques.
Proposons celle-ci : « le Semeur à l’araire opère les roues du
monde ». On le lit de haut en bas, de bas en haut, de gauche à droite et
de droite à gauche. La croix « tenet » (tient, dirige, fait marcher)
s’inscrit en son centre. Parmi les nombreuses variantes sur pierre, papier et
écran, notons le Sator tatoué sur peau, dans la revue Mütze n°4, éd. par
Urs Engeler, Solothurn 2013.
Illustration : Sator. Pour l'agrandir, cliquer sur l'image
à suivre….
[Jean-René Lassalle]