Le Goût des mots, de Françoise Héritier

Avec son titre, Françoise Héritier entre dans un jeu. Elle dit son goût pour les mots en même temps qu’elle veut exprimer le goût qu’ont les mots. Ce n’est pas un livre de recettes culinaires. C’est un livre qui invite à jouer avec les sens. Retrouver l’esprit de l’enfant qui n’a pas encore appris l’écriture et ne connaît des mots que leurs sonorités mystérieuses (« armoire », « cuiller »…) et ne les associe pas immédiatement aux objets qu’ils désignent, ni, bien sûr, aux idées ou sentiments qu’ils véhiculent. L’écriture, prétend Françoise Héritier, transformera notre relation aux mots puisqu’elle sera la référence commune dans notre culture de l’écrit. L’enfant « veut accéder au grand savoir des adultes (…). En même temps, il veut garder le plaisir d’une certaine incommunicabilité mais une incommunicabilité qui serait de son fait, et pas de celui des adultes. » Les adultes trouvent aussi du plaisir à ces expressions toutes faites, ces « lieux communs » qui, dans leur raccourci, vont directement aux sous-entendus partagés. Ce livre propose aux lecteurs de jouer, de laisser advenir le sens caché des mots de l’enfance, la poésie réelle des voyelles, des consonnes, des syllabes, de jouer à cette interprétation qui n’est ni le jeu du dictionnaire, ni celui des mots croisés, et de baigner avec délice dans les expressions de l’expérience humaine.

Ma mère, ayant lu des histoires ou vu des films où les héros parvenaient toujours à prononcer une phrase, un mot, avant de mourir, espérait que cela lui arriverait aussi. Mais quand le dernier malaise la prit et la laissa aphasique sur un lit d’hôpital, nous avons en vain attendu : elle n’a « pas dit son dernier mot ».