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"L’étrangère qui a perdu ses yeux dans le sable" de Florence Miroux : rien n’est plus vivant que le souvenir

Par Alyette15 @Alyette1

"L’étrangère qui a perdu ses yeux dans le sable" de Florence Miroux aux Editions Bleu Pétrole

1ère de couverture "L’étrangère qui a perdu ses yeux dans le sable" de Florence Miroux


1961
, française de la classe moyenne Myriam est de ces jeunes femmes qui rêvent de la grande bleue et d’un amour sur les mêmes flots. Pour gagner sa vie elle tient un kiosque. 1961, on ne parle que de ça : l’Algérie et ses velléités d’indépendance, quelle drôle de guerre

Pour passer le temps, Myriam lit les tabloïds. Chaque jour un homme sans paroles avec cet air d’étrange étranger lui achète le journal. Il est algérien, quand elle le voit le gris s’estompe. De ce face à face visuel, arrive le lit, en avalanche. L’amour sous les toits, l’amour caché parce qu’il fait mauvais genre sur la photo de famille.  17 octobre 1961, les algériens de Paris manifestent. La France d’en haut, rejointe sans tarder par celle d’en bas, revêt son costume de croque mort. Sur les grands boulevards, c’est une mauvaise étoile que d’avoir la peau brune. La Seine se fait ammoniaque et dissout les secrets.

30 ans plus tard, Myriam a égaré ses souvenirs. Elle sème des bouts de papier, fragments de maladresse pour maintenir le lien avec sa fille : Léa. Longue et mélancolique, Léa ne trouve plus les mots, ni ceux de la transmission des origines, ni ceux du bonheur. Un barman dans un bistrot de quartier – jeune algérien aussi bavard qu’elle est silencieuse – l’aide à sortir de son mutisme et à renouer avec ce jour précieux où elle essaya une robe rouge, une robe d’émancipation. Entre ces deux-là se tisse la toile confuse d’une mémoire, la grande et celle de l’intime. A corps perdus, ils prennent la route. Destination l’Algérie, terre corsetée de conflits. A tant vouloir se remémorer, Léa perd la vue. Ses prunelles disparaissent dans le sable sorte d’ogre jaune abolissant lui aussi l’histoire, à sa façon…

Gamine espiègle boulimique d’écriture devenue historienne experte des relations internationales, l’œil rêveur qu’éclaire un sourire magnanime, Florence Miroux avance dans la vie avec un curieux casque sous le bras, celui qu’elle pose sur sa tête pour sillonner à bicyclette son 18ème arrondissement.  Férue de développement durable, elle a le respect de la terre et de ceux qui l’habitent. Une terre qu’elle a foulée de part et d’autre dans le cadre de missions contre la déforestation avant de revenir s’asseoir, bien plus tard, sur un fauteuil parisien pour scénariser des CD Rom aussi sérieux qu’iconoclastes.  Un second cheminement d’écriture après ceux trop fugaces de l’enfance. Involontairement, quelques années plus loin, elle quitte le scénario multimédia et se retrouve à la tête d’une communication peu aisée : celle de la RATP. En creux, toujours cette envie d’écrire, d’évoquer les racines, les secrets et ces liens inextricables mettant en perspective les effets d’occultation du collectif sur l’histoire individuelle. « Le secret, c’est le début d’une trace, l’ombre portée d’un objet fortement éclairé » dit-elle dans un sourire. Désarmant. « J’ai toujours eu le goût du secret » « Comme sujet d’études, j’ai choisi le Grand Orient et ses rapports face à la guerre d’Algérie ». « Je suis née là-bas »  rajoute-elle ». Une élégante façon d’évoquer ses premiers camarades de jeu d’Aubervilliers où elle passa son enfance. « Le désert, oui  j’ai cette vastitude en moi. Comme un instinct ». Aujourd’hui séparée de ses obligations professionnelles, elle aspire à écrire, plus et encore. A se laisser porter par ce bouleversement symbolique que représente l’écriture. Florence, ou la vraie vie…

Un bouleversement symbolique qui est au cœur même de son premier roman «L’étrangère qui a perdu ses yeux dans le sable » dans lequel elle aborde avec une plume nuancée, sculptée de circonvolutions parfois un peu trop présentes, les cicatrices de deux destinées : celles de femmes déracinées prises dans la tourmente de l’histoire franco-algérienne, une histoire complexe avec laquelle la France entretint des rapports aussi œdipiens que sanglants. De ces guerres que l’on choisit d’occulter tant les observer de près pourrait mener à une cécité sans rémission. Au cœur de ce roman, une réflexion fouillée sur la nécessité du devoir de mémoire mais aussi sur celle du devoir d’oubli car l’oubli n’est-il pas ce lieu privilégié où se loge la meilleure part de notre mémoire ?

Un grand merci aux Editions Bleu Pétrole pour cette nouvelle découverte, la 3ème de leur collection bien décidée à mettre en lumière les clairvoyances de l’écriture féminine.

Astrid Manfredi, le 14/11/2013 

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