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haut, bas, fragiles

Publié le 19 novembre 2013 par Aymeric

Partant sans-doute du principe que certaines portes ouvertes doivent êtres régulièrement enfoncées si on ne veut pas qu’on les referme, le très estimable et très excellent blogueur Chris Dillow s’est récemment intéressé aux effets de la situation sociale sur les jugements que l’on porte.
Sans surprise ceux-ci sont fortement influencés par celle-là et l’affirmation est soutenue par assez d’études et d’articles pour que seule la mauvaise foi puisse la considérer comme gratuite.
De plus il apparait que les bas salaires ont tendance à porter des jugements plus sévères que ceux davantage privilégiés.
« Quand les gens se ressentent comme pauvres, ils se sentent davantage vulnérables aux actes délictueux ce qui les incite à porter des jugements plus sévères à leurs propos.  Lorsque vous avez les moyens de remplacer votre iPod, vous avez tendance à moins vouloir punir votre agresseur que quand vous ne le pouvez pas.  Si vous accompagnez en voiture vos enfants lors de tous leurs déplacements vous serez moins enclins à céder à la crainte hystérique des pédophiles que si vos enfants doivent se déplacer d’eux même.
[…]
Quand la gauche tolérante se plaint de l’illibéralisme [au sens anglais d’un refus du libéralisme de mœurs, essentiellement] de la classe ouvrière, elle devrait se rappeler que le problème ne niche pas (seulement) dans cette classe ouvrière, mais dans la social-démocratie elle-même en ce qu’elle a pour le moins échoué à réduire le sentiment de vulnérabilité parmi les pauvres, sentiment à l’origine des positions illibérales. »
Ceux qui déplorent que de telles positions, non seulement existent, mais se trouvent en quelque sorte justifiées pourraient objecter que le niveau de vie s’est globalement amélioré pour l’ensemble de la société.
Qu’il existe, en France en tout cas, un filet de sécurité assez dense pour que les accidents de la vie n’aient le plus souvent pas de conséquences trop lourdes.
Que la violence est en baisse constante.
Que la montée des intolérances et mécontentements qu’on sent poindre et qu’on déplore ne serait donc après tout que colère d’enfants trop gâtés pour s’apercevoir du bonheur dont ils jouissent.
On pourrait alors leur faire remarquer que :
-   La baisse globale de la violence cache des hausses, d’une part, et ces nouvelles violences sont paradoxalement un effet pervers du vaste mouvement de pacification d’autre part.  Si on en croit Sebastian Roché : « Le paradoxe de la croissance de la violence interpersonnelle réside dans le fait que les facteurs qui semblaient expliquer sa baisse de longue période décrite par les historiens, sont maintenant non seulement inopérants, mais semblent même alimenter la hausse. »
-   Les multiples prises en charge, assurances et protections dont bénéficient l’individu moderne ont réduit à peu de choses les anciennes solidarités en même temps qu’elles ont renforcé le  besoin de sécurité. Selon Robert Castel : « S’il est vrai que ces société se sont attachées à la promotion de l’individu, elles promeuvent aussi sa vulnérabilité en même temps qu’elles le valorisent. […] Le sentiment d’insécurité n’est pas exactement proportionnel aux dangers réels qui menacent une population. Il est plutôt l’effet d’un décalage entre une attente socialement construite de protections et les capacités effectives d’une société donnée à les mettre en œuvre. »
-   Depuis les années 1970 on assiste à ce que Robert Castel, toujours, appelle une mise en mobilité généralisée où ce qui était perçu come stable (les relations de travail, les carrières professionnelles ou les statuts de l‘emploi) rentre dans l’incertitude.
-   Cette mutation des rapports professionnels est particulièrement mal vécue car elle rompt le schème d'équité, très présent dans les catégories populaires et lié aux "exigences de justice et de reconnaissance du mérite". D'après Alain Mergier, ce "schème d'équité "serait depuis quelques années à vif car mis à mal par une profonde remise en cause du mérite dans le cadre professionnel. Une partie des ouvriers et employés (en particulier dans les zones péri-urbaines ou de petite et moyenne urbanité, là où l'emploi dépend principalement d'un ou deux gros employeurs) ont l'impression que l'effort et l'application au travail ne garantissent plus l'emploi et que leur survie professionnelle ne dépend plus d'eux mais d'un extérieur (les actionnaires, la concurrence des travailleurs étranger, chez eux ou ici) à leurs yeux arbitraire.
En d’autres termes, si à l’échelle de la planète l’occidental moyen est en position privilégiée, il n’y pas de raisons non plus de penser que les plaintes de certains d’entre eux soient nécessairement sans fondement.
Mais, pour avoir de très bonnes raisons on n’en pas pour autant raison et l’appétit de punition n’a pas à être satisfait immédiatement et sans mesures.
Prétendre que la prison, n’est pas la meilleure voie vers une diminution de la délinquance ou que les vertus des échanges internationaux sont sans doute supérieures à celles du protectionnisme n’a probablemnt pas pas l’oreille de la classe populaire ; ces idées n’en cesseraient pas de ce seul fait d’être valables.
Par contre, présentées tout à trac, juste emballées dans la morgue du sachant et non accompagnées - voire même précédées - de mesures protectrices crédibles elles ne restent pas seulement inaudibles à beaucoup, elles leurs sont insupportables.
Le danger pour la sociale démocratie serait de se contenter de faire des leçons de raisons et de morales du haut de son douillet nid sous toiture.
Nous n’en somme pas encore au terminus mais il est peut-être temps de descendre.


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