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La conjuration

Publié le 14 novembre 2013 par Lorraine De Chezlo
LA CONJURATIONde Philippe Vasset
Roman - 200 pages
Editions Fayard - août 2013
Il n'est pas content du tout notre homme. Rien ne lui déplaît plus que de voir Paris se priver de ses friches, de ses espaces vierges, de ses zones apparaissant en blanc sur les plans cadastraux. Les accès se condamnent, les résidences se barricadent, les bâtiments désaffectés disparaissent. Il est même construit un flambant neuf espace commercial du Millénaire proche du périphérique dans ce XIXe arrondissement qui était si riche en passages secrets et espaces interlopes. Croisant un jour le chemin d'André, un écrivain tombé en désuétude, il accepte de l'aider, contre rémunération et hébergement, à monter un projet ambitieux : fonder une secte à succès, rentable, avec juste ce qu'il faut de mythe, de sensations fortes, et justement, de lieux atypiques.
Quel roman particulier. Trois parties distinctes et chacune d'elles très abouties. On démarre en suivant cet homme solitaire faisant le choix de vivre la ville à sa manière. Les artères secrètes et les sites anonymes comme terrains de jeu, terrains de vie. Il se laisse indifféremment expulser de son appartement pour loyers impayés, mais il n'y vivait quasiment plus. 
Extrait :
"J'y découvrais des tours d'aiguillage aux issues murées mais dont les verrières, certaines nuits, s'illuminaient de brusques et mystérieux incendies ; d'anciennes cabanes transformées en scènes d'exhibition où des couples s'étreignaient sous les regards de voyeurs anonymes postés derrières les parois de planches trouées ; des grottes de pierre où des rongeurs invisibles faisaient craquer la brindille des seringues usagées ; des transformateurs minutieusement dépouillés de la moindre pièce métallique et dont la silhouette régulière prenait, au crépuscule, des airs de temple antiques ; des excroissances végétales poussant hors d'atteinte, sur des murs ou des corniches, et auxquelles mon imagination attribuait des pouvoirs alternativement hallucinogènes, médicinaux ou au contraire toxiques ; et des terrasses de béton graffitées où titubaient, à l'aube, des noctambules attendant que le soleil se lève.Vivant sur chacun de ces lieux de vies parallèles et rêvées, je ne supportais pas que l'on comble les places vides qu'ils formaient sur les cartes. Mais le mouvement de l'expansion urbaine allait dans un sens strictement opposé à mon désir et, sous l'inflation des projets immobiliers, mes repaires disparaissaient les uns après les autres."
Ensuite, sa vie prend un nouveau sens puisque ses compétences en zones propices à des expériences singulières peuvent être mises à profit avec André et son projet fou mais pragmatique de monter une secte, entreprise commercialement intéressante. Notre homme en ressortira prématurément, non sans s'être formé à la violation des lieux privés, et après avoir décrit précisément le projet à la Miviludes.Enfin, l'auteur rend notre homme à son environnement de prédilection. Et là, ce sera extérieurs et intérieurs. Les terrains de conquête sont partout, rien ne l'arrête, comme autant de défis. Des immeubles d'habitation aux sièges de grandes entreprises où l'on badge à tous les étages, il veut faire sauter tous les verrous, sans se faire remarquer. Savoir se fondre dans la masse des salariés pour intégrer leurs mouvements, leurs circulations, leurs non-vies. Aussi transparents qu'eux. Disparaître.
Extrait"Car le vide a ceci de supérieur au plein qu'il est riche de mille circulations : chaque disparition libère une nuée d'informations et de détails qu'aucune certitude ne viendra jamais souiller. L'humanité n'accède au sublime qu'en s'évanouissant."
Et il n'est pas le seul. Par nécessité, d'autres personnes démunies s'emparent de lieux qu'ils ne devraient pas fréquenter. Un nouveau mouvement, une secte s'il l'on veut, qui imite les dérives de notre société laborieuse et de nos parcours étriqués.Un roman élégamment écrit, très documenté géographiquement avec beaucoup de noms de rues pour situer les sites parisiens qui intéressent notre homme, puis un discours avec des fulgurances à certains moment, de très belles métaphores, des odes à la liberté. Contrairement à la quatrième de couverture, il ne s'agit pas d'un roman sur la création d'une secte nouvelle, c'est bien plus que ça, bien plus désespérément réjouissant.
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