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François Schuiten : Maurice Tillieux n'était pas du tout quelqu'un de « théorique »,

Par Bande Dessinée Info

Rencontrer François Schuiten, c’est accepter de prendre sa main, et de suivre le fil qu’il nous tend pour nous conduire dans son labyrinthe. Un labyrinthe clair, un espace accueillant qui a le parfum des plus vieilles feuilles de papier. C’est aussi assister à un spectacle : voir un maître à l’œuvre, en train de monter et de démonter des rouages, des mécanismes. C’est sûr, le travail de François Schuiten, et celui de Benoît Peeters qu’il place à chacune de ses interlignes, tient d’un agencement, d’un réseau éthéré mais pourtant complexe et parfaitement organisé. À chaque pas, l’intuition que rêve et imaginaire se confondent ; à chaque nouvelle marche, l’impression qu’un mouvement ne s’arrêtera jamais et que des frontières se rejoignent.
C’est au beau milieu de ses œuvres, de son monde, alors qu’il proposait à la vente le 24 octobre dernier, chez Artcurial, trente illustrations en couleur, que François Schuiten a répondu à nos questions, nous en posant d’autres, comme si le geste ne devait jamais s’interrompre, et le récit ne jamais cesser de s’écrire. François Schuiten trace de multiples voies et les interroge dans le même temps, puis les fixe avec les moyens d’un artiste se rêvant artisan.
Dans une formidable monographie qui paraît aujourd’hui aux éditions Casterman, François Schuiten. L’Horloger du rêve, il a laissé Thierry Bellefroid délier ses propres lignes, de son enfance à ses premières œuvres, de son Panthéon à ses influences, du dessin de son « univers fantasmagorique » à ses indices de « voyage au pays des possibles ». À travers le texte du journaliste, des mondes s’imbriquent dans d’autres mondes, pour ne révéler finalement qu’un seul lieu : celui de la création, et de la minutie et la richesse de cette création. L’espace de François Schuiten est bel et bien un cadran ouvert. Nous lui avons donc proposé d’y entrer à travers une autre métaphore : celle d’aiguilles suspendues. Au cœur de l’horloge de l’artiste, nous avons arrêté le mécanisme sur six « heures » de son œuvre, depuis sa première publication à l’âge de 16 ans jusqu’à aujourd’hui, et autant de thématiques qui l’ont guidé.

La première des aiguilles se fixe sur la notion du temps. Avec elle, cette citation de Borges : « Être moderne, c’est être contemporain, actuel ; nous le sommes fatalement tous. Personne n’a découvert l’art de vivre dans le futur ou dans le passé. » En vous qualifiant d’« archéologue du présent », Thierry Bellefroid semble aller dans le sens de l’écrivain. Pensez-vous être, comme Borges se définissait lui-même, un « fils impur du temps », ayant délibérément jeté sa boussole ?

Quelle bonne idée de parler de Borges… Quel écrivain extraordinaire et qui continue à résonner en nous ! Son œuvre me hante littéralement. La citation que vous mettez en avant est très belle… elle est même parfaite, et il ne faudrait rien en modifier !
En effet, à travers une forme qui peut sembler, à certains yeux, passéiste, ce qui m’intéresse le plus est ce qui aborde notre monde et notre temps : cet « aujourd’hui-même ». Si je cherche des racines, des objets du passé, ou bien des visions du futur, c’est précisément pour regarder aujourd’hui. Mais je ne me sens pas capable de « regarder aujourd’hui avec aujourd’hui », un « aujourd’hui seul ». Notre époque, je la regarde toujours avec des outils venant du passé ou convoquant le futur. Il me faut absolument un cadre, un moyen : sans cela, sans cette distance, sans cette capacité à creuser ce monde qui nous entoure, qui bouge si vite et qui se déplace sans cesse… je me sentirais comme « collé », et je ne verrais plus rien ! Il est donc nécessaire d’avoir un prisme. Voilà ce que la bande dessinée m’oblige à faire ! Elle oblige à organiser des signes. Dans le dessin, ce que j’aime beaucoup est ce que l’on met finalement en jeu dans les cases et les illustrations. Avec la bande dessinée, il s’agit de décrypter, de détecter les signes qui peuvent aider à regarder. Nous savons à travers elle que nous sommes dans des chaînons, et il faut sentir d’où viennent ces chaînes…

