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Les Damnés: La lignée des Petrova – Chapitre 31

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Klaus reprit conscience avant que tous ses membres, eux, ne répondent à l’appel. Encore engourdi, il tenta de percer l’obscurité qui l’entourait et de déterminer l’endroit où sa crapule et lâche de père avait bien pu se débarrasser de lui. D’un geste lent, il retira la dague qui lui irradiait la poitrine en jurant intérieurement contre son frère qu’il soupçonnait d’avoir pris un plaisir sadique à le frapper plus fort que nécessaire. Il s’accouda sur le sol de terre et inspecta les lieux du regard. Il se trouvait dans une cave certainement enterrée, dépourvue de la moindre fenêtre. Tout autour de lui étaient entreposés coffres et victuailles de toutes sortes parfaitement inutiles à des vampires et qui ne laissaient aucun doute à Klaus sur le sort que les véritables habitants de cette maison avaient dû subir.

Il se redressa péniblement et manqua de s’assommer contre les poutres du plafond bas qui ne lui permettait pas de se tenir droit. Il s’apprêtait à maudire une fois de plus son père lorsqu’il se ravisa soudain et se figea en voyant passer la silhouette de Viktor au travers des planches mal jointes au dessus de lui. Le plancher grinça sous les pas lourds qui le malmenaient et déversa sur le vampire une pluie de poussière qu’il chassa d’un geste d’exaspération. Klaus fit un effort surhumain pour ne pas faire irruption dans la maison comme un diable sortant de sa boîte pour fondre sur lui et lui arracher les yeux. Pourtant l’idée lui paraissait franchement séduisante. Klaus sourit un moment à cette idée avant de reprendre une mine taciturne.

Il se ressaisit et approcha à pas de loup de l’étroit escalier obstrué par une trappe donnant directement dans la maison. Il attendit patiemment – ce qui fut une épreuve supplémentaire pour lui- que les pas de Viktor ne résonnent plus dans la maison pour entrouvrir le panneau de bois avec d’infinies précautions pour ne pas la faire grincer. Mais contre toute attente celle-ci se souleva si soudainement que Klaus accroupi sur les marches manqua de tomber à la renverse en bas de l’escalier et dût se retenir de justesse aux bords de la trappe. Les deux hommes débutèrent alors un face à face muet épouvantablement long pendant lequel l’un se maudit à loisir de s’être fait berner aussi facilement, et l’autre entama une intense réflexion sur cette défaillance physique qui ne lui avait pas permis de sentir la présence de son père.

Klaus fut le premier à émerger de cet état de stupéfaction mutuelle dans lequel ils étaient plongés. Il profita de ce léger avantage pour bondir hors de son trou et repousser si violemment Viktor que ce dernier emporta dans son envol l’une des cloisons en torchis avant de percuter la cheminée de pierre. Le patriarche se releva promptement en maugréant entre ses dents.

- J’aurai dû m’en douter ! C’était trop simple…, ragea-t-il.

Par des gestes vifs d’exaspération, il épousseta ses vêtements poussiéreux sous le regard méprisant de Klaus, debout dans ce qui fut l’embrasure de la porte. Pas mécontent d’avoir, pour une fois, un mince avantage sur son père, le vampire ne put réprimer un sourire de satisfaction sarcastique en voyant l’air vexé et furibond de Viktor qui le toisait froidement. Lorsque le regard de ce dernier s’arrêta sur la pointe effilée de la dague que Klaus faisait courir entre ses doigts d’un geste de pure provocation, sa mâchoire et ses poings se crispèrent.

- Il va vraiment falloir que l’on rejoue cette scène encore une fois ? Ça doit être la troisième ou quatrième fois, c’est lassant à force, se lamenta presque sincèrement Viktor en croisant les bras sur la poitrine.

- J’en ai bien peur, concéda Klaus d’un air faussement contrit. Mais tant qu’aucun de nous ne se décidera à rester mort, c’est inévitable. Je nous vois mal régler le problème sagement assis devant un verre.

Il ménagea une légère pause pendant laquelle il rangea à la surprise de Viktor la dague dans le revers de son pourpoint.

- J’ai peut-être une idée pour animer un peu la chose…, commença-t-il sur un ton énigmatique qui fit hausser les sourcils broussailleux de Viktor.

****

Adossé à un arbre, Neklan se tapait l’arrière de la tête contre le tronc depuis un temps suffisamment long pour exaspérer ses frères qui se trouvaient à proximité.

- Neklan si tu n’arrêtes pas de jouer les piverts, je t’encastre définitivement la tête dans ce tronc d’arbre, rugit Finn à bout de nerfs.

Le plus jeune se redressa vivement et toisa son aîné avec agacement.

- Excuse-moi d’être légèrement nerveux à l’idée de ce que l’on va faire, maugréa-t-il en troquant son matraquage de tête contre un martèlement tout aussi horripilant du pied contre une racine.

- Nous sommes six, il est seul. Et après tout ce qui s’est passé, il aura largement mérité  ce qui va lui arriver, reprit Stanislas sur un ton sentencieux sans quitter de vue la modeste masure dans laquelle ils avaient vu Viktor s’engouffrer avec le corps encore inconscient de Klaus.

