Bâle III, EMIR, Dodd-Franck, MIFID II‌ Les réformes lancées ces dernières années pour réduire les risques pris par les acteurs financiers, et ainsi diminuer le risque systémique au sein d’une économie financière et réelle globalisée, sont nombreuses.
Elles partagent l’objectif de réguler et d’encadrer les banques sur de nombreux aspects : capital, liquidité, transparence, protection des investisseurs et des épargnants, utilisation des produits dérivés ou encore lutte contre l’évasion fiscale. Pourtant, ces réformes ne remettent pas en cause le fonctionnement structurel des banques et sont à ce titre jugées insuffisantes par une partie de l’opinion.
Afin de pallier ce manque, les Etats-Unis ont inscrit au sein du Dodd Franck Act, la Volcker Rule, qui a pour principal but de séparer légalement les activités de détail des activités BFI[1] et dont le Royaume-Uni s’est inspiré pour l’élaboration du rapport Vickers.
L’Union européenne partage, quant à elle, ces objectifs en mandatant un groupe d’experts chargé d’évaluer la nécessité d’une réforme structurelle du secteur bancaire européen. Cette initiative vise notamment à :
- analyser les limites du modèle de la banque universelle et la nécessité d’isoler juridiquement les activités financières considérées comme risquées,
- déterminer si une réforme structurelle des banques européennes permettrait :
- de renforcer la stabilité du système financier tout en assurant la protection du consommateur,
- de promouvoir la concurrence entre acteurs du même secteur,
- de maintenir l’intégrité du marché interne, notamment la distribution de crédit en période de crise.
Résultat de cette étude, le rapport Liikanen aboutit à cinq propositions :
Séparation obligatoire des activités risquées
Dans sa proposition phare, le rapport suggère que la séparation soit rendue obligatoire dès lors que les activités risquées représentent une part significative du bilan de la banque ou que l’importance de leur volume menace la stabilité financière. Elle serait ainsi conditionnée par le dépassement :
- d’un seuil relatif : si les actifs détenus à des fins de transaction et disponibles à la vente représentent entre 15% et 25% du total des actifs de la banque,
- ou d’un seuil absolu : si ces mêmes actifs représentent plus de 100 Mdâ‚Ź des actifs de la banque.
Figure 1–Rapport Liikanen – Définition des seuils
Cette recommandation diffère de la Volcker Rule et du rapport Vickers puisqu’elle ne remet pas en question le modèle de banque universelle. En effet, les banques dépassant ces seuils auront la possibilité de conserver les deux activités au sein d’un même groupe à condition qu’elles soient juridiquement séparées et que la gouvernance ainsi que les sources de financements des deux entités soient différenciées.
Dépassement des seuils pour les groupes bancaires français
Quatre banques françaises, Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole SA et BPCE, considérées comme des références du modèle universel, sont les premières concernées. Afin de juger si celles-ci seraient soumises à la séparation des activités au sens du rapport Liikanen, il est possible de répertorier les actifs risqués présents à leurs bilans.
Figure 2 – Positionnement des banques françaises en fonction des actifs détenus au bilan et des seuils[2]
Toutes dépassant largement chacun des deux seuils[3], elles seraient contraintes de séparer leurs activités en deux entités juridiques distinctes en cas d’application réglementaire du rapport stricto-sensu. Apparaitraient alors la « deposit-taking bank » (regroupant les activités de dépôt et de financement peu risquées[4]) et la « trading entity » (regroupant les activités risquées de la BFI[5]).
Figure 3–Modalités de séparation
Impacts
Les banques universelles françaises devront prendre en considération de nombreux éléments dans leur analyse du coĂťt de la séparation des activités. Ceux-ci comprennent :
- les chantiers de restructuration, liés à la mise en place d’un cadre de gouvernance et de gestion des risques spécifiques par entité. De plus, la création de deux entités juridiques distinctes implique de séparer les systèmes d’information et d’adapter les processus ainsi que les plateformes commerciales aux activités concernées.
- les coĂťts organisationnels de leurs activités. Par exemple, la fonction Coverage, qu’elle soit maintenue au niveau transverse (comme le permet la recommandation) ou éclatée au sein des deux entités juridiques, subira des chantiers de réorganisation et d’adaptation importants. Le cross-selling, l’apport de conseil stratégique aux clients en amont de la vente de produit financiers, les synergies que les banques avaient réussi à bâtir entre les lignes métiers Détail et BFI seront inévitablement affectées.
- le nouveau statut juridique de la « trading entity », qui ne lui permettrait plus de bénéficier de la garantie implicite de l’Etat et donc des mêmes conditions de financement sur les marchés qu’une banque universelle. Ceci se traduirait par une hausse significative du coĂťt de refinancement (entre 20 et 50 points de base selon les maturités, d’après une étude Sia Partners[6]), qui serait inévitablement répercutée sur le pricing des produits proposés à la clientèle. Par ailleurs soumise aux contraintes de Bâle III, la « trading entity » serait donc susceptible de perdre en compétitivité vis-à-vis des banques d’affaires « pure player » situées en dehors de l’Union Européenne et ainsi affranchies de telles contraintes.
De nombreux points en suspens
Bien des recommandations du rapport Liikanen méritent clarification, notamment la définition précise des seuils ainsi que les principes généraux de gouvernance et de contrôle. En effet, le rapport Liikanen n’a pas encore été juridiquement transposé au sein de l’Union européenne, le régulateur priorisant les travaux relatifs à une « union bancaire européenne »[7] . Cependant la France et l’Allemagne se sont accordées sur la mise en application des recommandations du rapport en diffusant leurs lois de séparation bancaire nationales respectives. Si celles-ci s’inspirent largement des recommandations du rapport Liikanen, elles en diffèrent en de nombreux points. Par exemple, le projet de loi français tolère le positionnement des activités de « market making » du côté des activités peu risquées, contrairement à la recommandation du rapport Liikanen.
Par ailleurs, une interrogation demeure : dans un secteur aux interdépendances fortes, le risque systémique sera-t-il réellement atténué par la mise en place de séparations strictes ? La secousse subie par l’ensemble de la place suite à la faillite de Lehman Brothers, pure banque d’affaires, montre que les choses ne sont sans doute pas aussi simples.
[1] : Banque de Financement et d’Investissement
[2] : Source : Etats financiers consolidés des établissements au 30 juin 2012
[3] :En faisant l’hypothèse qu’aucune ne choisisse de réduire la taille de son bilan ou de restructurer ses produits afin de les déplacer en partie du trading book vers le banking book
[4] : Les activités de prêt et de financement aux entreprises, de titrisation vanille, de « trade finance », de « cash management » et de « hedging » seraient transférées au sein de la banque de dépôt
[5] : L’entité de trading conserverait uniquement les activités de trading pour compte propre, de « market-making », de private equity et de financement aux hedge funds
[6] Source : Etude Sia Partners sur l’augmentation du coĂťt de refinancement liée à la perte de la garantie implicite de l’Etat, sur une banque universelle au profil comparable au groupe BNP Paribas
[7] Un mécanisme de supervision des banques unique, dirigé par la Banque Centrale Européenne.
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