La fameuse locomotive…

Oui, voilà ! C’est prendre conscience des différentes couches qui nous construisent, et savoir, dès lors, se mettre en empathie, dans une « relation naturelle ». On sait alors se positionner, ou en tout cas, on essaie !
C’est en fait toute l’histoire de la bande dessinée : regardez les premières bandes dessinées américaines, celles de Winsor McCay et de George Herriman par exemple, et observez attentivement ce qu’ils font de cette écriture qui est presque en train de naître, comment ils l’utilisent… Quelle manière magnifique de comprendre pourquoi nous sommes là, et surtout de comprendre ce que nous faisons. Cela « remet en place » ! Dans mon bureau, à côté de ma table de dessin, je possède une planche d’Herriman ; cette planche continue, tous les jours, de m’aider à comprendre pourquoi je fais de la bande dessinée, car elle me permet justement de me situer, naturellement. Je me demande ce qu’il faisait, pourquoi il le faisait… puis ce que je suis moi-même en train de faire, et pourquoi, aujourd’hui, en 2013, à cet instant précis. Et j’en reviens à mes trois questions essentielles… La première : pourquoi ai-je le droit de dessiner cette histoire-là, en quoi suis-je suffisamment légitime pour le faire (sur des tas de sujets, je me sens d’ailleurs incapable de dessiner, estimant ne pas en avoir le droit !) ? La deuxième : pour quelles raisons dois-je le faire en bande dessinée (bien des scénarios peuvent en effet trouver leur parfaite expression dans d’autres domaines… alors pourquoi ce médium ?) ? Et la dernière : pourquoi aujourd’hui ? Voilà les trois questions qui me hantent… Pourquoi là, aujourd’hui et maintenant ? En quoi cela parle-t-il ? En quoi cela dialogue-t-il ? Même dans La Tour, qui pour moi est vraiment un récit qui parle du début des années 1980 et dans lequel j’ai vraiment l’impression que chaque péripétie est très profondément inscrite dans son histoire, ou en tout cas je l’espère !

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Francois Schuiten © DR

Vous n’en finissez plus de monter et remonter le rêve, de monter et remonter cet univers des possibles. Comme Michel du Paris au XXe siècle de Jules Vernes, peut-être, que vous avez illustré. Voici ce qu’il dit : « Me voilà entraîné en pleine mer ; où il me faudrait les aptitudes d’un poisson, j’apporte les instincts d’un oiseau ; j’aime à vivre dans l’espace, dans les régions idéales où l’on ne va plus, au pays des rêves, d’où l’on sort ne guère. » Créez-vous pour ne jamais sortir du rêve ?

Je ne créé pas précisément « pour ne jamais sortir du rêve », car je me suis rendu compte que le réel et le rêve sont comme le Paradis et l’Apocalypse, en quelque sorte. Ils sont tous deux parfaitement indissociables, enchâssés, tissés l’un dans l’autre ! L’imaginaire, le rêve, se construit à partir des briques du réel et s’immisce à l’intérieur. Il nous faut donc constamment remettre du réel dans l’imaginaire, et remettre de l’imaginaire dans le réel. Si les deux se séparent, elles sont des choses horribles ! L’imaginaire pour l’imaginaire, en voilà une chose absolument invraisemblable et qui rendrait fou ! (rires) Comme une maladie, quelque chose sans intérêt aucun… En revanche, comment l’imaginaire dialogue avec le réel, comment s’articule ce champ de tension, comment il se créé des espaces d’imaginaire dans le réel, et, brusquement, comment le réel accueille des morceaux d’imaginaire… tout ce tissage… voilà ce qui est à réinventer chaque fois !

L’aiguille s’arrête à présent sur votre propre trait, votre dessin, et en particulier sur le « cinétisme » de votre dessin, pris dans son acception linguistique, tant, dans votre œuvre, la construction de l’image semble indissociable de la construction de la pensée, et donc de la formulation d’un langage. Votre trait paraît en effet être en permanence « en train de », en mouvement, et les différents éléments sur vos planches s’ordonnent seuls et en fonction des autres, mis en perspective. En quoi l’injonction de Maurice Tillieux, que Thierry Bellefroid place au panthéon de vos sources d’inspiration, qui vous conseillait de vous « méfier des raccourcis, car un dessinateur fait toujours deux fois plus long que ce qu’il devrait », a-t-elle en ce sens été déterminante ?