Devant le silence de Neklan, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour toiser le jeune homme qui cachait mal le malaise qui l’étreignait au fur et à mesure que les minutes passaient.

- J’espère que tu ne vas pas te défiler Neklan ! Je te préviens que si tu nous lâches….,  menaça Stanislas en se détachant de son poste d’observation pour venir secouer son cadet par les épaules.

- Mais non ! s’indigna le jeune originel en se dégageant vivement.

- Au pire… à défaut de lui encastrer la tête dans l’arbre, on pourrait le ligoter jusqu’à ce que tout soit fini, proposa Finn en croisant les bras comme pour évaluer sérieusement l’éventualité.

- Ou mieux…on laisse Noura s’en charger. Je suis sûr qu’elle adorerait te rendre la monnaie de ta pièce après ce que tu faillis faire à notre neveu, renrichit Stan amusé de l’expression inquiète qui était apparue fugacement sur le visage  renfrogné de Neklan.

- Je n’aurais jamais dû écouter Elijah et aller vous chercher, pesta-t-il en envoyant une fois de plus son pied contre la racine.

- Fichez-lui la paix, décréta Elijah en les rejoignant. Ce ne sera plus très long maintenant : soyez prêts.

- Qu’est-ce que l’on attend au juste ? Pourquoi on n’entre pas tout de suite pour lui régler son compte ? demanda Vlad qui attendait sa revanche pour le coup pendard que son père lui avait fait avec une impatience grandissante.

- On attend le signal de Klaus.

Ces derniers mots venaient à peine de franchir les lèvres d’Elijah, qu’un vacarme entrecoupé de silences, pas vraiment plus rassurants, parvint jusqu’à eux et les fit tous se tourner dans un même mouvement vers la petite maison.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda Neklan avec une pointe d’inquiétude.

En voyant un corps passé au travers de la porte d’entrée, les frères restèrent un moment indécis sur l’identité du malheureux qui venait d’atterrir sans ménagement dans les ronces qui avait envahi le jardin en friche.

- Bon bah… on va dire que c’est le signal, décréta Vlad en jetant un regard circulaire en direction de ses frères qui opinèrent de la tête avant de s’élancer à sa suite vers les deux adversaires.

Piqué dans son orgueil, Viktor poussa un cri de rage en se relevant. Il arracha à l’arbre mort qui avait stoppé sa chute, l’une de ses branches qu’il brisa d’un coup sec pour s’en servir comme arme. Le regard goguenard de Klaus ne fit que décupler un peu plus sa colère. Avec des gestes étudiés quoique légèrement exagérés, Klaus plongea avec un sourire narquois la lame de la dague dans une fiole remplie de cendres qu’il venait de sortir de l’une de ses poches. Pour une fois qu’il avait le dessus sur son père- qui pour une fois n’avait aucun otage sous la main-, il vit presque à regret ses frères débouler comme un seul homme dans l’allée de la maison. Mais le visage décomposé de Viktor à cette apparition soudaine balaya d’un coup cette légère contrariété.

- N’est-ce pas merveilleux comme final ? Tous vos fils réunis pour assister à votre mort…. J’en ai presque la larme à l’œil, ironisa Klaus sur un ton mélodramatique en écartant les bras.

Viktor regarda un à un ses fils sans se laisser impressionner, peut-être dans l’espoir vain de déceler sur le visage de l’un d’entre eux une hésitation, un doute sur ce qu’il s’apprêtait à faire. Mais manifestement ce n’était le cas d’aucun d’entre eux.

- Alors vous avez tous choisi ! lâcha-t-il avec dépit en laissant tomber son pieu improvisé à ses pieds. Combien de temps croyez-vous que cette belle entente va durer avant que vous ne vous entre-tuiez à nouveau ? Ne vous faites pas d’illusions, tous autant que vous êtes : dès que l’occasion se présentera de briser la malédiction, il se débarrassera de tous ceux qui se mettront sur sa route, frères ou pas frères.

- Tout comme vous vous êtes débarrassé de tous ceux et celles qui se sont mis sur la vôtre, rétorqua Elijah.

Encerclé de toute part, Viktor ne put se débattre très longtemps lorsque ses fils s’emparèrent de lui. Elijah se saisit alors d’un poignard fiché dans sa ceinture et entailla le bras de son père, immobilisé fermement par Stan et Vlad.

- Qu’est-ce que tu fais ? s’emporta ce dernier en tentant de se dégager.

- Nous avons besoin de votre sang pour briser le lien qui nous unit, expliqua posément Elijah en recueillant le liquide qui s’écoulait de la plaie qui se refermait déjà.

Il maudit ses fils de mille et une manières, leur souhaita des siècles de malheur avant de les remettre à nouveau en garde contre leur frère et tenter finalement la conciliation. Mais rien ni fit, aucun ne céda. Lorsque Klaus, exaspéré,  lui enfonça définitivement la dague dans le cœur, ils restèrent un long moment silencieux, contemplant le corps grisâtre de leur père allongé au sol sans que leurs visages ne trahissent la moindre émotion.

