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[note de lecture] Charles Dobzynski, "Journal de la lumière & Journal de l’ombre", par Jean-Baptiste Para

Par Florence Trocmé

 
Journal de la lumiere et de l ombre - copieCouronné par le prix Pierrette Micheloud 2013, Journal de la lumière & Journal de l’ombre est un livre emblématique de la voix singulière de Charles Dobzynski. Chez ce poète la singularité est une émersion permanente de la pluralité. Sa voix n’a de cesse de se ramifier en delta, de s’ouvrir à d’imprévisibles arborescences et de désirer les horizons mouvants de sa dissemblance plutôt que les miroitements indéfectibles de sa ressemblance. Elle ose l’attraction des contraires, se prend elle-même à contre-pied, se joue des cloisons et des garde-fous, se dépiste sans s’égarer. Bernard Noël le remarque d’emblée dans sa préface : « Ce qui surprend d’abord, c’est la scansion rapide et le tressage de gravité et d’incongruités : plus exactement de termes qui paraissent incongrus par rapport au thème principal. » Si l’incongru introduit des dissonances, s’il fait entendre des grincements, des crépitations fascinantes ou cocasses ainsi qu’une gamme étendue de rires polychromes, son rôle n’est pas seulement celui d’un agent perturbateur. Il s’agit moins de fomenter l’instabilité avec on ne sait quel acharnement maniaque, que d’opérer des glissements, des rencontres, des fissions, des retournements, des conjonctions, des métissages peut-être. Le poème, chez Charles Dobzynski, n’est pas en quête d’adamantine pureté, préférant s’exposer à un vaste champ d’interférences. « Pas pure, pas vierge » la poésie, disait Desnos dans son « Art poétique », et ce n’est peut-être pas un hasard si les épigraphes de Journal de la lumière & Journal de l’ombre sont empruntées à l’auteur de Fortunes
Placé à l’enseigne de la lumière dans sa première partie, puis sous le signe de l’ombre dans la deuxième, le livre est construit en séquences où se succèdent chaque fois un poème et une prose. Le duetto est parfois accompagné d’une comptine en guise de contrepoint ou de coda. Cette structure confère au livre une architecture tangible, mais sans rigidité ni risque de tétanie formelle. Poésie gnomique, fable, aphorisme et comptine peuvent superposer leurs couleurs, combiner leurs tons, mailler leurs accents. Tout comme le font la méditation, l’émotion, la fabulation, l’humour caressant ou acide, le rire burlesque ou frondeur.  
 
Quelques citations, enfin, pour donner idée ce double Journal dont l’unité-pluralité n’est pas sans faire penser, mutatis mutandis, au tempérament musical d’un Chostakovitch transgressant son apparent classicisme : 
 
« La lumière possède / Ses propres persiennes / Impénétrables à la nuit. » 
 
«  Les papillons sont les copeaux / De la lumière / Ébéniste de table rase. » 
 
« La lumière est l’opium des people. » 
 
« Je suis ta blessure dit l’ombre / Et toi tu es ma cicatrice / Notre duo se perpétue. »« L’ombre qui m’appartient / Est une immigrée / Que j’emploie au noir. » 
 
« Il était une fois / Une ombre à blanche cornette / Qui racontait des sornettes : / Elle avait perdu la foi. » 
 
[Jean-Baptiste Para] 
 
Charles Dobzynski, Journal de la lumière & Journal de l’ombre. Préface de Bernard Noël. Peintures de Marc Feld,Le Castor astral, 2013, 12 €
 
 
 
 
 
 
 
 


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