Cette phrase dit quelque chose de très simple sur l’observation entre le réel et la façon dont le dessin vient l’interpréter. Elle parle des mauvais réflexes, de la mauvaise manière d’interpréter le réel, et de quelle façon le dessin peut incarner le réel. En effet, un raccourci est une chose très complexe ! Un bras raccourci, une voiture raccourcie, n’importe quel objet… tout est très compliqué à réaliser, car il s’agit absolument de codifier et d’interpréter ces raccourcis. Il faut que l’ensemble du dessin fonctionne, en gardant à l’esprit que ce raccourci-là va donner au dessin tout son intérêt. C’est vrai : l’intérêt principal du dessin réside dans ces moments d’ellipse – le blanc, le vide. Cela donne de la valeur ; tout peut alors prendre du volume et de la vitesse, on ressentira vraiment l’objet en trois dimensions.
_Cette phrase est donc très juste. Maurice Tillieux n’était pas du tout quelqu’un de « théorique », mais il se basait sur sa simple expérience de dessinateur, lui qui avait une folle passion pour la mécanique, et qui passait ses journées à monter et à démonter sans cesse sa vieille moto ! C’est cette passion qui se voyait dans ses dessins : on sent bien qu’il aimait la graisse et les rouages…
Vous parlez de « langage »… Cela me plaît beaucoup, et je préciserais en parlant plutôt d’« écriture ». Je trouve que le dessin est une forme d’écriture : j’adore le dessin qui est comme une lettre, et la lettre qui est comme un dessin. La bande dessinée a un rapport graphique à l’écriture. C’est la raison pour laquelle je suis souvent embêté face à un dessin trop photographique. Pour moi, le dessin doit rester un « langage », oui, mais alors un « langage de signes » : une organisation.

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Francois Schuiten © DR

Ce « graphein » ? Cette « aventure de la ligne », à proprement parler ?

Oui, exactement : cette si belle aventure de la ligne ! Voilà aussi pourquoi j’aime le noir et blanc, car tout est au même niveau. Il y a du blanc, du noir… lettre et trait sont situés sur le même plan. Cela me fait songer aux planches d’Herriman, avec cette impression d’être soudain dans un théâtre lorsqu’on les regarde ! Absolument pas au cinéma, mais bel et bien au théâtre. Herriman se situe à la fois dans le théâtre et dans l’écriture, c’est-à-dire au cœur même de la bande dessinée. J’en reviens au « langage », aux « signes », aux « codes »… Il faut jouer avec eux, les coder, les décoder, les faire rebondir ! Quand l’on se retrouve observateur de tout ceci, la façon avec laquelle cela rejaillit sur notre métier à proprement parler est absolument fascinante.

Autre heure éternelle dans votre œuvre : l’architecture. Une architecture incarnée, logée à l’endroit de l’émotion : ce que l’art provoque et ce qu’il dit de l’homme, finalement. Le Corbusier écrivait : « On met en œuvre de la pierre, du bois, du ciment ; on en fait des maisons, des palais. C’est de la construction. L’ingéniosité travaille. Mais, tout à coup, vous me prenez au cœur, vous me faites du bien, je suis heureux, je dis : c’est beau. Voilà l’architecture. L’art est ici. » Pourrait-on dire que votre œuvre suit ce même chemin, de la construction à l’art, vers l’émotion et le beau ?

Vous mettez le doigt sur un sujet délicat, car mon rapport à l’architecture a souvent été mal interprété. On lui donne une place trop importante dans mon œuvre ! Pour moi, l’architecture est un outil formidable, à la fois pour décrire et pour construire un environnement à l’espace, pour construire et pour incarner un système ; au fond : pour faire jouer et dramatiser une scène. On se retrouve bien dans ce petit théâtre, mais absolument pas pour parler de l’architecture.

Serait-elle alors un simple prétexte ?