****

Les lueurs crépusculaires baignaient déjà la façade de la ferme de couleurs rosées lorsque Milan et ses enfants avaient vu avec anxiété les six frères pénétrer dans l’enceinte de la propriété. Ils étaient restés d’un commun accord à bonne distance pendant qu’Elijah s’approchait de la porte d’entrée. En le voyant poser le pied sur le perron, Milan avait quitté la fenêtre au travers de laquelle tous les trois observaient le groupe pour aller lui ouvrir. Embarrassé par les événements récents, le vampire n’avait osé demander à pénétrer dans la maison et était resté sur le pas de la porte pour faire le récit de la fuite de Noah et de la mort de Viktor. Quand il eût terminé, Milan avait expiré bruyamment de soulagement. Elijah était resté un instant penaud, n’osant proférer la demande  provenant de ses frères.

- Ne vous sentez pas obligé mais mes frères aimeraient rencontrer Ivan avant que nous partions, avait-il hasardé en plongeant un regard hésitant par-dessus l’épaule de Milan pour croiser celui du jeune homme resté en retrait.

Milan avait tourné à son tour la tête pour interroger silencieusement son fils. Ce dernier, d’abord abasourdi par la demande, avait fini par acquiescer timidement.

Depuis lors Milan et Maïa s’étaient retranchés dans la cuisine près de l’âtre. De la salle, où ils s’étaient tous réunis, leur parvenaient les voix et quelques éclats de rire. La fratrie profitait manifestement de l’occasion pour se remémorer des souvenirs d’une période plus heureuse et chasser ceux de ces dernières années. Un sanglot que Maïa ne parvint pas à contenir arracha Milan à sa contemplation soucieuse des flammes. Le visage bouleversé de sa fille ne fit qu’amplifier son propre désarroi. Une même inquiétude les avait envahis au fil des heures et  s’amplifiait à chaque éclat de rire d’Ivan au récit des âneries passées de son géniteur, curieusement  semblables aux siennes. Milan se saisit dans un geste de réconfort les doigts fins de sa fille qui agrippait nerveusement l’accoudoir du fauteuil.

Lorsque la porte de la cuisine s’ouvrit soudain sur Ivan, l’un et l’autre se redressèrent. Ils le regardèrent en silence prendre une chaise et  l’installer entre leurs deux fauteuils pour venir s’y asseoir à califourchon.

- Elijah est parti chercher Noura. Si elle ne s’est pas calmée, je ne vais pas tarder à avoir un oncle en moins, commença-t-il malicieusement.

- Et les autres, ils ont l’intention de partir un jour ou ils vont s’installer à vie ici ? maugréa Maïa autant exaspérée par leur présence que par la bonne humeur de son frère qui arborait un sourire insolent alors qu’ils se morfondaient depuis des heures.

- Ils partent demain dans la journée, répondit Ivan.

Il s’interrompit un instant pour jeter un coup d’œil discret à son père qui avait à nouveau tourné la tête vers les flammes pour cacher au mieux son trouble.

- Klaus m’a demandé si je voulais venir avec eux, lâcha-t-il soudain dans un souffle.

A cette annonce tant redoutée, le poing de Milan, posé sur sa cuisse, se referma instinctivement alors que Maïa laissa échapper une plainte comme si on venait de la gifler.

- Tu…vas partir ? demanda-t-elle d’une voix étranglée.

Ivan la regarda avec stupéfaction.

- Et manquer la naissance de mon neveu ou de ma nièce ? Tu plaisantes, j’espère, rétorqua-t-il sur un ton offusqué.

Il aurait voulu entrer dans de plus amples explications ou même s’indigner davantage mais les bras de sa sœur vinrent l’enlacer avec une telle vigueur qu’il en eut le souffle momentanément coupé. Soulagé et attendri par le tableau que lui offraient ses enfants, Milan ignora sciemment le regard suppliant qu’Ivan lui lançait qui se contenta d’afficher un large sourire. Alors qu’il commençait à virer au bleu, Ivan se détacha tant bien que mal de son étreinte pour reprendre le fil de ses propos.

- J’ai bien l’intention de le revoir un jour ou l’autre… mais je vais attendre qu’il mûrisse un peu. C’est déstabilisant d’avoir un père qui fait plus de conneries que moi, se lamenta Ivan avec un air si dépité que Milan et Maïa ne purent s’empêcher de partir en chœur dans un éclat de rire auquel le jeune homme vint se joindre.

Sur ce, il se releva, imité dans son mouvement par son père.

- Ils ne resteront pas longtemps, je vais les rejoindre, reprit-il.

Il était presque sur le bas de la porte lorsque Milan l’interpella et franchit les quelques mètres qui les séparaient.  Ni l’un ni l’autre n’étaient très doués pour les grandes démonstrations d’affection, ni pour exprimer ce qu’ils ressentaient mais cette fois là, ils firent une exception. Ce fut une accolade  franche, brève et silencieuse mais qui en disait long sur leur attachement mutuel et surtout mettait un terme à plusieurs années de conflits.


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