Soyons de bon compte ! Nous n’aimons ni la canicule ni le gel prolongés. Nous sommes des humains de la région tempérée de la planète Terre. La tiédeur de l’air nous plaît beaucoup.
Qui n’a pas rêvé, après huit jours de vacances dans un pays chaud et aride, d’une prairie recouverte de fils de la Vierge au lever du jour et parsemée de champignons, d’un verger ombragé, d’un étang cerclé de roseaux et de grenouilles ? Ce n’est pas par contradiction – ou alors si peu ! – mais par manque, tout simplement.
Avouons-le : nous ne détestons pas la pluie. Au point d’ailleurs que bien des artistes la magnifient ! Ne parlons que des musiciens. Un musicologue québécois, Léo-Pol Morin détaille dans son livre « Musique » les créations inspirées par l’eau. « Franz Listz » dit-il « a définitivement introduit l’eau dans la musique. » Il poursuit : « Mais il faut remarquer que nulle autre musique, ni l’allemande, ni la russe, ne s’est aussi goulûment complu à cette source. Debussy, Fauré, d’Indy, Bruneau, Ravel, Séverac, Duparc, Gaubert, Louis Aubert, beaucoup d’autres encore, qu’ils aient été romantiques, réalistes ou impressionnistes, ont demandé à l’eau leurs plus heureuses inspirations. De grandes marines musicales comme La Mer de Debussy, comme le poème de la mer de L’Étranger, de d’Indy, comme Ondine et les Jeux d’Eau de Ravel, demeureront d’inégalables chefs-d’œuvre. »
Pour ce qui est de la pluie, évidemment on en arrive aux Jardins sous la pluie de Claude Debussy. Même s’il ne faut pas chercher dans cette musique la pluie qui tombe lentement et avec monotonie sur un jardin. Il faut plus exactement penser à l’aspect de ce jardin sous la pluie. Remarquons bien que les arbres, les fleurs, les fontaines et les étangs demeurent vivants et colorés, et n’oublions pas que le soleil, à la fin, fait son apparition dans un rayonnant mi majeur. Rien n’est plus lumineux, ni plus intense, que l’effet du soleil sur la nature mouillée. Au milieu de l’œuvre, comme second thème, et légèrement contrefait, on entend l’air de Nous n’irons plus au bois…
Toujours dans le domaine de la musique, n’est-il pas remarquable qu’une des comptines les plus connues soit celle-ci, qui parle de la pluie : « Il pleut, il pleut bergère / Presse tes blancs moutons / Allons sous ma chaumière / Bergère vite allons / J’entends sous le feuillage / L’eau qui tombe à grand bruit / Voici, venir l’orage, / voici l’éclair qui luit. » On sait qu’on doit cette chanson, qui traverse les siècles, à Philippe Fabre, dit Fabre d’Eglantine (1750-1794), celui qui donna aussi de nouveaux noms aux mois de l’année républicaine (qui eut cours de 1792 à 1806, année où Napoléon remet en vigueur le calendrier grégorien). On y trouve bien sûr le mois de la pluie : pluviôse (à l’époque sans accent circonflexe d’ailleurs)!
Bien sûr, dans la chanson française il est de fort jolis textes consacrés à la pluie : « La pluie fait des claquettes » de Claude Nougaro (La pluie fait des claquettes sur le trottoir à minuit… Avec elle je m’embarque en rivière de diamant), « Il pleut dans ma chambre » de Charles Trenet (Il pleut dans ma chambre, j’écoute la pluie… Le jardin frissonne, toutes les fleurs ont pleuré), «Une larme aux nuages » de Salvatore Adamo (Accroche une larme aux nuages, je la cueillerai au réveil, je la ferai couler sur ton visage et la pluie sera mon soleil). Et puis, comment oublier ce début de la chanson « Nantes » de Barbara : « Il pleut sur Nantes / Donne-moi la main / Le ciel de Nantes / Rend mon cœur chagrin. » Barbara, que Gabriel Ringlet, dans son livre « Et je serai pour vous un enfant laboureur », compare à Jésus : « La femme piano et l’homme poème ».
La pluie peut sembler ennuyeuse, parce qu’elle empêche certaines activités, mais si nous en prenions le contre-pied ? Si au lieu d’être affectés par ce contretemps, nous en discernions les aspects positifs : l’entre-temps possible, la lecture, la conversation, la beauté des arbres délavés, le miroir des flaques d’eau, les ronds dans l’eau provoqués par les gouttes de l’ondée, le bruit caractéristique sur le toit, l’écoulement des gouttières, le ruisselet dans le caniveau…
Ne dites pas que je ne veux voir que le bon côté des choses, j’essaie seulement d’aller creuser au fond de nous pour mettre au jour ce qui nous épanouit, nous enrichit, nous grandit plutôt que le laisser-aller, la morosité, le défaitisme, la mauvaise humeur permanente, les récriminations. Et les poètes sont là pour nous y aider. Paul-Jean Toulet, par exemple, ce poète au style sobre, mort en 1920, qui laisse de superbes « Contrerimes ». Voici ce qu’il écrit dans « Les trois impostures » : « Il y a des pluies de printemps délicieuses où le ciel a l’air de pleurer de joie. »