Plutôt un outil. Elle est comme un crayon, une mécanique qui me permet de faire fonctionner l’horlogerie, tout ce système de rouages, tout cet ensemble… Elle m’aide à « tendre » l’espace, en quelque sorte, mais, curieusement, je n’ai pas l’impression que l’architecture soit au cœur de mon travail (mais je ne suis peut-être pas le mieux placé pour en parler, et peut-être est-elle au contraire vraiment partout dans mon œuvre !). J’aime l’espace, mais je pourrais très bien faire de « l’architecture de forêt » ! (rires) Là, oui : si vous me dites qu’une forêt est une architecture, alors je suis d’accord… si vous me dites que cette bouteille qui se trouve devant moi est une architecture, alors je suis d’accord… Mais ce qui m’intéresse va être ce rapport entre cette bouteille et ce verre, lorsque je les bouge, lorsque je les déplace, avec ce champ de tenson qui s’insinue d’un coup entre eux. J’aime l’organisation de l’espace, avant tout. Voilà ce qui me passionne.
On voit le mot « architecture » comme une « construction » ; je préfèrerais qu’il soit défini et vu en tant qu’« espace » et « tension » : « tension d’espace ». La case, la planche, ce sont bel et bien des organisations de l’espace, avec des diagonales. Cela m’obsède, me hante complètement. Je trouve même cela délirant ! Comment faire fonctionner un espace, comment me bouscule-t-il, me perturbe-t-il, me trouble-t-il ? Comment vais-je alors faire pour le percer et me perdre dedans ?

Et tout ceci fait bien de vous ce « créateur insatiable », comme Thierry Bellefroid vous définit… Venons-en donc à cette aiguille qui se placerait sur une autre de vos thématiques : la question du lieu qui vous a éloigné, et continue de le faire, du réalisme pour rejoindre l’utopie. Ce mot de François Confino à propos de votre œuvre : « François Schuiten orchestre un scénario et en fait une symphonie d’images accordées sur un texte qui nous entraine dans son imaginaire. » Pourrait-on dire que votre œuvre repousse les frontières, jusqu’à les annuler complètement ?

J’aime beaucoup cette idée d’exploration des frontières. Ce mot, « frontière », tient une place importante dans mon travail, c’est certain. Jusqu’où cela marche-t-il ? À quel point cela ne marche-t-il plus ? Quand sort-on de la frontière ? Avec Benoît Peeters, nous avons toujours essayé de titiller cette question, avec des albums qui repoussaient les frontières, justement : de formats différents, de couleurs différentes, de matières différentes, de techniques différentes… C’est une véritable obsession. À travers la photographie, notamment, et la question du réel qui n’en est pas un, car toute photographie relève d’une mise en scène… Mais aussi : qu’est-ce que ce que l’on appelle « imaginaire graphique » ou encore « documentaire-fiction » ? Les voilà, ces « frontières », qui se recentrent toutes autour du même point : celui de la fiction. On ne peut pas ne pas s’interroger sur tout ceci lorsque l’on raconte une histoire. Les questions sont permanentes (nous et notre fameuse « autoréflexivité » !)… Mais, dans le même temps, nous sommes des enfants ! Nous réfléchissons tout en ne sachant rien, et nous ne pouvons pas nous empêcher d’être traversés par les questions, partout, aujourd’hui. Nous nous disons en permanence que nous nous trompons, nous ne pouvons faire autrement qu’être plongés dans le doute, et nous cherchons un moyen de nous en sortir, ce « comment faire ? ». Faire une histoire, c’est être perdu, dans la brume, en train de chercher des signes et des formes, ce qui rend l’acte excitant. C’est un voyage : nous entraînons le lecteur tout en étant nous-mêmes les premiers explorateurs.
Je n’aime pas la position de démiurge. Je pense qu’un récit est une chose mystérieuse par essence. Il faut évidemment ne pas se perdre, mais avancer dans le brouillard néanmoins ! Cette idée de dire que l’on sait comment une histoire est faite et construite m’ennuie beaucoup. Il faut prendre la main du lecteur, le respecter et être soucieux de cette main-là (quelle belle image que prendre le lecteur par la main !), mais ne pas lui indiquer de direction pour autant, ne lui dire ni d’aller à droite, ni d’aller à gauche, car la vérité est que nous sommes tout aussi perdus que lui ! Il faudrait alors plutôt l’attirer et lui dire « suis-moi ».

Votre espace est-il alors un labyrinthe ?

Oui, un labyrinthe, ou dans tous les cas un espace non cartographié, dont le trouble et le mystère, je l’espère, continuent à persister. C’est un peu le principe de la persistance rétinienne… Il faut qu’il reste quelque chose. C’est d’ailleurs tout ce que j’attends, tout ce que j’espère d’une image : qu’elle perdure, qu’elle résiste. Il faut que l’image s’insinue en vous et dialogue avec votre propre imaginaire, qu’elle soit là telle une petite musique qui un jour résonnera alors que l’on se retrouve face à une chose a priori sans aucun rapport avec elle.
C’est là mon plus grand plaisir, quand, par exemple, à Beyrouth, on vient me parler de La Fièvre d’Urbicande en me disant « Mais c’est mon histoire, cette ville coupée en deux ! », ou encore quand je rencontre une personne me disant avoir toujours été une « enfant penchée »… C’est un désir de tout écrivain et de tout cinéaste, finalement, quand cela résonne bien longtemps après et que les lecteurs ou spectateurs s’approprient images et histoires. C’est même un bonheur incroyable ! Mais, pour y parvenir, il n’y a aucune règle (long soupir)… On cherche…

Terminons avec ce qui est sans doute votre « midi » : le livre. Votre univers est un enchâssement de tous les arts – du cinéma au théâtre, en passant par la danse, l’architecture, la photographie… et la bande dessinée – qui trouve un centre vivant, principal et même principiel, dans ce « livre géant » qui rassemble, en lieu suprême, une multitude de « récits graphiques ». Vous dites d’ailleurs que cette vente publique de vos œuvres illustre cette volonté de préservation, votre ambition de « faire des livres ». Cette démarche fait-elle de votre travail une bouteille jetée à la mer ?

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François Schuiten. L’Horloger du rêve (Thierry Bellefroid, Casterman)

C’est encore une très belle idée, que cette bouteille à la mer. Oui, ce livre, ce midi, cette bouteille… C’est certain : pour moi, c’est la matrice. J’ai un désir, une émotion, dès que j’ouvre un livre. L’odeur, le goût du papier… Et cette volonté d’aller jusqu’au bout du bout : fabriquer le livre pour en faire un exemplaire unique, « exemplaire » en quelque sorte ! C’est comme lorsque je faisais des livres moi-même, des pages de garde aux reliures, j’adorais cela ! J’adore toujours rêver le livre, le dessiner, et, surtout, passer par toutes les étapes de la réalisation : lettrage, typographie... – jusqu’au logo « Casterman » que je souhaiterais même refaire, mais l’éditeur ne semble pas être d’accord ! (rires) Tout faire, absolument tout, avec ce goût de l’artisanat. Pour L’Horloger du rêve, il y a une dentelle autour du livre, par exemple. Je souhaite faire en sorte, à chaque fois, que le livre soit exceptionnel et unique. Que chaque objet soit un enjeu, et me donne une émotion nouvelle, que je n’aurais jamais éprouvée avant. C’est la raison pour laquelle, avec Benoît Peeters, nous refaisons sans cesse les livres, nous revenons dessus, nous les corrigeons et les recorrigeons, nous les réinventons… Il s’agit de « renaître avec le livre », et retrouver un sentiment d’enfant, alors que j’ouvrais le grand livre de McCay, son Little Nemo, avec mon chocolat double lait et mon verre de coca, j’entrais alors dans un autre monde. On espère toujours donner un peu de ce que l’on reçoit, alors j’espère que le lecteur s’y retrouve également.

Faudrait-il alors que tous les livres soient « géants » ?

Oh, oui, j’aimerais beaucoup que tous les livres soient géants – de la même façon que j’aimerais faire un livre géant ! J’aimerais que tous soient porteurs de rêve et d’émerveillement ! Aujourd’hui, le livre est malmené, secoué, avec toutes ces nouvelles techniques. Bien sûr, ces méthodes sont certainement incroyables, car elles permettent de rentrer dans le récit autrement. Je suis convaincu que le plaisir du livre demeurera intact, mais il lui faudra rivaliser avec toutes ces nouvelles armes. Et il faut donc donner au livre quelque chose que les nouvelles technologies ne lui donnent pas… Par exemple, le rapport au toucher et le doigt sur le livre, la façon dont le papier bouge sous la main, dont la main bouge sur le papier… tous ces détails infimes qui exaltent les sens. Un livre communique : il est déjà un dialogue avant même d’être ouvert. Un livre réussi est une musique harmonieuse, une mélodie juste et belle, un objet sensible et pensé. Il devient alors un véritable miracle !

Entretien réalisé par Cathia Engelbach


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